Louis Renou

histoire de la langue sanskrite

da Histoire de la langue sanskrite, IAC, 1956

PÉRIODE VÉDIQUE

Le mot saṃskṛta, attesté depuis le rāmāyaṇa comme terme linguistique, signifie en propre «accompli, parfait» : il fait allusion implicite aux saṃskāra1, c’est- a-dire aux procédés d’« achevement» grammatical (et plus tard aussi, stylistique) grace auxquels la matière brute du langage, la prakṛti, est conduite a la perfection formelle; ou, comme dit poétiquement le plus ancien scrutateur du langage, l’auteur de l’hymne X. 71 du ṛgveda, est «clarifiée » ainsi qu’« on clarifie le grain a l’aide du crible» (sáktum iva títaūnā punántaḥ). Il existe sans doute dès l’origine une connotation d’ordre spirituel : saṃskṛta évoque aussi la suite des purifications religieuses, des sacrements (saṃskāra) par lesquels passe I’Hindou de haute caste, entre la naissance et la mort. L’idée de la grammaire comme instrument de purification est présente dans le plus ancien commentaire grammatical, la paspaśā du mahābhāṣya, comme a travers toute la mīmāṃsā.

Le mot «sanskrit» est ainsi l’une des rares désignations de langue qui ne soit pas de provenance ethnique ; en revanche, le mot «âyen» (ārya) qui aurait pu servir a nommer le sanskrit (lequel, pour les linguistes modernes, est l’«indo- âryen ancien ») s’est limité a désigner une élite dont les droits étaient censés reposer d’abord sur la race, ultérieurement sur la classe sociale : le terme n’a pas d’acception directement linguistique2 .

La langue védique et ses origines

Le plus ancien document qui nous ait été conservé en sanskrit est le massif recueil d’hymnes aux divinités du veda qu’on appelle le ṛgveda (le nom précis serait ṛgveda samhitā). Ce texte nous est accessible à travers la codification et l’adaptation phonique que la tradition rattache au nom de śākalya et qui reflètent des préoccupations savantes propres à un âge plus récent (mettons par hypothèse le VIII ou même le VI s. avant notre ère). Bien entendu la « rédaction » même des Hymnes (rédaction orale), à plus forte raison l’invention des formules et chaînes strophiques sur lesquelles ils reposent, se sont opérées à une date bien plus haute et ont dû exiger plusieurs siècles. On s’est demandé si les débuts de cette activité n’avaient pas précédé l’incursion des tribus « védiques » dans l’Inde. On a le sentiment, bien plutôt (à défaut d’indice positif), qu’il ne faut pas les situer au delà du X tout au plus du XII siècle avant notre ère. Tout ce qui postulerait dans l’œuvre une date antérieure doit être simple souvenir.

Porteuses de la civilisation védique, ces tribus avaient envahi l’Inde sans doute peu avant le milieu du second millénaire. Elles venaient de Bactriane par le Kāpiśa et le Gandhāra et s’étaient étalées le long du bassin supérieur de l’Indus. Certains pensent que la destruction de la culture dite de l’Indus (Mohenjo-Daro, Harappa etc.) a été leur œuvre ; il est plus probable que cette culture avait déjà disparu à l’arrivée des Âryens3.

Quelques faits extérieurs à l’Inde attestent à haute époque une certaine diffusion du védisme : c’est ainsi qu’on a retrouvé en Cappadoce un document du XIV s. énumérant des dieux garants d’un contrat de mariage royal : les noms sont védiques (avec des adaptations de forme) et répondent à des distributions fonctionnelles concordantes à celles du veda4. Des mots indiens d’allure védique sont conservés dans des documents de Mitanni, de Nuzi, de Syrie, parmi lesquels des noms princiers5. Fort importants en eux-mêmes, ces faits n’intéressent toutefois pas nécessairement l’expansion de la langue védique hors de l’Inde: ce pourraient être des emprunts, dont l’histoire précise nous échappe du reste.

L’indo-iranien

Comme pour d’autres langues de la famille indo-européenne, il s’interpose entre la langue mère et le sanskrit historiquement attesté une unité linguistique qu’on appelle l’indo-iranien6. Cette unité est confirmée par l’analogie des institutions sociales et des croyances entre l’Inde védique (ṛgvédique, surtout) et l’Iran prézoroastrien. Si les résultats des récentes recherches en mythologie comparée devaient se confirmer, l’hypothèse deviendrait plus nécessaire encore.

Le vocabulaire des gāthā de l’Avesta (vocabulaire d’ailleurs fort limité) et celui des samhitā védiques ont des points de contact qui dépassent fort en importance les cas où l’une des deux traditions seule a conservé quelque forme, et ceux où l’une et l’autre ont diversement innové. La morphologie surtout a été conservatrice : il n’est guère de nouveauté de quelque poids, limitée à l’un des deux domaines ; les maintiens de part et d’autre ont eu lieu dans des conditions analogues. Comme pour la plupart des états de langue indiens ou iraniens, c’est la phonétique qui souligne le partage.

Tout d’abord le ton (ou du moins sa notation) n’est conservé que dans l’Inde. Pour le consonantisme, le sanskrit est bien plus proche du système ancien que l’avestique ou le vieux-perse, avec la préservation des quatre « efforts articulatoires » (sourdes, etc.) dans les occlusives ; les cas de désocclusion y sont restreints, la spirantisation, si commune en iranien, n’est attestée (approximativement) que dans v. Les innovations engageant les deux domaines ont imprimé des développements plus ou moins divergents : ainsi pour la palatalisation, la palatale sourde ancienne conservant son articulation (sous forme de ś) en sanskrit, la perdant en iranien (s ou 0), tandis que la sonore est plus voisine en indien (j) du phonème originel que le z avestique ou le d vieux-perse, tout en se confondant (ce qu’évite l’iranien) avec la palatale récente issue de l’ancienne vélaire. Quant à l’autre grand fait du consonantisme, la cérébralisation, il est amorcé en indo-iranien, mais le sanskrit lui donnera une extension inattendue.

Là même où apparaît un parallélisme, il est en surface : l’absence de l en iranien rejoint la quasi-absence de r dans le ṛgveda ancien, mais la suite du développement indien montre non seulement l’introduction rapide de formes à l, mais le maintien de l indo-européens qui avaient été temporairement masqués par le style rhotacisant du ṛgveda.

