अग्नि

Retour du feu au ciel — Mythes de l'autre vie

da La religion védique d’après les hymnes du ṛgveda, tome 1, Abel Bergaigne, 1878

Retour du feu au ciel — Mythes de l’autre vie

Le feu descendu du ciel avec les eaux de la pluie, et in­ troduit en même temps qu’elles dans les plantes, ne reste pas à jamais exilé de sa patrie céleste. Allumé par les hommes qui le font sortir du bois des arani-s en les agitant l’un dans l’autre, il remonte aux régions supérieures d’où il est venu. Cette nouvelle idée est suggérée par l’observation directe. La flamme en effet monte, IV, 6, 2; VII, 43, 21, et surtout la fumée qui se répand dans le ciel, VI, 2, 6; cf. IV, 6, 2; V, 11,3; VII, 3, 5. agni court dans le ciel avec sa fumée, VI, 48, 6. Il l’envoie en avant, brillante, en tendant vers le ciel avec son éclat resplendissant, X, 45, 7. Les feux poussés par le vent s’élancent dans le ciel avec un étendard de fumée, VIII, 43, 4. L’application fréquente du nom d’agni, non- seulement à l’éclair, mais au soleil, rend équivoques un bon nombre de passages où l’agni qui monte dans le ciel, III, 2, 12 ; cf. 1 ,68, 1, qui s’avance dans le ciel avec des membres brillants, I, 141, 8; cf. 7, qui atteint les extrémités du ciel et le nuage, X, 20, 4, dont les rayons (ou les flammes) s’élan­cent vers le ciel en se ramifiant, V, 1,1, enfin qui traverse, X, 80,1, ou pénètre, ibid. 2, les deux mondes, peut être un feu céleste aussi bien que le feu du sacrifice. Mais la seconde interprétation est seule possible pour « le feu de divodāsa » qui s’étend sur la terre et s’arrête sur le plateau du ciel, VIII, 92, 2.

C’est surtout quand on y verse l’offrande que la flamme s’élève, VII, 16, 3; VIII, 43, 10; cf. VIII, 19, 23, et que la fumée va toucher le ciel, VII, 16, 3. agni prend en brûlant le beurre sacrifié « une forme droite et dirigée vers les dieux », I, 127, 1. Il est d’ailleurs supposé porter l’offrande aux dieux, et cette croyance implique l’idée qu’il atteint en effet le ciel. A la vérité, les dieux sont souvent conçus comme assis sur le gazon du sacrifice, VII, 43,3; VIII, 27,6 ol passim, avec agni lui-même, V, 11, 2; 26, 5; VII, 11, 2, qui les y amène, III, 14, 2 et les y installe, I, 31, 17; VIII, 44, 3, pour manger l’offrande, V, 1,11 ; 4, 4, cf. I, 1, 2; 5 ; 14, 9 ; 12; III, 6, 6; 9; IV, 2, 4; VI, 1, 7; 15,18; X, 1, 7. Le vers I, 76, 3, en priant agni d’amener indra, promet à celui-ci « l’hospitalité ». Mais cette façon d’entendre la participation des dieux au festin du sacrifice n’est vraisemblablement pas primitive. Elle se rencontre dans un même vers avec la notion inverse, VII, 11, 5 : « O agni, amène les dieux pour manger l’offrande ; qu’ils s’enivrent ici, avec indra à leur tête ; porte ce sacrifice aux dieux dans le ciel. » Ailleurs encore il est dit en propres termes qu’agni porte les offrandes dans le ciel, VIII, 63, 3; X, 80, 4, qu’il les porte aux dieux, VII, 1, 18; cf. I, 1, 4, qu’il les porte aux dieux dans le ciel, X, 98, 11. On peut entendre dans le même sens les passages où il est dit simplement qu’il va vers les dieux, VII, 39, 1; X, 6, 4; cf. Ill, 1, 17.

agni parcourt donc dans les deux sens, il remonte, X, 98, 11, comme il descend, VII, 7 , 22 ces chemins qu’il connaît si bien, VI, 16, 3, ces chemins des dieux, I,72,7, à l’entrée des­ quels restent les mortels qui accomplissentle sacrifice, X, 2,3. Il les parcourt en messager, I, 72, 7. Il visite en messager toutes les demeures, IV, 1, 8. Il sert de messager entre les deux mondes, III, 3, 2 ;IV, 7, 8; VII,2, 3; cf. III, 5,9; 6,5, entre les deux races, IV, 2, 2; cf. VI, 15, 9, entre les deux assemblées, VIII, 39,1, ou comme le dit en propres termes le vers, IV, 2,3, entre les dieux et les hommes. Messager des dieux3, VI, 1.5, 9, il est apparemment conçu comme descendant sur la terre. Messager antique de vivasvat, VIII, 39, 3, il reçoit l’épithète déjà citée bhṛgavāna au vers, IV, 7, 4 qui le représente apporté par les āyu-s, remplaçant là les bhṛgu-s, aux différentes races. Mais il se charge aussi et surtout des messages de l’homme, IV, 9, 6 ; X, 70, 3, qui les lui confie, parce qu’il connaît le séjour mystérieux du ciel, IV, 7,8; 8,2; 4. Car il doit y aller chercher les dieux pour les amener au sacrifice, IV, 8,2 ; 4; cf. I, 12, 3 et 4, en sorte quel’idée de la descente des dieux sur la terre n’exclut pas celle d’une ascension préalable d’agni. Si d’ailleurs la descente d’agni sur le gazon du sacrifice, et en compagnie des dieux, est pure­ment imaginaire et suppose même la conception d’un agni distinct du feu matériel, l’idée de l’ascension repose au contraire, comme nous l’avons remarqué, sur une observation réelle. Aux vers déjà cités comme formulant cette obser­vation nous ajouterons les suivants, où agni reçoit en même temps son titre de messager qui y garde ainsi un sens natu­raliste, VII, 3, 3 : « A peine es-tu né,[cf. 1, 12, 3; IV, 7, 9.] ô puissant agni, qu’en s’allumant, tes flammes immortelles s’élèvent; ta fumée brillante monte vers le ciel ; tu vas, ô agni, trouver les dieux en qualité de messager » ; I, 36, 3 : « Nous te choisissons pour messager et pour sacrificateur, toi qui connais tout ; tu es grand, et tes rayons qui s’écartent vont toucher le ciel4. »

Nous ne retenons, quant à présent, que ce fait d’un mouve­ment du feu dans la direction du ciel, fait réel quoique exa­géré par l’idée que le feu continue à s’élever effectivement dans l’espace où sa fumée va se perdre. Nous laissons de côté, pour rentrer dans le sujet particulier de cette première partie, les rapports d’agni avec les dieux, et nous nous contentons d’avoir constaté son retour, comme élément matériel, au sé­jour d’où il était venu. Descendu sur la terre, il avait d’abord été caché dans les plantes ; mais il s’était ensuite manifesté sous la forme du feu terrestre. Remonté au ciel où il s’était d’abord dissipé en fumée, ne devait-il plus y reparaître ? Il semble a priori que les ārya-s, s’ils se sont posé la question, n’ont pu la résoudre qu’en admettant, d’après l’analogie de ce qui se passait sur la terre, qu’agni retourné dans son pre­mier séjour, s’y manifestait de nouveau, et s’y manifestait sous la forme d’un des deux feux célestes, de l’éclair ou du soleil. On ne devra pas s’étonner de ne pas rencontrer de preuves formelles de cette conception pour l’éclair, ordinai­rement désigné par le même nom que le feu du sacrifice, et ne pouvant par suite figurer dans une formule analogue à celle que nous allons citer pour le soleil. Cette formule, con­statant l’union d’agni avec le soleil ou avec les rayons du soleil, V, 4, 4 (yatamāno raśmibhiḥ sūryasya5), pourrait, il est vrai, comme les passages où agni est représenté pre­nant sa forme supérieure, I, 95, 8, et devenant la plus élevée des lumières, III, 5, 10, où il est prié de devenir l’œil de la grande loi, X, 8, 5, faire allusion d’une façon générale à l’élément du feu, toujours subsistant dans l’univers indépen­damment des formes diverses qu’il prend tour à tour. Elle semble pourtant en certains cas expressément appliquée au feu du sacrifice. Non-seulement il est dit au vers I, 98, 1 d’agni, qualifié, il est vrai, de vaiśvānara, que « Né d’ici, il contemple tout ce monde et va avec le soleil », mais on lit au vers V, 37, 1 qu’agni, « honoré de sacrifices, couvert de beurre, se réunit6 à la lumière du soleil. » Voici enfin un passage qui semble tout à fait décisif, VII, 2, 1 : « Accepte aujourd’hui notre bûche, ô agni ; brille bien haut, lançant ta fumée sacrée; touche de tes colonnes (de fumée)7 le plateau du ciel; réunis-toi8 aux rayons du soleil. »

Le mythe que les citations précédentes nous montrent au moins en germe est, d’ailleurs, impliqué par celui du séjour des morts dans le soleil où ils n’ont pu être portés que par le feu même qui les a brûlés. Les croyances relatives aux morts, auxquelles nous touchons ici pour la première fois, sont étroitement rattachées aux mythes du feu, comme celles qui concernent l’origine de la race humaine. Elles sont avec le mythe particulier de l’ascension du feu à peu près dans le même rapport que ces dernières avec celui de la descente du même élément. Le moment est donc venu de les examiner dans leur ensemble.

Les ārya-s védiques croyaient à une autre vie après la mort, et plaçaient dans le ciel le théâtre de cette nouvelle existence qu’ils appelaient même « immortalité ». Un poëte fait cette prière aux aśvin-s, X, 40, 11 : « Puissions-nous, ô aśvin-s, arriver à la demeure du taureau à la semence abon­dante et qui aime les vaches ! Voilà ce que nous désirons. » Il reprend au vers suivant la même pensée en remplaçant par un nom propre la figure mythologique du taureau céleste :

« Puissions-nous atteindre la demeure d’aryaman! » Une formule analogue est encore adressée à deux divinités in­ nommées qui pourraient être également les aśvin-s, 1,154, 6: « Nous désirons aller dans vos demeures, là où sont les va­ches agiles aux cornes nombreuses; c’est là-haut que res­plendit le séjour suprême du mâle qui parcourt de larges routes (viṣṇu). » On lit déjà au vers précédent : « Puissé-je atteindre le séjour aimé où se réjouissent les hommes pieux ! » D’après le vers I, 164, 23, l’immortalité a été le partage de ceux qui ont connu la parole sacrée. « Puissé-je, » dit encore l’auteur du vers VII, 59, 12, « comme un fruit de sa tige, être détaché de la mort, mais non de l’immortalité!» L’immortalité9 est encore promise à ceux qui donnent aux prêtres une riche dakṣinā10 I, 125, 6; X, 107, 2; d’après le vers I, 125, 5, celui qui donne s’élève au sommet du ciel (cf. X, 107, 2), il va chez les dieux11.