Le vocalisme a été altéré plus profondément, mais de manière plus uniforme entre les deux domaines, en dépit de rares isoglosses qui les séparent. Les anciennes voyelles e et o passent à a, lequel représente en outre la nasale sonante et le (rare) a authentique. Parallèlement les anciennes diphtongues ei et eu, oi et ou, se ramènent à ai, au (réduits à e, o du côté indien). Mais (r voyelle) est, graphiquement au moins, mieux conservé en sanskrit qu’en vieil iranien, de même que la voyelle instable issue de . Le traitement -o de -as final, similaire en théorie, se présente en fait dans des conditions distinctes de part et d’autre.

Plus importante est la constatation que la phrase, dont les éléments sont liés les uns aux autres en sanskrit, a conservé en iranien ses mots nettement isolés.

La langue du ṛgveda

Le sanskrit « védique » (c’est- à-dire, propre aux textes inspirés par cette somme de croyances et de pratiques qu’on appelle le «veda» ou la « Connaissance ») se présente donc, aux origines, comme la langue d’un texte particulier, le ṛgveda ou « veda des strophes » : œuvre de datation et de localisation mal définies7. Connaîtrions-nous avec précision le lieu et l’époque que nous resterions aussi perplexes pour en définir les caractères linguistiques. Comme tant d’autres documents sanskrits, le ṛgveda a été fixé à un certain niveau d’archaïsme, c’est-à-dire antérieur non seulement à l’usage courant, mais même peut-être à l’état littéraire courant. Bien que dû à des auteurs multiples, préparé dans des localités séparées, il ne présente guère de diversité dialectale. Autrement dit, nous avons affaire dès l’origine à une sorte de norme linguistique.

Au ṛgveda feront suite une masse considérable d’autres textes, échelonnés jusqu’aux abords de l’ère chrétienne et qui paraissent avoir été rédigés, ou du moins remaniés, dans des territoires variés de l’Inde septentrionale. Tous tant qu’ils sont, ils n’offrent que peu de prise à une chronologie, moins encore à une géographie linguistique. Sous la diversité des styles on aperçoit pourtant les éléments d’une koinè védique, base de la profusion dialectale du moyen indien et, parallèlement, de la réaction uniformisante marquée par le sanskrit dit « classique ».

La langue du ṛgveda est subordonnée à un Canon, non seulement dans l’ordre des exigences religieuses (mythologie, rituel), mais même dans l’ordre formel et poétique. Les hymnes servaient d’exorde aux grandes cérémonies : le recueil s’en est constitué peu à peu, retenant les meilleurs spécimens, réadaptant peut-être des pièces anciennes aux conditions créées par la complexité croissante du cérémonial. D’emblée le ṛgveda nous présente la situation qui se répétera si souvent dans l’Inde : le poème comme résultat d’une joute savante organisée par les princes ou les cénacles ; dans ces compétitions, l’œuvre était soumise à toutes sortes de règles préliminaires, la création prenait naturellement l’aspect d’une surenchère. De tout temps le sanskrit littéraire a été l’instrument et, peut-on dire, la victime du panégyrique.

Sur la base d’une stylométrie, on a tenté une chronologie relative des hymnes8. Les résultats n’ont été qu’en partie probants, parce que les formules — qui sont pour ainsi dire les cellules de cet organisme — ont été empruntées, transportées en tous sens9. Il demeure à coup sûr des détails de facture propres aux « familles », à certains groupes d’auteurs (qui parfois inscrivent leur nom en anagramme au cours du poème). Plus encore, il y a des traits communs à l’ensemble des morceaux adressés à un même dieu : l’emphase indraïque, par exemple, n’est pas semblable à celle des poèmes à agni ou à celle (la plus unitaire de toutes) des hymnes à soma ; ceux à varuṇa ont une diction plus sobre, parfois familière et empreinte d’affectivité10.

La plupart des pièces composant le dixième « cercle » (maṇḍala), plusieurs dans le «cercle» initial, d’autres disséminés dans le gros du recueil, généralement en appendice, présentent une facture nettement plus moderne : les indices qu’on a pu tirer de la grammaire vont de pair avec ceux que livrent le rituel, la mythologie, éventuellement la géographie, plus « orientale ». Il existe une certaine manière de confectionner un hymne à indra à l’époque du dixième Livre, qui s’oppose trait pour trait à la manière ancienne : mots ou sens nouveaux, différences dans la stylisation et le dosage des formules. Sous ces réserves, la langue du ṛgveda est, en gros, unitaire ; si, comme tout invite à le croire, le fond en est composite, les matériaux sont assez bien amalgamés pour ne laisser déceler nulle part des apports distincts.

Phonétique du ṛgveda11

Dans le vocalisme, la perte des alternances qualitatives de l’indo-européen, l’ambiguïté de l’a et (partiellement) de l’i, ont amené à renforcer les échanges de quantité : a/ā (déjà, en partie, en iranien) remplace largement l’ancien e/o ; dans la série aboutissant à ir (ur), des doublets īr (ūr) se sont établis. Le souci d’éviter certaines séquences métriques, même d’en rechercher certaines autres (rythme iambico-trochaïque des mots longs) a commandé plus d’une répartition quantitative ; ainsi se sont accrédités des allongements (parfois pré-indiens en leur principe) à la jointure des composés ou dans la syllabe radicale légère de divers thèmes verbaux. Par contre, la vṛddhi authentique (non rythmique) est d’extension réduite dans le verbe, plus réduite encore dans le nom, si l’on excepte la vṛddhi très spéciale propre à la dérivation secondaire, qui marque au contraire un progrès. Des voyelles longues se sont créées comme une sorte de compensation à la chute d’une sifflante sonore.

Mais c’est la fin de mot (en y joignant la fin du membre antérieur, dans un composé) qui offre les phénomènes les plus intéressants : les consonnes sont « comprimées », le contact avec l’initiale du mot suivant entraîne des accommodations de sonorité, voire d’articulation, plus étendues souvent qu’à l’intérieur même du mot ; la situation de voyelle devant voyelle donne lieu à des contractions, des nasalisations, à un traitement typique tel que -o devant sonore en partant de -as (à l’intérieur, il y a des traces, soit de o soit de e). De larges flottements quantitatifs existent pour la voyelle finale12.