On objectera peut-être que ces textes sont pour la plupart empruntés à des hymmes qui peuvent passer pour relative­ment modernes, ou à des vers qu’il y a quelque raison de considérer comme interpolés. Mais on aurait tort en tout cas de mettre en doute l’antiquité chez les ārya-s de la croyance à l’immortalité.

Je n’entends pas dire que cette croyance ait eu dès l’origine le caractère moral impliqué en une certaine mesure par nos citations, où l’immortalité est demandée aux dieux comme une faveur ou une récompense. Encore moins peut-il être question de la comparer, même sous cette forme, au dogme spiritualiste de l’immortalité de l’âme. D’une part en effet, l’âme, même séparée du corps, restait matérielle. C’était le souffle, ātman, animus, qui après la mort retournait dans l’atmosphère à laquelle il avait été emprunté, ou, selon l’expression du vers X, 16, 3, allait « dans le vent». D’autre part, et quoique la notion du souffle mêlé aux vents ait pu fournir certains détails au mythe du séjour des morts dans le ciel, l’âme séparée du corps n’a pas été l’unique, ni même le principal objet des croyances anciennes relatives à l’autre vie.

La dispersion du souffle dans l’espace a pu, il est vrai, fournir le germe mythologique de la doctrine qui a été formulée plus tard chez les Hindous dans le système vedānta, et d’après laquelle l’homme doit finir par s’absorber dans l’être unique. Dans le ṛgveda même» l’hymme X» 58, dont le sujet est l’évocation de l’âme d’un mort qu’on veut rap­peler à la vie, cette âme, conçue déjà d’ailleurs comme moins matérielle sous le nom de manaḥ, paraît être répandue dans l’univers, dont toutes les parties sont successivement énu­mérées. Mais cette conception reste isolée dans le recueil des hymmes, aussi bien que celle d’une dispersion des organes restitués aux éléments d’où ils tirent leur origine, l’œil par exemple allant « dans le soleil », comme l’âme dans le vent, X, 16, 3. L’individualité qu’elle supprime a été à l’origine, et est encore dans le ṛgveda un attribut essentiel de la vie nouvelle des morts. Disons mieux : elle était l’attribut sans lequel des hommes primitifs ne pouvaient concevoir la vie. Sans doute ces mêmes hommes pouvaient continuer à attribuer au souffle séparé du corps une individualité de même sorte que celle qu’ils attribuaient en général aux sim­ples phénomènes, sauf à laisser cette idée se compléter par l’anthropomorphisme : l’existence céleste des morts aurait eu ainsi la même origine mythologique que celle des dieux. Mais il n’en est pas moins certain, comme on le verra tout à l’heure, que le corps réel, que le cadavre a joué un rôle, et même un rôle prédominant dans la formation des mythes dont nous entreprenons l’étude.

D’ailleurs la conception anthropomorphique du souffle, aussi bien que l’idée de la conservation ou de la reproduction du corps réel, nous ramène toujours à la notion d’une existence matérielle, corporelle. C’est sous cette forme que le mythe de l’autre vie doit être considéré, non-seulement comme védique, mais comme indo-européen. On peut même être sûr à l’avance de le retrouver sous une forme analogue chez tous les peuples primitifs. En effet, indépendamment des causes mora­les, telles que l’horreur inspirée à l’homme par l’idée de la destruction, une cause physique a dû dès l’origine l’empêcher d’attribuer à la mort un pareil effet. Il lui a fallu atteindre un certain degré de culture pour se rendre compte de ses songes autrement que par la réalité extérieure des images qui lui apparaissaient. Or, il voyait les morts en songe. La question pour lui n’était donc pas de savoir si les morts vi­vaient d’une vie nouvelle, sous une forme semblable à celle qu’ils avaient eue sur la terre, mais de déterminer le séjour où s’écoulait cette vie, et d’où ils sortaient, d’où ils revenaient de temps à autre pour se montrer aux vivants. Sur ce point même, il n’avait pas à chercher bien loin une solution natu­rellement suggérée par le mode de funérailles en usage.

Les Indo-Européens ont dû commencer, comme tous les peuples, par enterrer leurs morts. Dans la période védique, l’inhumation pure et simple était encore pratiquée concur­remment avec l’incinération. Ainsi le vers X, 15, 14 distingue des ancêtres « brûlés par le feu » et d’autres qui n’ont pas été brûlés. La cérémonie funèbre décrite dans l’hymme X, 18 est une inhumation, comme le prouvent les vers 10-13 : « 10. Pénètre sous cette terre, notre mère, sous cette terre vaste et bienfaisante; douce comme la laine pour celui qui a donné la dakshinā, que cette jeune (mère) te protège (et te tienne loin) du sein de nirṛti (la destruction). — 11. Reste soulevée, ô terre, ne l’écrase pas ; sois-lui d’un abord, d’un accès facile; couvre-le, ô terre, comme une mère couvre son fils du bord de son vêtement. — 12. Que la terre reste soulevée; que mille pieux la soutiennent; que ces de­meures soient pour lui dégouttantes de beurre ; qu’elles le protègent toujours ici. — 13. J’élève la terre en voûte au- dessus de toi; puissé-je, en déposant cette motte d’argile, ne pas te blesser !… ».

Ce morceau n’est pas intéressant seulement parce qu’il témoigne de la pratique de l’inhumation dans la période vé­dique. Il l’est aussi par l’aperçu qu’il nous ouvre sur la vie des morts dans la tombe. On doit en effet y voir autre chose que l’expression de ces sentiments de tendre respect dont nous entourons aujourd’hui encore les restes de nos morts, sentiments qui d’ailleurs, s’ils ont leur racine indestructible au fond du cœur humain, se manifestent souvent, il faut bien le reconnaître, par des actes qui n’avaient leur raison d’être que dans les mythes du passé. Notre poëte entre dans des détails qu’il est difficile de prendre autrement qu’au sens propre, et en demandant que la tombe soit, selon une ex­ pression familière aux hymmes, « dégouttante de beurre », c’est-à-dire distille une nourriture abondante; il professe assez clairement la croyance à une vie réelle du mort sous la terre, ou tout au moins adopte une formule de langage qui avait été l’expression directe de cette croyance.

Il était naturel en effet que les Inde-Européens, quand ils cherchèrent à déterminer le séjour où s’écoulait la vie nouvelle de leurs morts, ne le distinguassent pas d’abord de la tombe même où ils les déposaient. C’est ainsi, du reste, que s’expliquent un grand nombre de rites, conservés plus ou moins longtemps, plus on moins fidèlement, par les divers peuples de la race, et dont les uns étaient inoffensifs, comme l’usage de placer sur la tombe des mets destinés au mort, ou d’enterrer avec lui ses armes et ses parures; tandis que les autres, complément nécessaire à l’origine des premiers, coûtaient la vie, non-seulement au cheval de bataille, mais aux serviteurs et à l’épouse elle-même12 qui ne devaient pas manquer à leur maître dans sa vie nouvelle.

Quand le mode de funérailles fut changé, les rites dont il vient d’être parlé subirent une modification analogue. Au lieu d’enterrer avec le mort les objets et les êtres qui devaient rester à sa disposition, on les brûla avec lui. De même, au lieu de porter des mets ou de verser des libations sur sa tombe, on confia au feu les aliments qui lui étaient destinés. Là où s’est conservé pour les cendres, résidu de la créma­tion, l’usage de libations primitivèment instituées pour les cadavres inhumés, et qui n’avaient de sens que pour eux, il ne faut voir qu’un exemple de la longévité des rites, sur­ vivant non-seulement aux idées, mais aux pratiques aux­ quelles ils étaient appropriés. Chez les ārya-s védiques, c’est le feu qui porte aux morts leur nourriture, non pas un feu quelconque, mais le feu qui les a brûlés, le feu mangeur de chair, kravyād, expressément distingué d’ailleurs du feu qui porte l’offrande aux dieux, X, 16, 9-1213. C’est qu’alors le mort n’est plus là où est restée sa cendre, c’est-à-dire sur la terre; il est dans les régions supérieures où s’est élevée la fumée du bûcher, et en effet nous avons relevé déjà dans les hymmes védiques des traces de la croyance à une vie nouvelle dans le ciel.

Que cette croyance se rattachât réellement dans l’esprit des ārya-s à la pratique de la crémation, c’est ce qui ne parait pas pouvoir être contesté. Le fait de la réunion du souffle à l’atmosphère n’avait pu prévaloir sur le fait, beau­coup plus sensible, de l’inhumation, et empêcher, soit les Indo-Européens leurs pères, soit eux-mêmes, de placer sous la terre le séjour des morts. On comprendrait sans doute que de deux ordres d’idées différents fussent nées deux croyances logiquement incompatibles, lesquelles auraient pu néanmoins, après avoir été professées peut-être par des tribus ou des familles différentes, être recueillies ensemble, comme tant d’autres notions contradictoires, dans le trésor mytho­logique de la race. Je ne crois pas pourtant qu’on puisse voir dans le vers X, 15, 14, plaçant dans le ciel les pères « non brûlés par le feu » aussi bien que ceux qui ont été brûlés, ou selon l’expression du vers 11 « goûtés par lui », la preuve certaine que le mythe du séjour des morts dans le ciel ait eu une origine indépendante du mode de funérailles en usage. S’il faut admettre en effet que les rites anciens survi­vent souvent, comme nous l’avons remarqué tout à l’heure, aux mythes qui leur ont donné naissance, il n’est pas moins vraisemblable que les croyances fondées sur des pratiques nouvelles se soient étendues et généralisées en dépit de la conservation, dans telle ou telle tribu ou famille, des pra­tiques anciennes. Quoi qu’il en soit, l’usage de la crémation a dû tout au moins, en mettant d’accord les inférences tirées du traitement des corps dans les funérailles et celles auxquelles avait pu donner lieu déjà le départ de l’âme, con­tribuer singulièrement à fixer le mythe en question.

A la dernière citation nous pouvons, d’ailleurs, en opposer une autre qui paraît en tout cas s’accorder mieux avec l’ensemble de la religion védique, et avec l’importance tout à fait prédominante du rôle joué par le feu dans cette reli­gion. Il est dit au vers IX, 83, 1, avec une allusion aux sacrifices célestes dont il sera parlé plus loin, que le tamis, qui d’après le vers suivant est tendu dans le ciel, ne peut être atteint par celui dont le corps n’a pas été a chauffé », qui est « cru », et que ceux qui ont été « cuits » l’atteignent seuls.

Le commentaire des expressions bizarres employées dans ce passage se trouve au premier vers de l’hymne X, 16, tout le long duquel les fonctions de psychopompe sont d’ailleurs expressément attribuées au feu, et qui fournit ainsi de nou­veaux et décisifs arguments à l’appui de la liaison reconnue entre le mode de funérailles et les mythes relatifs au séjour des morts14: « Ne le détruis pas, Ô agni, en le brûlant (mā vi dahaḥ) ; que ta flamme n’en fasse pas sa proie (mābhi śocaḥ) ; n’endommage ni sa peau, ni son corps ; quand tu l’auras cuit,Jātavedas, alors transmets-le aux pères. » Le vers 4 du même hymne n’est pas moins significatif: « Le bouc15 est ta part ; quant à lui, échauffe-le avec ta chaleur ; que ta flamme, que ton ardeur l’échauffe ; avec celles de tes formes qui sont propices, ô Jātavedas, conduis-le au monde des pieux. » Le bouc dont il s’agit ici est l’animal qui, selon l’expression caractéristique d’un rituel funéraire ( āśvalāyana-gṛhya-sūtra, 4, 2), est appelé la « couverture » du mort, et qui peut être, d’après le même rituel, une vache ou une chèvre (anustaranīm gām ajām). Comme on attribue, ainsi que nous le verrons, au feu de l’autel une part des offrandes qu’il doit transmettre aux dieux, on abandonne le bouc au feu du bûcher pour qu’il respecte le corps de l’homme également confié à ses flammes. Il faut encore citer dans le même ordre d’idées le vers 7, adressé, non plus à agni, mais au mort lui-même : « C’est ta défense contre le feu ; enveloppe-toi des vaches; couvre-toi de graisse16; que le (dieu) hardi, frémissant de joie, en te saisissant, ne t’embrasse pas violemment et ne te brûle pas17! » Il est possible d’ailleurs que la graisse et les « vaches » dont il s’agit ici ne soient autre chose que le beurre versé dans le feu, ou celui dont on bourre le cadavre (āśvalāyana-gṛhya-sūtra, 4, 1,) et qui doit s’y répandre également. Ce serait une nouvelle analogie du transport du mort avec le transport de l’offrande, considérée, ainsi que nous le verrons, comme enveloppée dans les libations de beurre qui sont la part d’agni.

Cette assimilation du mort à l’offrande, d’ailleurs formelle­ment exprimée au vers 5 par le terme āhuta « sacrifié », appliqué au mort, nous fait bien comprendre le sens des cérémonies de la crémation dans le ṛgveda, le lien qui les rattache au mythe de l’immortalité dans le ciel, et enfin la portée de ce mythe lui-même. Quoique réduit en fumée, le corps du mort subsiste comme l’offrande réservée aux dieux. Comme elle encore, il est transporté dans le ciel par agni qui reçoit pour cette raison l’épithète kravyavāhana « porteur de chair », X, 16, 11, correspondant à celle de havyavāhana « porteur d’offrande » (Gr. s. v.), et plus conforme à la conception qui nous occupe que celle, citée plus haut, de kravyåd « mangeur de chair ».

Enfin, c’est naturellement ce même corps qui est appelé dans le ciel à une vie nouvelle. Il est presque inutile de faire remarquer combien la concordance des rites funéraires et des rites religieux proprement dits, et la conformité des croyances attachées aux uns et aux autres, durent contribuer à généraliser les deux ordres de rites et à affermir les deux ordres de croyances. Les rites funéraires en particulier durent s’imposer sous leur forme nouvelle à la grande majorité des familles, et l’attribution aux morts d’un séjour céleste put être étendue, comme nous l’avons supposé plus haut, même à ceux des familles qui restaient obstinément fidèles à la pratique de l’inhumation.

La conformité des croyances relatives aux morts et des croyances religieuses proprement dites, ne porte pas d’ailleurs uniquement sur le fait matériel du transport des offrandes et du transport des corps dans le ciel. L’origine de l’homme était rapportée au ciel d’où était descendu agni, le premier ancêtre de la race. Quel séjour pouvait donc, mieux que cette mère-patrie, lui convenir après la mort? Mais aussi qui pouvait l’y introduire, si ce n’est ce même agni qui remonte au ciel comme il en est descendu ? A quel guide plus sûr confier le mort qu’à l’élément dont il était issu et auquel on ne pouvait craindre de le rendre ?

Il nous a suffi de prendre pied sur le terrain solide du ṛgveda, et surtout de toucher au sujet principal de ce livre, c’est-à-dire au culte du feu, pour voir aussitôt s’éclaircir et se fixer des notions qui restent plus obscures ou plus flottantes dans la mythologie et dans les rites des autres peuples indo-européens. Si d’ailleurs l’ensemble des mythes du feu nous permet de préciser les croyances relatives à l’autre vie, celles-ci peuvent à leur tour servir à confirmer tel de ces mythes qui aurait paru insuffisamment établi. Et en effet, comme je l’avais annoncé, elles fournissent un argument à l’appui du mythe de la réunion d’agni au soleil.

Le soleil est expressément assigné pour demeure aux morts. J ’avais réservé ce trait dans un vers déjà cité, X, 107, 2, que je traduirai maintenant en entier : « Ceux qui ont donné la dakshinā se sont élevés dans le ciel ; ceux qui ont donné des chevaux sont avec le soleil ; ceux qui ont donné de l’or ont en partage l’immortalité ; ceux qui ont donné des vêtements, ô soma, prolongent leur vie. » Il faut sans doute entendre de même cette formule du vers I, 125, 6 : « A ceux qui donnent la dakshinā appartiennent les soleils dans le ciel. » En tout cas le texte suivant, I, 109, 7, est parfai­tement clair : « Voilà ces rayons du soleil auxquels se sont réunis nos pères. » Ces pères sont, comme nous le verrons, devenus les gardiens du soleil, X, 154, 5, et ce sont eux qui donnent la lumière, X, 107, 1. Le second hémistiche du vers I, 115, 2, rapproché du vers I, 154, 5 déjà cité, paraît bien se rapporter aux hommes pieux qui vivent dans le soleil. L’idée du soleil était suggérée dans ce même vers I, 154, 5 et dans le suivant par la mention du séjour suprême de viṣṇu (cf. encore X, 29, 5).

Il faut remarquer à ce propos que l’un des organes de l’homme est dans un rapport particulièrement étroit avec le soleil. La confusion de l’idée de briller et de l’idée de voir, fréquente dans la mythologie védique, n’a pas seulement fait assimiler le soleil à un œil; elle a fait rapporter l’origine de l’œil au soleil, IX, 10, 8 ; cf. X, 158, 3, ou inversement celle du soleil à l’œil mystique du puruṣa, X, 90, 13. Nous avons déjà cité le vers X, 16, 3, d’après lequel l’œil doit aller dans le soleil. Mais ce texte, qui paraît faire allusion à une dis­persion de l’organisme réparti entre divers éléments, ne doit pas nous faire méconnaître le sens des passages cités plus haut. C’est la personne entière du mort qu’ils nous montrent parvenue dans le soleil. D’ailleurs ce n’est pas l’œil seulement, c’est l’homme tout entier qui a une affinité avec le soleil en vertu de son origine ignée, et qui est par suite ap­pelé à se réunir à lui.

Il semble évident toutefois que l’explication de l’arrivée des morts dans le soleil ne sera complète que si l’on tient compte aussi de l’affinité, ou plutôt de l’identité essentielle de l’astre avec le feu qui les y conduit. agni est, nous l’avons vu, le dieu psychopompe du ṛgveda. C’est lui que les vers X, 16, 1 et 4 nous ont montré portant le corps chez les pères (cf. 2 et 5; X, 17, 3) ou dans le monde des pieux, et dont on aurait pu dire, ne fût-ce que pour cette seule raison, qu’il donne l’immortalité, I, 31, 7 ; cf. VI, 7, 4. C’est donc lui qui conduit les morts dans le soleil, quand le lieu de leur demeure céleste est ainsi précisé, et s’ils sont réunis au soleil, c’est qu’il s’y réunit lui-même.

L’objet immédiat que nous poursuivions en entreprenant cette exposition des croyances relatives à l’autre vie est maintenant atteint ; mais nous la continuerons, tant à cause de l’intérêt propre au sujet qu’en vue des conséquences que nous aurons à en tirer dans le paragraphe suivant.

Le soleil n’est pas la seule demeure attribuée aux morts. Le vers X, 15, 1 distingue trois groupes de « pères », les inférieurs, les supérieurs et les moyens. Cette formule cor­respond d’une manière frappante à celles qui attribuent à agni trois formes, trois séjours, trois naissances, et confirme l’idée d’un rapport nécessaire entre les demeures des morts et celles du feu. Qu’elle fasse en effet allusion aux trois mondes, c’est ce qui paraît mis hors de doute par le vers suivant où d’ailleurs le ciel et l’atmosphère semblent confondus et opposés ensemble à la terre dans cette autre formule : « Ceux (d’entre les pères) qui sont établis dans l’espace terrestre ou ceux qui sont maintenant chez les races aux belles demeures. »

Je n’insisterai pas, quant à présent, sur les pères « inférieurs » ou habitant la terre. Ce sont certainement aussi des morts, mais ce ne sont pas nécessairement des morts inhumés et habitant la tombe. Nous savons en effet déjà par un vers em­prunté précisément au même hymne X, 15, 14, que les pères non brûlés par le feu ont pu être considérés comme habitant le ciel, aussi bien que ceux qui ont été brûlés, et nous étudierons plus loin certains textes desquels il semble résul­ter que les pères, après être montés au ciel, descendent de là sur la terre18. Quoiqu’il en soit, les pères «moyens» semblent bien être, par opposition aux pères « supérieurs », ceux qui habitent l’atmosphère.