C’est précisément le vocalisme, intérieur ou (plus souvent) final, qui a subi l’action des diascévastes. Une édition restituée du ṛgveda, faite à la lumière de la métrique, montrerait que les variations réelles dans la quantité étaient plus considérables que celles que la graphie révèle (et qui parfois ne sont pas sincères) ; la graphie a systématisé le sandhi, alors que la prononciation véritable (d’ailleurs non conservée dans la récitation d’aujourd’hui) exigeait souvent l’hiatus ou la restauration syllabique : c’est aussi la restauration qu’impose ou conseille le mètre pour un grand nombre de y ou de v après consonne. Il y a des cas de synérèse à restituer, d’épenthèse vocalique ; nombre de syllabes longues ou de diphtongues, généralement en syllabe finale, comptent pour deux syllabes, etc. L’adaptation orthoépique a été incomplète, inégale : ce fut l’œuvre d’une école normalisante, qui a pourtant reculé devant la perspective d’avoir à remanier trop profondément un texte sacré pour l’ajuster aux habitudes graphiques d’une époque où avait cessé l’activité créatrice de mantra’s (formules sacrées).

Le consonantisme, en revanche, paraît avoir été noté exactement, sauf dans quelques finales, et sous réserve de ces minuties issues des exigences de la récitation hiératique, minuties que l’écriture ne pouvait guère enregistrer : nasalisations accessoires, sons «jumelés», etc. Nous avons parlé du maintien des quatre articulations dans les occlusives. Parmi les palatales, des confusions se sont produites entre les types nouveaux et les types anciens, notamment pour le h, lequel, résultant en outre de tentatives de désocclusion de gh dh bh, atteste décidément des sources multiples13. Il y a eu aussi quelques variations entre aspirées et non-aspirées, élimination totale (sauf traces indirectes) de la sifflante sonore, à peu près totale de la liquide l (cf. p. 9). Un trait proprement ṛgvédique est le remplacement de (ḍh) a l’intervocalique par un (ḷh) : «fait d’école», qui n’a sans doute pas de signification linguistique profonde. Dans l’ensemble, le système des occlusives est solide, des suppléances ont consolidé les points faibles ; une manière d’alternance c/k, j/g ou gh a trouvé place. Les nasales ont été sujettes à s’adapter aux phonèmes environnants : ainsi, devant spirante (et, graphiquement au moins, devant occlusive), elles s’affaiblissent en une résonance surajoutée à la voyelle précédente.

Le fait majeur est l’extension des consonnes cérébrales, issues d’une (rétro-)flexion (nati) provoquée soit en contact, soit à distance. Comme pour tant d’autres phénomènes, on a voulu voir là l’influence d’un substrat dravidien : mais le principe, nous l’avons vu (p. 9), est nettement indo-iranien, l’extension demeure phonétiquement motivée ; ce sont bien plutôt les rares formes échappant à la cérébralisation attendue où l’on devrait reconnaître (on n’y a d’ailleurs pas manqué non plus) une influence anâryenne. Dans les formules les plus archaïsantes, il arrive même qu’un s initial, un n initial ou intérieur, soient « fléchis » par l’effet d’un r ou d’un finals du mot précédent : fait de plus soulignant le caractère continu du pāda védique — caractère continu qui tend à se relâcher à la césure, mais en revanche provoque l’enjambement phonique à la fin des pāda impairs, tout au moins dans le texte normalisé.

L’autonomie du mot, présumée intégrale pour l’indo- européen, se trouve ainsi fortement entamée, ce qui facilitera en sanskrit ultérieur la prolifération des composés longs. Nombre d’éléments accessoires deviennent enclitiques de mot ou de phrase (« mots seconds » — le principe étant, du reste, de date indo-européenne), d’autres sont proclitiques. Les faits de sandhi, l’harmonisation sporadique dans le timbre des voyelles, les allitérations, etc., tout rappelle que l’unité véritable est le quartier de vers (pāda) pour la récitation, comme elle est la « formule » pour le sémantisme. Il faut comprendre que ces textes ont été soumis à des règles rigoureuses de mémorisation et de récitation : nous avons encore des manuels anciens, relatifs à ce savoir, et le témoignage des śrotriya modernes confirme le martèlement phonique intense qui commandait l’élocution sacrale.

Morphologie du ṛgveda

Nous avons relevé (p. 9) le caractère conservateur du ton védique. Néanmoins la coïncidence entre apophonie vocalique et alternance accentuale a cessé d’être absolue, surtout dans le nom. D’autre part, l’enclise du verbe non-subordonné (signe avant-coureur de la déperdition du verbe en sanskrit post-védique ?) est un fait probablement nouveau, tout comme les complications du système engendrées par le développement même de la morphologie.

La composition nominale, si l’on met à part la classe des dvaṃdva ou « composés copulatifs » — classe rudimentaire, fortement archaïsante, limitée à la notation des couples divins naturels —, comprend les formations suivantes : d’une part, celles qui répondent à un groupement de deux mots en syntaxe verbale, type dhanaṃjaya = dhànaṃ jayati « gagnant le butin ». D’autre part, celles qui équivalent à des épithètes descriptives, à des phrases relatives élémentaires, type ugrabāhu « aux bras puissants ». L’association de substantif avec adjectif, celle de deux substantifs apposés ou déterminés l’un par l’autre, n’existaient que dans une mesure très limitée. Il est vrai que ces cadres virtuels s’emplissent peu à peu dans les portions plus récentes du recueil, les uns par reviviscence de composés hérités, d’autres par innovations. On ne peut dire, toutefois, que la composition nominale dans le ṛgveda soit un outil linguistique vraiment important ; elle ne contribue guère à l’expression de la phrase ; le nombre des éléments y dépasse très rarement deux et les procédés vivants sont peu nombreux.

En revanche, la dérivation est très productive, qu’il s’agisse des suffixes primaires — comme il est normal dans une langue où le sentiment de la racine est intense —, ou bien des suffixes secondaires, c’est-à-dire tirés d’autres noms. Il y a surabondance de dérivés dans certains cas, ainsi pour l’expression de la « grandeur » en partant du thème máh, avec máhas mahimán (majmán) mahitvá mahitvaná -mahis, et les tentatives isolées mahinā mahnā maháye mahāni. Mais l’abstraction n’a pas de mode d’expression stable, les dérivés — abstraits comme adjectifs — de noms divins demeurant exceptionnels ; relativement rare aussi est le nom verbal en -ta- dans les couches les plus anciennes. Il y a des essais d’une dérivation propre aux composés nominaux (samāsānta). Dans l’ensemble, la spécialisation sémantique est faible ; dans les suffixes primaires, la relation entre les acceptions du verbe et celles du dérivé n’est pas toujours prévisible. Enfin bien des noms conservent un « suffixe zéro », par rapport auquel d’autres finales, notamment -a- et -à-, sont en fait de simples élargissements.