Et en effet si le feu pouvait porter les morts dans le soleil en se réunissant à sa forme céleste, il pouvait tout aussi bien s’arrêter avec lui dans le monde intermédiaire, en se réunis­sant à sa forme atmosphérique, l’éclair. L’idée de la réunion de l’âme aux vents dont l’atmosphère est le domaine devait aussi singulièrement favoriser cette conception. L’auteur de l’hymne X, 16, dit d’ailleurs en propres termes au vers 3, en s’adressant au mort : «Va dans les eaux, si ce séjour t’est agréable19. » Le vers 14 du même hymne fait peut-être encore allusion à cette forme du mythe20.

D’ailleurs, comme le feu, outre ses demeures dans le ciel visible et dans l’atmosphère, en a une encore dans le monde invisible, les morts devaient avoir, eux aussi, un séjour mystérieux. Avec le soleil aux rayons duquel ils étaient réu­nis, avec les eaux au sein desquelles ils habitaient comme l’eclair, ils franchissaient les limites de l’espace compris entre la surface de la terre et la voûte du ciel. La concep­tion, à l’origine purement naturaliste, du séjour des morts, ne pouvait pas d’ailleurs conserver ce caractère d’extrême simplicité. Le mystère qui convient aux croyances relatives à l’autre vie était mieux respecté par l’idée d’un séjour invisible, et c’est cette idée qui s’est fixée dans le mythe du royaume de yama. «Il y a»,dit le vers I,35,6, « trois deux, » c’est-à-dire, selon l’explication qui sera donnée plus loin des formules de ce genre, « trois mondes : deux sont les girons de savitar, » c’est-à-dire le ciel et la terre reçoivent le dieu qui commande au cours du soleil; « l’autre est le giron de yama », le reçoit21. En effet, ce yama, compris aux vers X, 64, 3; 92, 11, dans les énumérations de dieux, est un roi, IX, 113,8 ; X, 14, 1 ; 4; 11 ; 15, qui règne sur les morts, X, 16, 9. Dans le même vers I, 35, 6, qui vient d’être cité, l’épithète virāṣah, appli­quée à son séjour, paraît signifier « qui conquiert les hommes ».

Ce séjour, d’après un passage qui l’appelle la partie la plus reculée du ciel, IX, 113, 8, et y place la lumière impérissable et les eaux intarissables, ibid., 7 et 8, c’est-à- dire la source invisible de la lumière et des eaux, est celui où l’homme espère devenir immortel22. Au premier vers de l’hymme X, 58, déjà cité, l’âme du mort qu’on veut rap­peler à la vie est supposée partie « au loin chez yama », cf. X, 164,2. Le même yama est invoqué aux vers 4 et 5 de l’hymme funèbre X, 154, sorte de litanie dont le refrain sou­ haite au mort une heureuse arrivée chez les pères « qui sont allés au ciel en récompense de leur ascétisme », chez ceux qui ont été « des héros dans les combats », ou qui ont donné « mille dakshinā-s », chez ceux qui « ont suivi la loi », etc. L’auteur de l’hymme X, 14, dit expressément au vers 8, en s’adressant à un mort : « Réunis-toi aux pères, réunis-toi à yama, trouve l’accomplissement de tes désirs dans le ciel suprême, » cf. ibid., 7’; il ajoute au vers 9 que yama donne à ce mort un séjour décrit d’ailleurs, ainsi que celui dont il a été question tout à l’heure, comme plein d’eaux et de lumière. Tout le long du même hymne, yama est asso­cié aux pères dans la prière du poëte. Il l’est particulière­ ment à ces ancêtres mythiques de la race humaine que nous avons appris à connaître sous le nom d’āngiras (v. 3 et 5). Au vers X, 15, 8, il est encore invoqué avec les pères. Enfin l’hymme X, 135 mentionne au vers 7 la demeure de yama, cf. X, 114, 10. et au vers 1, nous montre ce personnage buvant avec les dieux sous un arbre aux larges feuilles, et accueillant là « les anciens ».

Quelle est l’origine de ce mythe d’un roi des morts, et que représente ce roi? C’est ce que nous devons maintenant cher­cher à découvrir. Mais pour que l’investigation soit com­plète, nous devons d’abord étudier le personnage de vivasvat, considéré comme le père de yama, X, 14,6 ; 17, 1 et 2, qui reçoit pour cette raison l’appellation patronymique de vaivasvata, X, 14, 1 ; 58, 1 ; 60, 10; cf. IX, 113, 8; X, 164,2.

Le mot vivasvat a dans le ṛgveda deux accentuations dif­férentes. Dans les trois passages où il est expressément donné pour le nom du père de yama, il est accentué sur la première syllabe. Dans tous les autres, à l’exception de deux, VIII, 6, 39 ; Vāl. 4, 1, il est accentué sur la seconde. On ne voit pas toutefois que cette différence d’accentuation corresponde à aucune différence essentielle de signification. Notre mot, pris comme adjectif, dans le sens de « brillant », est appliqué à l’aurore, III, 30,13 ; cf. I, 44, 1, et peut-être aussi au char des aśvin-s, X, 39, 12. Il l’est encore à l’éclat d’agni, I, 96, 2, et à agni lui-même, VII, 9, 3. Nous ne nous étonnerons pas qu’une épithète d’agni soit en même temps le nom d’un ancien sacrificateur, et l’analogie des mythes déjà étudiés nous portera à chercher dans ce sa­crificateur une représentation d’agni lui-même. Les passages qui attribuent le caractère sacerdotal à vivasvat sont assez nombreux. Quelques-uns ont même induit M. Roth, et après lui M. Grassmann, à admettre que le mot vivasvat peut dési­gner le prêtre actuel en tant que « matinal », ou même en tant que « brillant dans la lumière du matin ».

Mais là même où le verbe est au présent ou à l’impératif, les prières de vivasvat qui excitent soma, IX, 99, 2; cf. IX, 26,4 ; 66, 8, ou dont indra est invité à « s’enivrer », VIII, 6, 39, peuvent être de même que les offrandes de manus, dont il a été question plus haut, celles dont l’institution remonte, par une tradition ininterrompue, au premier sacrificateur. Et en effet, nous lisons au vers I, 139,1, que la prière « nouvelle » est rattachée à vivasvat comme à son « nombril », c’est-à-dire, selon l’explication présentée plus haut de cette expression bizarre, comme à son point d’origine. De même les qualifications de « poëte harmonieux», V, 11,3, ou de « messager », X, 21, 5, de messager « antique », VIII, 39, 3, de messager et de « sacrificateur », I, 58, 1, de vivasvat, attribuées à agni, celle de « séjour de vivasvat », attribuée à la place du sacrifice, 1,53, 1; III, 34, 7; 51, 3; X 75,1, rappellent les locutions telles que « le sacrificateur de manus, la demeure de manus », et confirment l’interprétation que j’en ai proposée. Des biens a attribués à manus » on peut aussi rapprocher « le lot de vivasvat » que gagnent les soma-s, IX, 10, 5.

D’ailleurs, dans plusieurs des passages cités, l’emploi d’un verbe au passé permet de rapporter directement à vivasvat le sacrifice dont il s’agit. Cette interprétation parait nécessaire dans ceux où l’expression «les dix de vivasvat », VIII, 61,8, ou « les filles de vivasvat », IX, 14, 5, désigne les doigts qui ont pressé le soma. En qualité d’ancien sacrificateur, vivasvat est un protégé d’indra qui a déposé chez lui « un trésor », II, 13,6. Il est nommé à côté de mātariśvan, comme le premier auquel le feu soit apparu, 1,31, 3, et de même que mātariśvan, il peut être conçu comme opérant dans le ciel23. Ainsi au vers IV, 7, 4, le « messager de vivasvat » est le feu apporté aux différentes races par les āyu-s. Ailleurs, c’est mātariśvan apportant le feu du ciel qui reçoit lui même la qualification de messager de vivasvat, VI, 8, 4. Il n’y a là rien qui doive nous étonner. agni, qui est le prototype de tous les sacrificateurs mythiques, n’a-t-il pas des formes célestes aussi bien qu’une forme terrestre? En fait, le mot vivasvat est devenu dans la littérature postérieure un nom du soleil. J’admettrai même, si l’on y tient, qu’il a reçu cette appli­cation dès l’origine. Je reconnaîtrai que la formule des vers X, 39, 12 « les deux jours (le jour et la nuit) de vivasvat24», suggère assez naturellement l’idée du soleil, et qu’en tout cas vivasvat figure comme un personnage divin au vers X, 65, 6 à côté de varuṇa et des dieux. Il n’en restera pas moins vrai que la conception d’agni, dont le soleil n’est qu’une des formes, peut seule rendre compte du caractère d’ancien sa­crificateur qui est, daus le ṛgveda, le trait dominant du mythe de vivasvat.

Nous avons eu déjà plus haut l’occasion de comparer vi­vasvatmanu, en montrant que les deux noms peuvent se remplacer dans des formules équivalentes. On les trouve ensemble dans une énumération d’anciens sacrificateurs, Vāl. 4, 1, dans une invocation aux aśvin-s : « Vous qui avez séjourné chez vivasvat, venez comme chez manu-s », 1,46. 13, et dans un autre passage où l’origine de la race divine elle-même est rapportée à vivasvat, comme elle l’est ailleurs à manu ; les dieux en effet y reçoivent la qualifica­tion de « races de vivasvat » en même temps que celle de « contentés par manu », X, 63, 1. manu, considéré plus tard comme le fils de vivasvat, paraît n’avoir pas différé primiti­vement de son père, et il n’en différait pas en effet, en tant que tous deux étaient des personnifications d’agni.

La même observation s’applique du reste à yama, dont le ṛgveda, ainsi que nous l’avons dit, fait déjà un fils de vivasvat. Ce dernier a peut-être rempli lui-même les fonc­tions d’un dieu de la mort. C’est du moins ce que donne à penser le vers VIII, 56, 20 : « Que le trait de vivasvat, ô ādityas !.. ne nous atteigne pas avant la vieillesse! » En tous cas, comme vivasvat et manu, yama est le père de la race divine elle-même. « Nous honorons par nos sacrifices, » dit un poëte, I, 83, 5, « la race immortelle de yama25». Au vers X, 21, 5, il est rapproché de vivasvat, comme ayant eu agni pour messager. Aux formules déjà citées « le sacri­ficateur de manus, le sacrificateur de vivasvat », appliquées à agni, paraît s’être ajoutée celle de « sacrificateur de yama », X, 52, 3. Son caractère sacerdotal ressort encore des vers VII, 33, 9 et 12, d’après lesquels vasiṣṭha et les vasiṣṭha-s ont tissé la trame tendue par yama. Telle est en effet la figure par laquelle les poëtes védiques expriment ordinairement la succession ininterrompue des sacrifices26. Nous verrons plus loin, à propos du sacrifice céleste, que, même revêtu du caractère divin, X, 51,1 et 2, yama reste celui qui a trouvé le feu27, ibid. 3, à peu près comme mātariśvan et les bhṛgu-s. L’analogie nous permettrait donc déjà de considérer yama comme une personnification d’agni lui- même. Le nom de yama est, d’ailleurs, non-seulement rap­proché de ceux d’agni et de mātariśvan dans l’énumération des appellations diverses de l’être unique, 1,164, 46, mais directement appliqué à agni28 dans le vers 8 de l’hymne 1,66, tout entier consacré aux louanges du feu : « yama est ce qui est né29, yama est ce qui doit naître; il est l’amant des filles et le mari des femmes. » On peut soutenir, il est vrai, que le mot yama est ici pris dans son sens étymologique ; mais il n’en restera pas moins intéressant de constater que le nom de notre personnage, comme celui de la plupart des anciens sacrificateurs déjà étudiés, se rencontre comme épithète du feu. L’analogie déjà invoquée en devient plus frappante.

Le sens étymologique du mot yama le rendait d’ailleurs très-propre à désigner agni. Ce mot signifie « jumeau »30 et convenait parfaitement à l’une quelconque des formes du feu comparée à ses autres formes. Toutefois dans le mythe de yama, c’est surtout à une jumelle31 que le jumeau est opposé, et il nous faut attendre, pour traiter ce point, le chapitre qui doit être consacré aux rapports des éléments mâles et des éléments femelles. Mais nous trouvons un nouvel argument en faveur de l’identification de yama avec agni dans les fonctions mêmes par lesquelles il nous intéresse ici, c’est-à- dire dans ses fonctions de roi des morts.

Le vers X, 135, 1, déjà cité, d’après lequel yama accueille les anciens dans le séjour où il boit avec les dieux sous un arbre aux larges feuilles, lui donne les noms de père et de chef de race. C’est qu’en effet, il a été le premier homme. Sa sœur jumelle yamī, dans l’hymne où elle l’invite à s’unir à elle, lui dit pour vaincre ses scrupules, X, 10, 3 : « Les im­mortels le veulent, ils veulent que l’unique mortel (actuelle­ment existant) ait une postérité. »

En qualité de premier homme, il a été aussi le premier mort. Le vers X, 13, 4, porte seulement que yama « a aban­donné son propre corps ». Mais un autre passage dit expres­sément qu’il est parti le premier pour l’autre monde, X, 14, 1 : « Celui qui a franchi les grandes montagnes, observant le chemin pour un grand nombre d’autres, le fils de vivasvat qui réunit les hommes, le roi yama, honore-le d’une offrande. — 2. yama a le premier trouvé la voie pour nous. On ne peut enlever à nos pères anciens ce domaine où ils sont partis, suivant les chemins qui sont les leurs et qu’ils avaient ainsi appris à connaître. » L’atharva-veda, en reproduisant avec une variante le premier de ces deux vers, est plus explicite encore, XVIII, 3, 13 : « Celui qui est mort le premier des mortels, celui qui est parti le premier pour cet autre monde, etc. » Il semble que cette conception de yama, comme le premier homme et le premier mort, suffi­rait à la rigueur pour expliquer son élévation à la dignité de roi des morts. Mais qui ne voit combien l’identification de yama avec agni facilite l’explication du mythe ? agni a trois formes, sous chacune desquelles il pouvait être appelé à remplir le rôle dévolu à yama. En qualité d’éclair, il ré­gnait sur ces eaux qui étaient l’un des séjours des morts, sur cette région des nuages avec lesquels était allée se confon­dre la fumée de leur corps, et des vents auxquels s’était réunie leur âme. En qualité de soleil, il était lui-même leur demeure et devait, en revêtant une personnalité divine, devenir leur roi. Le soleil aurait pu même, dans la conception très-ancienne qui place à l’occident le séjour des morts, être celui qui, selon l’expression des vers cités tout à l’heure, a traversé les grandes montagnes (du ciel), et trouvé le pre­mier la route (en s’avançant de l’orient à l’occident). Cepen­dant c’est du feu terrestre, c’est du feu du bûcher qu’on pou­vait dire le plus justement qu’il avait frayé la route et montré le chemin aux ancêtres. Toutes les fonctions, réelles ou supposées, d’agni ont dû concourir à la formation du mythe de yama, aussi bien que l’idée du premier homme, qui d’ailleurs semble être dans le ṛgveda inséparable de celle du feu. Mais c’est sa fonction réelle de conducteur des morts qui paraît être dans la plus étroite relation avec celle de roi des morts, surtout si on la complète par l’idée qu’agni, en conduisant les morts dans le soleil ou dans les eaux, se réunissait lui-même au soleil ou à l’éclair32.

Les deux rôles semblent d’ailleurs avoir été primitivement réunis dans le personnage de yama. Nous venons de rappeler le passage où il est représenté frayant la voie aux ancêtres, et dont on peut rapprocher le vers I, 38, 5 adressé aux marut-s : « Que votre chantre……ne parte pas par le chemin de yama ! » c’est-à-dire ne meure pas encore. Désormais roi d’un séjour mystérieux, ce qui n’a rien de contradictoire avec la notion d’agni, si souvent conçu comme retiré dans le monde invisible, yama n’est plus sans doute le conducteur des morts au sens primitif et naturaliste. Mais il ne se con­tente pas pourtant de régner paisiblement sur son peuple, il cherche à l’augmenter par des conquêtes ; en d’autres termes, comme son père vivasvat dans le passage cité plus haut, il est le dieu de la mort. C’est en ce sens que l’auteur du vers X, 135, 2 a pu dire de lui : « J’ai considéré avec colère celui qui accueille les anciens, et qui agit si mécham­ment; mais je lui ai de nouveau adressé mes vœux. » Au vers X, 165, 4 il reçoit même le nom de mṛtyu « la mort ». C’est peut-être dans le même sens, et non pas seulement par allusion au chemin parcouru par yama, le premier mort, qu’il faut entendre le texte cité tout à l’heure : « Que votre chantre ne parte pas par le chemin de yama ! » La prière pour la longue vie prend un sens tout particulier quand elle est adressée à yama, dieu de la mort, X, 14, 14.

Dans la mythologie postérieure, yama vient lui-même chercher les morts, et si ce rôle, analogue à celui du dieu psychopompe dans la mythologie grecque, ne lui est pas expressément attribué dans nos hymnes, ce n’est pas une raison de croire qu’il ait été tardivement introduit dans la conception du roi des morts. C’est au contraire la distinction de yama et du messager, X, 165, 4, ou des deux messagers, X, 14, 12, de yama, car l’emploi dont il s’agit n’est pas resté sans titulaire dans le ṛgveda, c’est cette distinction, dis-je, qui, comme nous allons le voir, peut passer pour une forme secondaire du mythe. Or, l’idée d’un être divin qui vient chercher les morts paraît se rattacher étroitement à celle du feu qui les emporte, et qui d’ailleurs est sans cesse sur le chemin du ciel, tantôt pour y monter, tantôt pour en descendre.

Le messager de yama, dans l’hymne X, 165, qui au vers 1 l’appelle aussi le messager de nirṛti (la destruction), est un oiseau33 qui annonce la mort et dont on cherche à détourner la fatale influence. Cet oiseau ne diffère pas mythologiquement du trait « ailé » qui représente aux vers 2 et 3 la menace de mort, et dont il est dit, comme de l’oiseau lui-même (vers 4), qu’il descend dans le feu, dans le foyer, (littéralement qu’il le prend pour séjour.) Tous ces détails sont aisés à expliquer. Le feu, et particulièrement le feu venant du ciel, est très-souvent conçu comme un oiseau, aussi bien que comme un trait ailé. En descendant dans le foyer, le trait ailé, qui rappelle le trait de vivasvat ou l’oiseau messager de yama, c’est-à-dire le feu céleste qu’ils représentent l’un et l’autre, transforme sans doute le feu domestique en un feu funèbre qui doit par suite retourner au ciel et y porter celui qui l’entretenait. Il se peut d’ailleurs que dès lors le feu descendant du ciel sous forme d’oiseau ait été identifié à un oiseau réel. La formule du vers 4: « Puisse ce que dit le hibou rester sans effet! »,paraît même faire allusion à une superstition qui s’est conservée jusqu’à nos jours. Mais le sens primitif, ou au moins le sens védique du mythe, n’en est pas moins clairement indiqué par les premiers détails relevés. Aussi bien le hibou est-il dans la mythologie indo-européenne un représentant bien connu du feu descendant du ciel, et sa voix a pu être primitivement la voix du tonnerre.

Les deux messagers de yama, que nous connaissons par les vers X, 14, 1012, sont, non pas des oiseaux, mais des chiens. Cette forme symbolise naturellement l’idée de « gar­dien », et en effet ils reçoivent au vers 11 l’épithète pathirakṣi « gardiens du chemin », le chemin dont il s’agit étant bien entendu celui par lequel les morts arrivent dans leur nouvelle demeure. Mais en qualité de messagers, ils vont trouver les hommes (v. 12), à peu près comme l’oiseau, et porter chez eux la mort, puisque les survivants demandent qu’ils leur rendent la vie, pour voir encore le soleil, ibid. Ce sont eux aussi qui conduisent à yama son nouveau sujet, puisqu’on prie le roi des morts de le confier à eux (v. 11). Le souhait que le vers 10 adresse au mort lui-même : « Echappe aux deux chiens……en suivant le bon chemin », ne paraîtra pas contradictoire avec cette idée, si l’on se rappelle les formules et les rites destinés à préserver des brûlures du feu le cadavre qu’il emporte dans le ciel. En somme les deux chiens de yama, auxquels on attribue quatre yeux (v. 10 et 11), comme à agni, I, 31, 13, qui « fait face de tous côtés », jouent ensemble, tantôt le rôle du feu descendant du ciel, tantôt celui du feu qui y remonte. Selon toute vrai­semblance ils représentaient à l’origine ces deux feux, ou encore le feu céleste et le feu terrestre réunis en couple.