La morphologie nominale continue assez fidèlement l’état ancien, sauf quelques formations qui étaient en décadence dès la fin de la période indo-européenne, comme celles en -r/ -n. Le développement des sept cas nominaux, mieux identifiables souvent par la forme que par l’emploi, a dispensé dans une large mesure de l’usage des prépositions : ces dernières sont, il est vrai, virtuellement présentes sous l’aspect de préverbes, préverbes d’emploi très souple, partiellement autonomes et pouvant tenir lieu du verbe personnel ; ils apportent les nuances de direction ou nature du mouvement, de transitivation, d’aspect. Il n’existe guère encore de cas absolus. Dans les noms neutres, le pluriel n’est pas toujours formellement exprimé. En revanche, l’emploi du duel est rigoureux, à peu d’exceptions près. Les alternances sont assez bien préservées dans la flexion nominale, qui cependant comporte des aménagements massifs pour les thèmes en -i- et en -u- notamment, et en général pour tous les thèmes terminés en voyelle ; dans ceux en -a-, qui sont en progrès marqué, l’influence pronominale paraît indéniable. Il existe des désinences formant des doublets, parfois utilisés à des fins de style, plus souvent à des commodités métriques : signe, entre autres, d’une langue mal fixée, qui n’a pas eu le temps ou pris la peine d’élaguer14. Du reste, les faits de langue sont malaisés à séparer des faits de style : ainsi le problème des « finales syncopées » prête à plus d’une solution valable.

Le centre d’attraction de la langue est constitué par le verbe15, autour duquel s’ordonnent préverbes, enclitiques de phrase, adverbes, et qui commande la structure des dérivés nominaux. Les désinences personnelles ont proliféré autour des thèmes verbaux, eux-mêmes multiples ; il est fréquent qu’un même verbe dispose de trois ou quatre types distincts de présent ou d’aoriste, sans compter les conjugaisons « déverbatives », causatif, intensif, désidératif. Une racine telle que kṛ- « faire » n’a pas moins de 160 formes distinctes (30 en avestique). Le participe conserve ou acquiert une certaine autonomie ; de même l’optatif, moins vivant toutefois que l’impératif16 ou le subjonctif17, modes qui s’adaptaient éminemment aux besoins du panégyrique et qui ont commencé à créer entre eux un système mixte, du moins aux premières personnes. Il existe en outre un type mal caractérisé, l’injonctif, où l’on a cru voir un vieil emploi indifférencié du verbe personnel.

Les formations verbales demeurent largement indépendantes les unes des autres pour une même racine (la notion même de racine ayant fort évolué depuis l’indo-européen le plus lointainement accessible). Il n’y a que l’amorce du tour périphrastique. Quant aux formes invariantes, si l’absolutif est encore mal établi, l’infinitif ne compte pas moins’ de seize procédés distincts. L’expression passive est peu développée. La voix moyenne est bien installée dans la plupart des thèmes (y compris dans l’infinitif en -dhyai), mais elle n’est pas en harmonie structurelle avec l’actif et la motivation nous en échappe souvent.

Syntaxe et style du ṛgveda

En syntaxe, il faut noter la liberté très grande (mais non absolue) de l’ordre des mots, l’usage constant de l’asyndète, la rareté du discours direct comme expression de phrase. Les subordonnées commandées par des conjonctions (le cas échéant, par le simple réveil tonique du verbe) abondent, bien qu’assez mal caractérisées quant à l’emploi ; la relative du type définissant est plus fréquente que celle du type attributif. Les particules renforçantes, hortatives, généralisantes, sont d’un usage considérable et mal discipliné. Il y a une certaine tendance à éviter les mots (importants) trop brefs, ainsi que les homonymes morphologiques.

Plus encore qu’une mine de traits de langue singuliers, le veda est un répertoire de procédés de style, non moins singuliers : les uns à tendance ou soubassement syntaxique (parenthèse, ellipse, anacoluthe, figura etymologica), les autres, morphologique (créations instantanées, haplologie) ou phonétique (allitération, éventuellement rime). De la surenchère oratoire est né le recours si fréquent à l’hyperbole, ainsi que l’extrapolation à base d’emprunts littéraux. Dérivant du précédent, le souci de s’exprimer par voie d’énigmes, ou du moins en langage voilé — ce qu’on désignera plus tard par les mots pári-hval-, saṃdhāvacana — a contribué dans de nombreux passages à créer des mots à double sens, des images inversées, surimposées, bref ce qu’on a appelé, regardant les choses du dehors, le « galimatias » védique (Bergaigne). Mais il y a des hymnes ou portions d’hymnes qui sont d’une limpidité parfaite. Ainsi le tout premier morceau du recueil :

Spécimen 1.

agnímīḷe puróhitam yajñásya devámṛtvíjam ǀ

hótāram ratnadhā́tamam ǁ

agníḥ pū́rvebhirṛ́ṣibhirī́ḍyo nū́tanairutá ǀ

sá devā́m̐ éhá vakṣati ǁ

agnínā rayímaśnavatpóṣamevá divédive ǀ

yaśásam vīrávattamam ǁ

ágne yám yajñámadhvarám viśvátaḥ paribhū́rási ǀ

sá íddevéṣu gacchati ǁ

agnírhótā kavíkratuḥ satyáścitráśravastamaḥ ǀ

devó devébhirā́ gamat ǁ

yádaṅgá dāśúṣe tvámágne bhadrám kariṣyási ǀ

távéttátsatyámaṅgiraḥ ǁ

úpa tvāgne divédive dóṣāvastardhiyā́ vayám ǀ

námo bháranta émasi ǁ

rā́jantamadhvarā́ṇām gopā́mṛtásya dī́divim ǀ

várdhamānam své dáme ǁ

sá naḥ pitéva sūnávé’gne sūpāyanó bhava ǀ

sácasvā naḥ svastáye ǁ

« J’invoque agni le chapelain, le prêtre divin du sacrifice, l’oblateur qui confère le plus de trésors. agni a été digne d’être invoqué par les poètes d’autrefois et par ceux d’aujourd’hui : qu’il amène les dieux ici !

Par agni que (le sacrifiant) obtienne richesse et prospérité de jour en jour, glorieuse, consistant en fils nombreux !

0 agni, seul le sacrifice, le rite que tu circonscris de toutes parts, accède aux dieux.

agni l’oblateur à la force de voyant, le véridique, le plus brillant en renommée, lui le dieu qu’il vienne ici avec les dieux !

Quand, ô agni, tu veux réellement faire du bien à l’adorateur, cela de toi se réalise, ô Angiras.

Nous nous approchons de toi, ô agni, de jour en jour, ô éclaireur des nuits, apportant notre hommage. De toi qui régis les rites, gardien de l’Ordre, qui illumines et croîs en chaque maison.