Il résulte de ce qui précède que le messager ou les messagers de yama sont primitivement identiques à yama lui-même, en tant que représentant comme lui le feu dans sa relation avec les morts, et que les fonctions qui leur sont attribuées ont pu l’être aussi dès l’origine, comme nous voyons qu’elles l’ont été plus tard, à celui qui, d’après le ṛgveda, les envoie à sa place. Nous verrons d’ailleurs plus loin en étudiant le mythe de la naissance des jumeaux dont l’un est yama, que la filiation de ce couple est mythologiquement identique à celle des deux chiens, messagers de yama34. C’est alors seulement que nous pourrons expliquer le métronymique sarameyau « nés de Saramà » appliqué à ses chiens.

Quant à présent, nous en aurons fini avec le roi des morts après une observation importante concernant ses premiers sujets. Déjà nous avons souvent, dans les citations précé­dentes, rencontré le terme de « pères », sans insister sur une expression qui semblait suffisamment claire par elle-même. Il est utile de remarquer pourtant que si elle s’applique sans contredit aux ascendants immédiats de chaque famille, elle désigne aussi et même principalement dans nos hymnes les anciens ou les premiers pères, X, 15, 8 et 10, ceux qui ont les premiers suivi les sentiers antiques, X, 14, 2, par où les morts des temps nouveaux vont les rejoindre, X, 14, 7 ; cf. 9, les ṛṣi-s premiers-nés qui ont « fait » les chemins, X, 14, 15, et pour tout dire en deux mots les ancêtres mythiques de la race. Au vers X, 14, 6, ces ancêtres sont nommés par leurs noms dans une énumération des « pères »35 com­prenant avec les navagva-s que nous retrouverons plus tard, les aṅgiras, les atharvan-s et les bhṛgu-s dont nous avons déjà reconnu le caractère. Celui des vasiṣṭha-s au vers X, 15, 8 ne paraît guère moins mythologique. C’est d’ailleurs avec les aṅgiras que yama semble être dans un rapport particulièrement étroit, X, 14, 2-5. Or nous savons que le chef des aṅgiras, comme de toutes les troupes analogues, est agni. C’est un rapprochement de plus entre agni et yama.

Des pères qui viennent d’être nommés, et qui, non-seulement sont immédiatement rattachés au feu, leur chef et leur père, mais n’ont guère d’autres attributs que ceux qu’ils lui empruntent, on pouvait dire, comme du feu lui-même, que leur arrivée dans le ciel avait été un retour. Plus générale­ment, le départ des morts pour leur nouvelle demeure devait être ainsi conçu en vertu du mythe de l’origine ignée de la race humaine. C’est cette idée qui paraît exprimée dans des formules dont le sens pourrait sembler équivoque, s’il n’était pas éclairci par le rapprochement d’une formule analogue, appliquée à un être qui, comme nous le verrons plus tard, représente soit agni, soit soma, et qui en tous cas a trois formes correspondant aux trois mondes, X, 56, 1 : « Voici une de tes splendeurs ; une autre est plus haut ; réunis-toi à la troisième; en te réunissant à ton corps (à toi-même36), sois agréable, sois cher aux dieux dans ta naissance suprême! » Comme agni ou soma, dont nous constaterons l’identité my­thologique avec agni, en se réunissant au soleil ou à l’éclair, se réunissent à eux-mêmes, les morts qu’agni emporte avec lui vont aussi rejoindre leur principe, ce que les hymnes ex­priment en disant d’eux pareillement qu’ils se réunissent à eux-mêmes ou à leurs corps, X, 16,5 : « Rends aux pères, ô agni, celui qui t ’est sacrifié avec les offrandes funéraires ; revêtant la vie (céleste), qu’il aime sa postérité; qu’il se réunisse à son corps, ô Jātavedas » ; X, 14, 8 : « Réunis-toi aux pères, réunis-toi à yama, trouve l’accomplissement de tes désirs dans le ciel suprême ; débarrassé de toute imperfection, retourne dans ta demeure ; plein d’éclat, réunis-toi à ton corps. »

La même formule est appliquée aux pères eux-mêmes : « Ils sont rentrés dans leurs corps », X, 56, 4. Mais pour eux elle peut prendre un sens particulier, quoique étroitement lié au précédent. En effet, bien que le vers X, 88, 15, (cf. le vers 5 de l’hymne X, 130, et l’ensemble do cet hymne), distingue deux sortes de pères ou d’ancêtres, ceux des hommes, et ceux des dieux vraisemblablement identiques aux « anciens » dieux, X, 90, 16, que nous retrouverons plus tard, les ancêtres de la race humaine sont eux-mêmes souvent assimilés aux dieux. Établissons d’abord ce point.

Je n’insisterai pas sur les offrandes qu’on fait aux pères. Ces offrandes, quoique d’après le vers X, 154,1 elles parais­sent comprendre les principaux éléments des sacrifices offerts aux dieux, représentent la nourriture qui de tout temps a été due aux morts, et sont au vers X, 14, 3 expressément dis­tinguées sous le nom de svadhā, cf. X, 15, 12; 16, 5, des offrandes aux dieux désignées par le mot svahā. Mais là ne se bornent pas les rapports des pères avec les hommes vivant sur la terre. Non-seulement ceux-ci les nourrissent, non-soulement ils craignent de les irriter, III, 55, 2; X, 15, 6, mais ils les invoquent, VI, 75, 9-10, comme des protecteurs, I, 106, 3; X, 15, 5; cf. 3, ils les prient de donner la ri­chesse à leurs fils, ibid. 7, ils souhaitent d’être dans leurs bonnes grâces, X, 14, 6 (. Les vasiṣṭha-s sont ainsi dans le vers VII, 33, 1 appelés au secours de leurs descendants, cf. 4 et X, 15, 8, et ce sont peut-être eux encore qui, au vers VII, 7, 6 « exaucent » leur race. A la vérité, on ne pouvait guère considérer les ancêtres comme vivant d’une vie nou­velle, sans les concevoir en même temps comme agissants. Mais cette vie nouvelle qu’ils mènent dans le ciel, n’est-ce pas la vie même des dieux? Nous rencontrerons plus tard un nom des dieux, celui d’asura, dérivé d’un mot asu signifiant souffle, mais désignant aussi dans le ṛgveda les sources célestes de la vie. Les asura-s sont ceux qui s’abreuvent directement à ces sources. Or, c’est à ces mêmes sources que les morts transportés au ciel puisent leur vie nouvelle. Il est dit en effet des pères qu’ils sont allés dans l’asu, X, 15, 1. Cette conception s’est fixée dans un mot composé, asunīti, qui paraît signifier « le chemin de la vie 37», c’est-à-dire le chemin suivi par les morts montant au ciel, et qui est devenu le nom d’un génie funèbre, X, 59, 5-0.

D’ailleurs, les pères ne participent pas seulement à la vie des dieux; les chantres védiques ne se bornent pas non plus à les représenter sur le même char qu’indra et que les dieux, X, 15, 10 : ils les divinisent formellement. Bien plus, le vers X, 16, 2 souhaite au mort même dont les funérailles s’accomplissent, de devenir, en suivant le chemin de la vie (asunīti), le chef des dieux, celui qui les conduit à sa volonté, devanām vaśanīḥ 38. Toutefois, c’est avant tout aux premiers ancêtres de la race qu’est attribué le caractère divin. Il faut même remarquer que dans ce lointain mythologique, les pères et les dieux peuvent se confondre. En effet, l’immortalité des dieux mêmes est une immortalité acquise, X, 53, 10; 63, 4. Nous verrons bientôt que c’est par le sacrifice qu’ils ont conquis leur droit au sacrifice, et qu’ils se sont élevés au ciel où d’ailleurs étaient déjà des dieux plus anciens, I, 164, 50; X, 90, 16. C’est encore sans doute aux dieux, nommés dans le vers précédent, qu’il faut rapporter ce passage, I, 68, 4 : « Tous reçoivent en partage l’essence divine, en observant toujours la loi immortelle. » L’auteur du vers X, 13,1 invoque « tous les fils de l’immortalité (les immortels) qui ont pris la nature divine. » Nous avons du reste fait ob­server que les bhṛgu-s jouent, au moins quelquefois, le rôle d’êtres exclusivement divins, et nous avons vu, ou nous verrons dans la suite de ce livre, que le caractère divin se combine avec celui d’anciens prêtres dans la conception des aṅgiras et de tous les groupes du même genre. Mais le titre de dieux et le nom de pères sont expressément et à la fois attribués aux mêmes personnages, précisément dans le vers où se rencontre la formule citée plus haut, X, 56, 4 : « Les pères sont entrés en possession de leur haute dignité ; dieux, ils ont exécuté leurs desseins parmi les dieux; ils ont enroulé ce qu’ils avaient développé (littéralement mis en mouvement) ; ils sont rentrés dans leurs corps. »

J’ai dit que cette formule pouvait avoir là un sens particu­lier. E t en effet les pères, en tant qu’assimilés aux dieux, peu­vent être considérés comme se manifestant dans l’espace visible, sous la forme des phénomènes célestes qui, ainsi que nous le verrons, forment la base de la conception des dieux védiques, et comme rentrant dans leurs corps quand ces phénomènes disparaissent. Ajoutons qu’ils pourraient l’être par la seule raison qu’ils sont réunis au soleil ou aux eaux du ciel. Ce trait de notre dernière citation : « Ils ont enroulé ce qu’ils avaient développé », s’explique très-bien dans ce sens. Au vers II, 24, 6 il est dit des compagnons de bṛhaspati, c’est-à-dire d’un groupe d’anciens prêtres, qu’ils sont remontés au lieu d’où ils étaient venus, après avoir observé les actes contraires à la loi, cf. ibid. 7, c’est-à-dire sans doute, après avoir, avec le soleil auquel ils sont réunis, surveillé les œuvres des hommes, (cf. quatrième partie, ch. II, sect. v). On peut leur comparer, dans l’ordre des phéno­mènes météorologiques, ces oiseaux dont il est dit au vers I, 164, 47, que lorsqu’ils sont revenus du séjour de la loi, c’est-à-dire du lieu mystérieux qu’ils habitent, la terre est arrosée de beurre (de pluie). Cependant, le plus probable est que nos formules font allusion à la fois à l’ascension des pères remontant de la terre au ciel, et à leur disparition après qu’ils ont été momentanément manifestés dans l’espace visible. Il doit au moins en être ainsi dans l’hymme I, 72, où des personnages qui, d’après le vers 9, « se sont incorporés dans une nombreuse postérité39, en se frayant une voie à l’immor­talité », sont représentés au vers 5, à la fois « se faisant leurs corps après avoir abandonné leurs corps », et, de même que ceux qui ont observé les actes contraires à la loi, « veil­lant à tour de rôle », apparemment dans le soleil auquel ils sont réunis. Les mêmes personnages, d’après le vers 9, ont «après avoir honoré agni trois saisons, sacrifié leurs corps et pris des formes sacrées ». Remarquons à ce propos qu’on peut citer d’une façon générale comme faisant allusion, soit à l’as­cension des anciens prêtres de la terre au ciel, soit aux apparitions et aux disparitions successives des phénomènes célestes, les nombreux emplois des formules telles que : « Ils ont pris dans le mystère leurs formes suprêmes », X, 5,2, ou « ils ont pris leurs essences sacrées », VI, 1, 4, que nous retrouverons souvent appliquées aux marut-s.

D’ailleurs le vers même qui a donné lien à toutes ces explications est immédiatement suivi d’un trait qui se rap­porte évidemment à l’apparition des pères dans le ciel, à leur manifestation dans les phénomènes célestes, X, 66, 5: « Par leur puissance, ils ont parcouru tout l’espaoe, réalisant les antiques essences qui n’existaient pas encore. » Il s’agit du reste, comme on le voit, de la première apparition de ces phénomènes, du branle donné pour la première fois aux révo­lutions célestes qui constituent l’ordre du monde. La suite du même passage n’est pas moins intéressante. Les pères continuent à y jouer le rôle de véritables puissances cosmo­goniques, en tant que premiers auteurs des races humaines, et généralement de tous les êtres, X, 56, 5: « Tous les êtres ont été contenus en eux (dans leurs corps) ; ils ont provigné diversement dans les créatures » ; et plus loin, X, 56, 6 : « …Les pères ont placé leur postérité, la force qui leur est propre, dans les (demeures) inférieures40, comme un tissu tendu41. » Il ne semble pas toutefois qu’ils représentent là des pouvoirs aussi primordiaux que ceux dont il est question au vers, 164, 36, que ces sept êtres à demi formés42, qui sont la semence du monde, et dont on peut rapprocher l’être sans os produisant celui qui a des os, I, 164,4, et le «non né» auquel se rattache un être unique, viśvakarman, X, 82, 6. Les pères dont il s’agit dans notre passage sont eux-mêmes les fils de l’asura céleste que « par leur troisième œuvre » ils ont « séparé en deux », ou « établi en deux endroits », et qui représente sans doute agni, partagé entre le ciel et la terre. Ils n’en sont pas moins, par les traits déjà cités, et par ce dernier même que nous retrouverons tout à l’heure, assimilés à des dieux. Mais ils restent pourtant les ancêtres de la race humaine dans le ciel, et bien que conçus comme ayant habité le ciel dès l’origine, ils sont identiques aux pères qui y sont parvenus, ou plutôt qui y sont retournés. Ne dit-on pas en effet du mort même dont le corps est, dans une cérémonie réelle, actuelle, emporté par le feu du bûcher, et qui va rejoindre les pères, qu’il se réunit à lui-même ou à son propre corps ? Il ne faudrait pas croire d’ail­leurs que l’attribut de l’humanité fût, dans les idées védiques, incompatible avec les hautes fonctions cosmogo­niques qui sont attribuées aux pères en question dans les vers X, 56, 4-6, et dans bien d’autres. Nous verrons en effet plus loin que, par le sacrifice, les anciens prêtres ont exeroé toutes celles qui auraient dû être, à ce qu’il semble, le privilège des dieux.

On peut résumer les observations qui précèdent, et expli­quer d’un mot les confusions et les identifications signalées, en rappelant que les «pères» participent de la nature d’agni, leur prototype, et lui sont mythologiquement assimilés. Ils ont comme lui leur première origine au ciel, et s’y mani­festent sous toutes les formes qu’il y prend lui-même, et comme ils remontent au ciel avec lui, ils en sont avec lui descendus.

Sur ce dernier point une remarque est encore nécessaire.

Comme il résulte de diverses expressions des textes précé­demment cités, le fils n’est en quelque sorte qu’une autre forme du père, et, pour les premiers pères, placer leur pos­térité sur la terre, c’était, en un certain sens, y descendre eux-mêmes. En ce même sens, les pères continuent à habi­ter la terre où ils provignent dans leurs arrière-neveux. Il y a plus, et comme le feu redescend sans cesse dans les plan­tes, rapportant ainsi à la terre le principe de vie qui devient la nourriture du père et est transmis par lui à ses enfants, les pères mythiques qui, en dernière analyse, représentent ce feu lui-même, ont pu être conçus comme redescendant aussi sur la terre, et comme y redescendant dans les plantes. Nous touchons ici à un mythe qui joue un rôle beaucoup plus important dans la mythologie indo-européenne que dans la mythologie védique, et qui a été étudié par M. Kuhn dans son livre sur la descente du feu, celui de l’origine vé­gétale de la race humaine. Ce mythe a pris diverses formes et a pu avoir diverses origines. Je me borne à signaler l’allusion la plus claire qui semble y être faite dans le ṛgveda. Elle se rapporte à la notion que nous venons d’indiquer, celle de la descente des pères dans les plantes. En effet le vers déjà cité, X, 16, 3, outre ces formules : « Que l’œil aille dans le soleil, l’âme dans le vent, » et: « Va dans les eaux, si tu t ’y trouves bien, » contient encore les suivantes: «Va, selon la loi, dans le ciel et sur la terre, » et « Prends un corps dans les plantes. » J’avais relevé déjà la mention des pères « inférieurs » et celle plus précise des pères « qui sont établis dans le séjour terrestre, » en annonçant qu’elle pourrait s’expliquer par le mythe de la descente des pères.

Signalons un dernier trait de ressemblance entre les pères et agni. Si les pères sont immortels et ont souvent le caractère divin, aussi bien qu’agni lui-même, ce caractère divin et cette immortalité sont quelquefois considérés chez agni, de même que chez les pères, comme des attributs acquis. Nous avons déjà fait une observation analogue pour les dieux en général. Mais cette idée devait être, dans son application au principe igné lui-même, l’objet d’une remarque spéciale. Nous analyserons avec quelque détail, dans le paragraphe suivant, l’hymne X, 51, où l’immortalité est promise à agni par les dieux, en récompense des services qu’il est appelé à leur rendre dans le sacrifice. L’analogie avec les pères est donc complète. Dans l’hymne X, 52 dont nous consta- torons la ressemblance avec l’hymne X, 51, agni demande pareillement l’immortalité aux dieux (vers 5). J’interprète dans le même ordre d’idées le vers VIII, 49, 15, d’après le­ quel agni porte les offrandes et règne ensuite parmi les dieux, et le vers VIII, 23, 18 portant qu’agni, pris pour messager par les dieux, est devenu, par son obéissance, le premier de ceux qui ont droit au sacrifice. Ce dernier trait rappelle l’aban­don que les dieux font à agni d’une part de l’offrande, dans l’hymne X, 51. On lit encore, au vers X, 122, 5, qu’agni est « appelé à l’immortalité » (cf. IX, 108, 3); le vers I, 69, 6 lui souhaite d’acquérir « toutes les essences divines » et le vers I, 72, 1 le représente prenant pour lui toutes les immortalités43.

  1. Cf.l’application fréquente à agni de l’adjectif ūrdhva «droit» 

  2. Ne serait-ce pas à ce double voyage que ferait allusion la formule udvato nivato yāti: « il part de la montagne et de la vallée, » III, 2, 10 ; X, 142, 42. Cf. X, 142, 2 : « Le penchant de la montagne, ô agni, est le lieu de ta naissance. » 

  3. Le vent, dont nous signalerons les rapports avec agni, à mesure que l’occasion s’en présentera, est aussi appelé le messager des dieux, X ,187,3. 

  4. Cf. l’application assez fréquente de l’épithète divispṛś «qui touche le ciel»,soit au feu, soit au sacrifice lui-même.(Gr. Wört. s.v.) 

  5. Proprement «faisant effort, allant avec les rayons du soleil». L’idée d’union est, selon moi, exprimée par l’instrumental seul, et non par la racine yat elle-même comme l’entendent MM.Roth et Grassmann. 

  6. Ici le préfixe sam donne sans contredit à la racine yat le sens de «se réunir». 

  7. Cf. IV, 6, 2. 

  8. C’est ici la racine tan qui prend avec le préfixe sam le sens de «se réunir». 

  9. Ainsi qu’une longue vie. Il ne faut pas s’étonner de trouver la mention de ce dernier bien après celle de l’immortalité dans des énumérations où l’on attendrait une gradation. D’une part en effet la continuité de la grada­tion est souvent négligée par les poètes védiques. De l’autre on peut douter que la longue vie actuelle ait été pour eux un bien moins précieux que l’im­mortalité future. 

  10. Salaire du sacrifice. Voir plus bas. 

  11. Tel autre passage d’après lequel le bienfaiteur du prêtre « a atteint le ciel », VIII, 6, 48, pourrait à la rigueur s’entendre en ce sens qu’il s’est rendu glorieux aux yeux des dieux, VIII, 54, 12, que sa gloire s’est élevée jusqu’au ciel, cf. V, 35, 8. Cependant la formule « Ils se sont acquis de la gloire parmi les dieux » au vers X, 155, 5, semble bien s’appliquer à la conquête de l’immortalité. La chose parait certaine pour la formule analo­gue « Ils se sont acquis de la gloire dans le ciel », au vers I, 73, 7, d’après le contexte de l’hymne et de tous ceux de la même série. Mais il ne saurait y avoir de doute en aucun cas sur la portée des citations faites dans le texte. J’ai réservé l’allusion des vers 1,125, 6 ; X , 107, 2 au séjour dans le soleil. 