Sois-nous d’accès facile, comme un père au fils, ô agni ! Assiste-nous pour le bonheur ! » (ṛgveda I. 1).

Voici par contraste un poème d’expression volontairement ésotérique. Le poète se flatte d’avoir percé le mystère du ṛtá « ordre cosmique » et de l’ànṛta « anarchie cosmique » ; il a compris le brahman, la « formulation » par énigmes, dont la maîtrise assure le fonctionnement de ces corrélations et interférences, en lesquelles réside précisément le ṛta.

Spécimen 2.

yuvám vástrāṇi pīvasā́ vasāthe yuvórácchidrā mántavo ha sárgāḥ ǀ

ávātiratamánṛtāni víśva ṛténa mitrāvaruṇā sacethe ǁ

etáccaná tvo ví ciketadeṣām satyó mántraḥ kaviśastá ṛ́ghāvān ǀ

triráśrim hanti cáturaśrirugró devanído há prathamā́ ajūryan ǁ

apā́deti prathamā́ padvátīnām kástádvām mitrāvaruṇā́ ciketa ǀ

gárbho bhārám bharatyā́ cidasya ṛtám pípartyánṛtam ní tārīt ǁ

prayántamítpári jārám kanī́nām páśyāmasi nópanipádyamānam ǀ

ánavapṛgṇā vítatā vásānam priyám mitrásya váruṇasya dhā́ma ǁ

anaśvó jātó anabhīśúrárvā kánikradatpatayadūrdhvásānuḥ ǀ

acíttam bráhma jujuṣuryúvānaḥ prá mitré dhā́ma váruṇe gṛṇántaḥ ǁ

ā́ dhenávo māmateyámávantīrbrahmapríyam pīpayantsásminnū́dhan ǀ

pitvó bhikṣeta vayúnāni vidvā́nāsā́vívāsannáditimuruṣyet ǁ

ā́ vām mitrāvaruṇā havyájuṣṭim námasā devāvávasā vavṛtyām ǀ

asmā́kam bráhma pṛ́tanāsu sahyā asmā́kam vṛṣṭírdivyā́ supārā́ ǁ

« Vous êtes vêtus de vêtements onctueux. Oui, vos créations sont des pensers infrangibles. Vous avez aboli tout ce qui est non-agencé, vous allez selon l’agencé, ô varuṇa et mitra.

Maint (être humain) ne comprend point ceci de ces (dieux, à la tête desquels sont varuṇa et mitra, — à savoir) la Formule véridique, formidable, clamée par le poète : le Quatre-pointes puissant tue le Trois- pointes. Oui, les ennemis des dieux ont vieilli les premiers.

(Et cette autre formule) : sans pieds, elle va la première de celles qui ont des pieds. Qui comprend ceci de vous, ô varuṇa et mitra ? (Et encore :) l’embryon porte le faix de ce (monde) même: il sauve l’agencé, il a terrassé le non-agencé.

Nous voyons l’amant des vierges s’avancer tout autour, mais non se coucher auprès (d’elles), vêtu de tissus sans bordure. (Voilà) l’Institution aimée de varuṇa, de mitra.

(Et encore :) né (comme) non-cheval, non-pourvu de rênes, (il est devenu) un coursier; criant avec force, il vole, le dos au zénith. Les jeunes se sont plu au mystère incompréhensible, tandis qu’ils chantent devant varuṇa et mitra l’Institution (de ces dieux). Les vaches laitières qui ont aidé le fils de Mamatā (jadis), vont (aujourd’hui) gonfler de lait, à la même mamelle, l’ami du mystère. Celui qui sait les voies cachées, qu’il prenne part à la nourriture ! Celui qui veut gagner par sa bouche, qu’il donne libre cours à aditi !

Puissé-je, ô varuṇa, ô mitra, vous induire à agréer l’offrande avec mon hommage, avec votre concours ! Que notre mystère triomphe dans les compétitions ! A nous la Pluie céleste, l’heureuse traversée ! » (ṛgveda I 152).

Vocabulaire du ṛgveda

Comparativement au cercle d’idées assez restreint où se meuvent ces vieux poètes, le vocabulaire est riche, avec une forte proportion d’hapax (lesquels attestent aussi, il est vrai, les lacunes de notre information). Le goût des spéculations a empli plus d’un mot, originairement simple et plat, de nuances plus ou moins «mystiques» (comme disaient les premiers traducteurs), ainsi púrīsa « matériaux de déblai, etc. » reçoit l’acception fuyante de « source cosmique des eaux » ; de même pour ūrvá « caverne » púraṃdhi « abondance » svadhá « impulsion naturelle » dhiṣáṇā « acte » ( ?) et bien d’autres. Des expressions aussi banales que padé góḥ « dans le pas de la vache », les formes véḥ « oiseau », ríp (rúp) et autres monosyllabes sont valorisées de la manière la plus imprévue. C’est de la sémantique déchaînée.

Des forces magiques élémentaires imprègnent des mots comme arká « lumière » et « chant » téjas « éclat » áraṃ-kṛ- « mettre en état » bhūṣ- « renforcer». Aggravant la polysémie naturelle du sanskrit, la tendance à l’énigme est responsable pour une part de cette sorte d’ambiguïté- diffuse où se meut le lexique, un même mot pouvant recevoir par exemple une acception tantôt favorable, tantôt sombre, inamicale : ainsi arí (quel qu’en soit le sens premier, sans doute « étranger au clan ») équivaut tantôt à « ami » tantôt à « ennemi », parfois en formules surimposées ; manyú se dit du zèle pieux comme de la passion funeste, śáṃsa est la « bonne parole » et la « malédiction », vṛj- s’emploie des méchants qu’on « renverse » et du dieu qu’on « attire à soi », áditim uruṣya IV 2 11 est simultanément «protège l’innocence» et «garde-nous de la non-possession ».

Mais la majorité des polyvalences sémantiques résulte de transferts par analogie, comme il en existe partout certes, nulle part autant peut-être que dans ces formules harcelées par l’invention mythologique : raśmí «rêne» est en même temps « rayon (du soleil) », les mots pour « doigt » ou « main » valent aussi pour « rayon », ceux pour « arme » valent pour « foudre », ceux pour « force » ou « élan » désignent la flamme, ou inversement. L’exemple extrême, presque caricatural, des nighaṇṭu, ce glossaire d’époque védique tardive, montre comment s’est constituée la synonymie du ṛgveda : les nighaṇṭu ne connaissent pas moins de cent noms de l’eau, qu’ils extraient pour la plupart de passages particuliers de la saṃhitā où le contexte évoquait plus ou moins directement l’image des eaux.

Les préoccupations majeures des ṛṣi (auteurs-voyants des Hymnes) dans l’ordre pratique ont aussi laissé leur marque sur le vocabulaire : bien des termes ont reçu ou développé le sens de « force » ou de « richesse », plus d’un verbe a été adapté à revêtir l’acception de «donner»; le nom même du « don rituel » a été d’abord celui de la vache « située à main droite » (dákṣiṇā). Enfin des vocables destinés à assumer une valeur très générale, ṛtú «saison», kālá «temps», ont maintenu dans le ṛgveda leur spécialisation première, « répartition fonctionnelle » ou « acte décisif » ; le bráhman n’est encore qu’un certain type de « formulation », ātmán un élément indistinct de la personnalité.

A certains égards, le veda n’est qu’une manière d’écrire — constatation qui ne doit cependant pas le frustrer de son authenticité linguistique. C’est l’illustration du paro’kṣatva du langage, du « hors-la-vue », notion à laquelle de tous temps les Hindous ont été attachés. Tout au moins est-ce une pensée dirigée, dans laquelle tout concourt à un objectif où ne permettait pas d’accéder spontanément le matériel sémantique normal.

Néanmoins des expressions sans détour, souvent frappantes, rappellent aussi le fonds élémentaire de civilisation sur lequel se sont édifiés les Hymnes : termes de la langue de l’élevage et de l’agriculture (dont plusieurs ont été haussés en acceptions abstraites ou spirituelles, ainsi les mots pour « chemin des vaches, pâturage » et plus généralement tout ce qui se rapporte à la vache) ; termes de guerre, de razzias, de défense armée (vṛtrá « résistance », devenu un nom de démon). Il existait par ailleurs une vie sociale avec des fêtes, des jeux — il y a un argot du jeu, notamment autour des courses de chevaux.

Origines du vocabulaire rgvédique

Ce vocabulaire n’est qu’en partie indo-européen, la proportion héritée étant naturellement bien plus forte dans les racines verbales que dans les noms autonomes. Certains mots religieux ou sociaux, attestés aussi en iranien, sont communs avec l’italo-celtique, rappelant sans doute le fait que les langues marginales s’étaient séparées les premières ; śraddhā « confiance (en l’effet du rite)» ou rāj «roi» sont instructifs à cet égard.

D’oû vient la portion présumée non indo-européenne ? Si l’on admet par une sorte de postulat que tout ce qui n’a pas d’origine indo-européenne démontrable doit être dravidien ou muṇḍā (ou, plus largement, austro-asiatique), on sera conduit par une pente naturelle, négligeant l’intervalle des siècles, à considérer comme autant d’emprunts à un (pré-)dravidien ou (pré-)muṇḍā tous les mots qui présentent des accords des sens et de forme avec des mots de ces langues18. En réalité les concordances dont on a fait état sont d’ordinaire peu probantes. Elles gagneront en force à mesure qu’on avance vers les stades ultérieurs du sanskrit, quand progressent l’expansion géographique et celle des genres littéraires. La spécificité du langage n’en sera d’ailleurs jamais profondément atteinte. A l’époque védique, à plus forte raison à l’époque du ṛgveda, elles demeurent exceptionnelles. L’attention est attirée par un mot d’aspect étrange, tel ulūkhala19 «mortier» (Rgv. récent), instrument propre au culte familier (comme l’indique à souhait l’hymne I 28) et formant couple avec músala «pilon» (AV.), mot à groupe -us-, l’un et l’autre termes comportant des phonèmes l. Mais des cas de ce genre sont exemplaires par leur rareté même. Une autre tentative consiste à déceler des formes moyen-indiennes dans le ṛgveda. De fait, plusieurs noms paraissent offrir un type d’évolution phonique qui fait penser au prâkrit : ainsi víkaṭa « difforme », jájjhatīḥ « qui éclatent », sthāṇú (et sthūṇā) «tronc», jyótis «éclat» múhu(r) «soudain» et quelques autres. On a même voulu voir un mâgadhisme dans l’idiome sūre duhitā « la fille du soleil ». Ici encore les faits assurés sont très rares pour les hymnes les plus anciens ; seraient-ils plus nombreux qu’il n’y aurait pas moins d’invraisemblance à conclure que la langue parlée à l’époque du ṛgveda fut déjà au niveau du prâkrit. Il faut tenir compte, au surplus, de la facilité avec laquelle s’obtient une « étymologie » moyen-indienne.

L’onomastique et la toponymie du ṛgveda ont un aspect souvent inattendu20. Ici peut-être un substrat iranien (insignifiant comme base d’emprunt pour le vocabulaire général) a joué un rôle : on a pensé relever l’indice que le Livre 6, par exemple, avait été composé en Iran.

Hymnes récents du ṛgveda

Parallèlement à l’intrusion dans la saṃhitā « familiale » de poèmes d’un genre nouveau (pièces dialoguées, philosophiques, semi-profanes), on constate un recul général des archaïsmes, tant en phonétique (résorption des anciens types de sandhi, des y ou v vocalisés, etc.) qu’en morphologie. Le fait saillant est l’introduction de mots contenant un l, et qui présentent d’ordinaire une valeur familière, apparemment populaire, sans être pour autant « anâryenne »21. Les hymnes récents mettent en évidence le thème verbal kuru-, l’absolutif refait en -tvāya ; il n’est presque pas de catégorie dont la vitalité ne soit plus ou moins modifiée. Le vocabulaire, s’il enregistre des pertes, s’est accru de mots ou de sens nouveaux, certains destinés à connaître une grande fortune : citons seulement prāṇá « souffle » ásu et ātmán « principe vital », qui indiquent le progrès de la réflexion sur l’être. En matière de style, les hymnes du Livre 10 traitant de sujets concordants à ceux du ṛgveda ancien se présentent comme des remaniements, souvent fort élaborés ; il y a une manière « dixième- Livre » de fabriquer une eulogie d’indra. Le poème « deo ignoto » X 121 est bâti, lointainement, sur II 12.