  12. L’hymne védique auquel a été emprunté le dernier passage cité, men­tionne parmi les assistants la veuve, qu’il invite à laisser là le mort pour rentrer dans le monde des vivants, X, 18, 8. Mais de ce que le sacrifice de la veuve, remis plus tard en honneur, aurait été condamné par les ārya-s védiques comme une coutume barbare, il ne suivrait pas que cette coutume ne pût être néanmoins très-ancienne. D’après le même hymne d’ailleurs, l’arc du mort lui est également repris (v. 9). 

  13. Le chemin des pères, X,2, 7, ou de la mort, X, 18, 1, est aussi distin­gué du chemin des dieux. L’offrande aux morts est d’ailleurs, comme l’of­frande aux dieux, élevée par agni jusqu’au séjour suprème, X,16,10. 

  14. Cet hymne est pourtant celui auquel nous avons emprunté plus haut ce passage : « Que l’œil aille dans le soleil, l’âme dans le vent» (v. 3). Mais il ne faut pas demander aux poètes védiques trop de conséquence dans l’usage qu’ils font de formules provenant sans doute de sources diverses et intro­duites pèle-mèle dans un même hymne, peut-être d’ailleurs dès sa première rédaction, et dans des termes propres à son auteur. Une foule d’hymnes donnent lieu à des observations analogues, et ce fait est la meilleure justifica­tion de la méthode suivie dans tout le livre, du parti que j’y ai pris de suivre les traces d’une même idée à travers le recueil entier du ṛgveda, sans chercher à mettre tel ou tel poète d’accord avec lui-même. 

  15. Le mot aja signifie « bouc » et « non né »; en le prenant dans le second sens on devrait traduire : « Il y a une partie (du corps) qui n’est pas née (qui est éternelle) ; échauffe-la, etc. ». Je suis l’interprétation de MM. Roth et Grassmann. Elle me semble suffisamment justifiée par sa concordance avec le rite. Nous retrouverons le bouc dans le sacrifice du cheval. Remar­quons à ce propos que les recommandations faites à agni en faveur du mort lui seront faites également en faveur du cheval, qui doit arriver intact chez les dieux. 

  16. L’idée de graisse est exprimée dans le texte par deux termes à peu près synonymes. 

  17. Le poète demande même à agni, non-seulement de ne pas endommager le corps, mais de guérir les blessures que peuvent lui avoir faites certains animaux, X, 16, 6. Une prière analogue lui est adressée dans le sacrifice du cheval. — On pourrait croire encore qu’au vers 8 la coupe qu’agni ne doit pas détruire est le mort lui-méme qui, dans sa vie, est devenu une coupe de soma en buvant ce breuvage sacré, cf. 6 ; mais il est possible aussi que le poëte ait en vue les ustensiles brûlés avec leur possesseur, que celui-ci doit retrouver intacts dans sa vie nouvelle. 

  18. Peut-être même l’opposition signalée dans le vers 2 correspond-elle à celle que présente le même vers dans son premier hémistiche ; les pères « partis les premiers » seraient déjà redescendus sur la terre, tandis que ceux qui les ont suivis sont encore dans le ciel. 

  19. Le même vers, auquel nous avons déjà emprunté le passage : « Que l’œil aille dans le soleil et l’âme dans le vent », assigne pour séjour au mort la terre aussi bien que le ciel, et, après lui avoir proposé le séjour des eaux, ajoute : « Prends un corps dans les plantes. » Ce dernier trait semble appartenir au mythe du retour des morts sur la terre que nous étu­dierons plus loin, aussi bien que le vers 13 dont il va être question dans la note suivante. 

  20. Le vers 14 parait plus clair dans la leçon de l’atharva-veda, XVIII, 3, 60. Il semblerait dans le ṛgveda adressé à l’une des plantes nommées au vers 13. Il l’est dans l’atharva-veda à la grenouille, invitée à chercher la fraîcheur des eaux, à y apaiser l’ardeur du feu (qui l’a brûlée ?), et qui parait être le mort lui-même. Cf. Revue critique. 1875, II, p. 893. A la vérité, le rituel funéraire déjà cité (4,1) prescrit de choisir pour la crémation un lieu où l’eau coule de tous côtés. Mais le premier hémistiche du vers de l’atharva-veda renferme la mention expresse du nuage, et d’ailleurs le rite lui-même ne s’explique que par le mythe du séjour des morts dans les eaux. La der­nière observation parait applicable au rite dont il est question au vers 7, la graisse ou le beurre représentant les eaux célestes, pareillement nom­ mées des vaches» 

  21. Nous verrons plus tard qu’au vers X, 14, 16, où yama d’ailleurs est représenté comme embrassant l’Univers, le « grand unique » opposé aux six mondes est pareillement le monde du mystère. On peut sans doute en dire autant du séjour de yama où est placé l’oiseau messager de varuṇa, X,123, 6. 

  22. Toute la seconde partie de l’hymne IX, 113 est du plus grand intérêt pour le sujet du mythe de l’autre vie ; nous la retrouverons, ainsi que d’autres textes également réservés, à propos du rôle de soma dans ce mythe. 

  23. Au vers X, 12, 7, le séjour de vivasvat où se réjouissent les dieux parait être la place du sacrifice céleste. Voir plus bas. 

  24. Si le génitif vivasvataḥ n’est pas une épithète du char des aśvin-s. 

  25. On pourrait prétendre que cette expression désigne les pitṛ-s, les ancê­tres tels qu’atharvan et uśanas kāvya nommés dans le même vers ; mais la comparaison des mythes de manu et de vivasvat rend mon interprétation plus vraisemblable. 

  26. Au vers I, 116, 2, le combat de yama (si toutefois le mot est ici nom propre) est aussi vraisemblablement le sacrifice de yama. Cf. le « combat de vivasvat », IX, 66, 8. 

  27. Nous pourrons comparer plus loin le ven I, 163, 2, d’après lequel c’est yama qui a donné le cheval du sacrifice, représentant soma, lequel est lui-même essentiellement identique à agni

  28. Nous verrons aussi que le vers 1, 163, 3, identifie à yama le cheval du sacrifice qui, d’après le vers 2, aurait été donné par lui. Ce mythe est donc exactement parallèle à celui qui, tantôt identifie yama au feu, tantôt lui attribue la découverte du feu. 

  29. Littéralement « yama est né. » 

  30. Il a été interprété plus lard dans le sens de « dompteur », suggéré par les fonctions de yama comme dieu des morts. Mais ce sens n’appar­tient dans le ṛgveda qu’au mot yama paroxyton, VIII, 24, 22; 92,10, em­ployé aussi comme abstrait, I, 73, 10; II, 5, 1; 111, 27, 3, cf. V, 61, 2. Le sens de « jumeau » convient à tous les emplois du mot yama oxyton comme nom commun. 

  31. A yamī, dans l’hymne X, 10 ; cf. X, 13, 6. 

  32. Au vers X, 18, 13, yama est prié ainsi que les pères de consolider la demeure du mort dans la tombe. Mais il ne faut voir là sans doute qu’un nouvel exemple de la facilité avec laquelle les croyances conformes à des rites nouveaux se généralisent en dépit de la conservation des rites anciens dans certaines tribus ou dans certaines familles. 

  33. Cf. l’oiseau, messager de varuṇa, que le vers X, 123, 6 place dans le séjour de yama

  34. Et des aśvins que leur nom de nāsatya rapproche encore des deux chiens, qualifiés au vers 12 de urūnasau « au large nez ». 

  35. Le vers X, 15, 13 supplée à cette énumération par la formule « ceux que nous connaissons, et ceux que nous ne connaissons pas ». 

  36. Le mot tanū « corps », comme le mot ātman « âme », tient souvent lieu de pronom réfléchi. 

  37. D’après son accentuation (sur l’a initial) le composé est possessif, et, rapproché du texte cité «les pères qui sont allés dans l‘asu », il ne semble pas pouvoir signifier autre chose que « conduisant à la vie ». Je précise cette interprétation dans le sens de « chemin », pour tenir compte de l’emploi du mot avec les verbes de mouvement: « Quand il suivra ce chemin qui conduit à la vie », X, 16, 2 ; cf. 12, 4. Du sens étymologique « conduisant à la vie » on a pu passer directement à l’idée d’un génie funèbre. 

  38. M. Grassmann a très-bien vu le vrai sens du composé vaśanī, méconnu par M. Roth. 

  39. A ye viśud svapatyāni tasthub, littéralement « qui ont pris (pour forme) toutes les belles postérités ». Cf. X, 13,1 : ā ye dhāmānidivyāni ṭasṭhuḥ », qui ont revêtu des formes divines. 

  40. D’après le vers 7, un personnage désigné par le nom de bṛhaduktha, que l’anukramanī donne pour l’auteur de l’hymne, cf. X, 54, 6, mais qui parait être un ancêtre, et dont le nom est peut-être au vers V, 19, 3, ap­pliqué à agni, a placé sa postérité dans les demeures inférieures et dans les demeures supérieures. Il y a là sans doute une allusion aux deux groupes des vivants et des morts d’une môme famille, ou peut-être de la race en­tière. — Cf. encore IX, 83, 3. 

  41. Ce trait marque la succession ininterrompue des générations. 

  42. Ardha-garbha, «demi-fœtus », et non « se trouvant à l’intérieur de la matrice », comme le veulent MM. Roth et Grassmann.— D’après le second hémistiche, ces êtres « qui embrassent tout » semblent identifiés aux sept ṛṣi-s. Voir plus bas. 

  43. Nous renvoyons à la section consacrée aux asura-s dans le chapitre I de la quatrième partie les textes relatifs à l’acquisition par agni de la dignité d’asura, V, 10, S; VII, 5, 6. Il va sans dire que l’immortalité d’agni n’est pas toujours considérée comme acquise. Le vers X, 45, 8, par exemple, porte qu’il a été immortel dès sa naissance.