L’atharvaveda

Quelle que soit la date des poèmes atharvaniques, ils ont été fixés en général à un niveau d’ancienneté moins haut que le gros du ṛgveda ; ils continuent la « descente » des mantra védiques, inaugurée par le Livre 10. Ceci est surtout vrai des poèmes spéculatifs formant la seconde portion du recueil. Les morceaux magiques de la première moitié sont plus anciens à la fois et linguistiquement plus singuliers. Dans l’ensemble pourtant les traits ṛgvédiques sont en recul : ainsi l’autonomie du préverbe, le subjonctif, l’infinitif autre qu’en -tum (lequel progresse au contraire), les doublets désinentiels, les singularités phonétiques ; le thème karóti « il fait » remplace largement kṛṇóti, le futur s’étend, ainsi que le passif, le causatif en -payati, le verbal en -ta-, l’absolutif en -tvā, La modernisation est plus frappante dans les mantra empruntés au ṛgveda (du moins, dans ceux empruntés par strophes ou quarts de strophe isolés) que dans les parties indépendantes. On a là tous les signes d’une évolution linguistique massive, ce qui n’exclut pas que l’atharvaveda ne représente aussi un état moins hiératique (nous ne souhaitons pas dire, quoiqu’on l’ait fait : plus populaire), qui se traduirait par le caractère moins solennel, moins emphatique, ou bien attestant d’autres modes d’emphase. Le jeu des allitérations, des répétitions par écho, etc., est plus poussé encore que dans l’autre veda : notamment dans les prières magiques qui font appel à des résonances linguistiques élémentaires pour renforcer leur efficacité. Les exigences du rituel (le Kausikasütra) ont aussi infléchi le lexique et, le cas échéant, la syntaxe. Au surplus, il faut tenir compte de l’état corrompu dans lequel le texte nous est parvenu, comme le montre la métrique irrestituable. La corruption est à son comble dans la version dite kasmî- rienne (le paippalâda), version précieuse malgré tout, tant par les pièces nouvelles qu’elle apporte que par les leçons supérieures qu’elle a conservées.

Spécimen 3

vātāj jāto antarikṣād vidyuto jyotiṣas pari        
sa no hiraṇyajāḥ śaṅkhaḥ kṛśanaḥ pātv aṃhasaḥ   1   yo agrato rocanānāṃ samudrād adhi jajñiṣe
śaṅkhena hatvā rakṣāṃsy attriṇo vi ṣahāmahe   2    
śaṅkhenāmīvām amatiṃ śaṅkhenota sadānvāḥ        
śaṅkho no viśvabheṣajaḥ kṛśanaḥ pātv aṃhasaḥ   3    
divi jātaḥ samudrajaḥ sindhutas pary ābhṛtaḥ        
sa no hiraṇyajāḥ śaṅkha āyuṣprataraṇo maṇiḥ   4    
samudrāj jāto maṇir vṛtrāj jāto divākaraḥ        
so asmānt sarvataḥ pātu hetyā devāsurebhyaḥ   5    
hiraṇyānām eko ‘si somāt tvam adhi jajñiṣe        
rathe tvam asi darśata iṣudhau rocanas tvaṃ pra ṇa āyūṃṣi tāriṣat   6    
devānām asthi kṛśanaṃ babhūva tad ātmanvac caraty apsv antaḥ        
tat te badhnāmy āyuṣe varcase balāya dīrghāyutvāya śataśāradāya kārśanas tvābhi rakṣatu   7    

« Née du vent, de l’air, de l’éclair, de la lumière, que la coquille, fille de l’or, que la perle nous garde de l’angoisse !
Toi qui naquis du sein de l’océan au faîte des splendeurs, grâce à toi, ô coquille, ayant tué les démons nous subjuguons les vampires ;
Grâce à la coquille, la maladie et la détresse ; grâce à la coquille aussi les sorcières. Que la coquille, toute guérisseuse, que la perle nous garde de l’angoisse !
Née au ciel, fille de l’océan ou bien apportée par le fleuve, puisse la coquille, fille de l’or, prolonger notre durée de vie, — ce joyau !
Ce joyau né de l’océan, soleil né du nuage : qu’elle nous garde en tous lieux du trait des dieux et des démons !
Tu es l’un des ors, tu es née du soma, tu es belle à voir sur le char, éclatante sur le carquois : qu’elle prolonge nos durées de vie !
L’os des dieux est devenu perle : il se meut, tout animé, parmi les eaux. Je te l’attache pour la durée de vie, pour le prestige, pour la force, pour la longue vie, la vie de cent automnes. Que te protège (l’amulette faite de) perle ! » (atharvaveda IV 10).

Autres mantra’s

On peut traiter globalement l’ensemble énorme des mantra (« versets ») étrangers au ṛg- et à l’atharvaveda, cela en dépit des différences chronologiques, peut-être considérables, mais à coup sûr indéterminables, qui séparent les textes où ils figurent. On a fabriqué des mantra jusqu’à la fin de la période védique, jusque pour les besoins des manuels domestiques, qui ont puisé dans de petites Samhitâ compilées à leur usage. Tous ces mantra ont des traits qui les distinguent, aussi bien de la prose environnante que des timides essais de poésie gnomique (p. 38) : le caractère invocatoire de l’énoncé, la présence d’épithètes ornementales, le jeu des particules — c’est par les particules que se laisse différencier un état de langue d’un autre en sanskrit. L’allure générale demeure ṛgvédique, même si les archaïsmes les plus voyants ont été éliminés. Çà et là, en guise de survivance authentique, on trouve quelque singularité de phonétique ou de morphologie qui révèle le but souhaité par le versificateur : distinguer le mantra de telle école du mantra d’une école voisine. L’étude des « variantes », au sens bloomfieldien du terme, c’est-à-dire des modifications qui signalent le passage de la formule d’un texte à un autre, révèle à quel point il serait vain de tenter une chronologie relative d’ensemble. Des recueils récents, le Paippalāda, la Vājasaneyi, la Jaiminīya-samhitā, ont été adaptés à la teneur ou, comme disait Oldenberg, à la dignité rgvédique. S’il y a modernisation sur certains domaines, il y a archaïsation sur d’autres, hypervédisation et, répétons-le, aberrance, servant de signature d’atelier. De là des formes comme triṣṭúk et anuṣṭúk (noms de mètres) chez les taittirīya, uv (pour la particule u devant voyelle) ibid., ym (pour jm) chez les Kāpiṣthala, km (pour cm) chez les Kāṇva, svāná (pour suvāná « pressuré ») chez les Sāmavedin. Le plus souvent il s’agit simplement de faits graphiques ou euphoniques, comme les sandhi inattendus de l’école Maitrāyaṇīya-Mānava, ou bien le « grantha » des Jaiminīya. Ce sont du reste des points mineurs — mais tout importe en matière de récitation sacrée —, sur quoi légifèrent de préférence les Prātiśākhya (p. 37). L’audition, voire la graphie, ont provoqué des altérations nombreuses, contre lesquelles mettait déjà en garde le ṛkprātiśākhya. chap. 14, passim. La comparaison des « variantes » a fait découvrir des lectiones faciliores, des gloses, de fausses coupes de mots, des dittographies et haplographies, etc., tout ce qu’on trouve en somme dans une tradition manuscrite à archétype éloigné.

Dans l’ensemble pourtant, les cas de bonne conservation l’emportent. Il arrive aussi que des formules empruntées s’avèrent plus proches du texte original que la moyenne des mantra non empruntés.

Dans certaines strophes, celles que présentent les parties autonomes du Mantrapāṭha des Āpastambin, on a cru reconnaître une composition moins contrainte, partant (a-t-on dit) plus ancienne. On pourrait relever le même caractère dans les dialogues de la controverse à énigme, dans ceux qui accompagnent l’immolation du Cheval sacré. Mais pourquoi ce qui est moins contraint serait-il plus vieux ? Ce qui est clair est que ces versets moins protégés ont été ouverts à toutes sortes d’influence ; le cérémonial s’amplifiant, incorporant des éléments profanes ou populaires, il a fallu élargir les procédés antérieurs. Dans les derniers stades du védisme, il s’introduit des formules de type purānique, comme dans les « reliquats » de l’école Baudhāyana. Déjà les khila ou « suppléments », masse mouvante gravitant autour de la ṛksaṃhitā, attestent des faits troubles. Tous ces adaptateurs se sont accordé des libertés qui dépassent de beaucoup celles qu’admettront les « variantes » de la prose védique, considérées à partir d’un hypothétique Ur-brāhmana.

Peu de recueils de versets ont été préservés par la présence d’un Prātisākhya, manuel d’école enseignant comment on passe du mot isolé à la phrase continue dans la récitation didactique. Certains de ces manuels donnent aussi des clartés sur la prononciation du sanskrit à date ancienne. De leurs informations et de celles des śiksā ou tracts phonétiques inter-écoles qui les suivent, on a même cru (imprudemment) pouvoir inférer des habitudes de prononciation, qui anticiperaient sur la répartition dialectale au niveau du moyen- indien littéraire. Ces ouvrages confirment en tout cas le primat de l’élément audible sur l’élément signifiant. Un seul livre, important d’ailleurs, s’occupe de sémantique et donne des fragments d’exégèse : c’est le Nirukta de Yāska. Mais cet ouvrage confirme à sa manière l’importance allouée à la forme, aux coïncidences sonores, lorsqu’il nous propose des étymologies qui éveillent des associations d’idées valables, du point de vue des poètes védiques. Il en est de même pour les analyses de mots de mantra qu’on a dans plusieurs Brahmana et dans les premières Upaniṣad. Ceci atteste l’intensité de la réflexion sur le langage, réflexion inaugurée par l’hymne à énigmes I 164 (str. 3 10 23-25 39-42 45 46) et par l’hymne à la Parole X 71. La création du monde est d’abord la création ou la révélation du Verbe.

Les yajus

De la prose primitive il demeure deux sortes de témoignages d’importance fort inégale : les yajus (eux- mêmes parfois métrifiés ou métrifiables) et le commentaire courant appelé brāhmaṇa. Les yajus (auxquels on doit joindre les nivid, nigada, etc., ainsi que des formules magiques semi-prosaïques de l’AV.) sont des mantra en prose que le yajurveda a mis en circulation. Ils consistent en invocations, soit aux divinités, soit, plus souvent, aux instruments ou éléments du sacrifice ; en incitations à agir ; en définitions imagées du rite ; en litanies et corrélations tabulaires ; mais ce ne sont pas des prières ou des laudations proprement dites, domaine réservé à la poésie. Plus que les mantra, ils visent à la concision, usant de l’ellipse, du style de « rubrique », sans négliger pour autant les exordes emphatiques, l’allitération, le parallélisme des membres. On a l’impression de la matière première où ont puisé les poètes-amplificateurs. L’allure générale est raide, monotone ; cependant les parties récentes, par exemple les rites de l’agnicayana, ont des yajus assouplis, élargis. Linguistiquement, ils sont en principe plus jeunes que les mantra concomitants : la prose n’a que faire des vieilles licences qu’imposait le mètre, et, d’autre part, la pauvreté du contenu se serait mal accommodée d’une morphologie exubérante.

Spécimen 4.

makhasya śiro ‘si / vasavas tvā kṛṇvantu gāyatreṇ chandasāṅgirasvad ukhe / dhruvāsi pṛthivy asi dhārayā mayi prajāṃ rāyaśpoṣaṃ gaupatyaṃ suvīryaṃ sajātān asmai yajamānāya / rudrās tvā kṛṇvantu traiṣṭubhena chandasāṅgirasvad ukhe dhruvāsy antarikṣam asi / dhārayā mayi prajāṃ rāyaspoṣaṃ gaupatyaṃ suvīryaṃ sajātān asmai yajamānāya / ādityās tvā kṛṇvantu jāgatena chandasāgṅgirasvad ukhe / dhruvāsi / dyaur asi / dhārayā mayi prajāṃ rāyaspoṣaṃ gaupatyaṃ suvīryaṃ sajātān asmai yajamānāya / viśve tvā devā vaiśvānarāḥ kṛṇvantv ānuṣṭubhena chandasāṅgirasvad ukhe / dhruvāsi / diśo ‘si / dhārayā mayi prajāṃ rāyaspoṣaṃ gaupatyaṃ suvīryaṃ sajātān asmai yajamānāya / ādityā rāsnāsi / aditiṣ ṭe bilaṃ gṛbhṇātu / vasavas tvā dhūpayantv aṅgirasvat / rudrās tvā dhūpayantv aṅgirasvat / … /

«(S’adressant au chaudron d’argile appelé, ukhā:) tu es la tête de makha ; que les vasu te fabriquent avec le mètre gāyatrī à la mode des angiras, ô ukhā ! Tu es solide, tu es la Terre, conserve-moi progéniture, richesse, maîtrise du bétail, fils et parents, pour ce sacrificateur ! Que les rudra te fabriquent avec le mètre triṣṭubh à la mode des Angiras, ô ukhā ! Tu es solide, tu es l’Espace intermédiaire, (etc.) ! Que les āditya te fabriquent avec le mètre jāgatī à la mode des angiras, ô ukhā ! Tu es solide, tu es le Ciel, (etc.) ! Que Tous-les-dieux, communs à tous les humains, te fabriquent avec le mètre anuṣṭubh à la mode des angiras, ô Ukhâ ! Tu es solide, tu es les Orients, (etc.) ! Tu es la ceinture d’Aditi, qu’Aditi saisisse ton orifice! Que les vasu t’enfument à la mode des angiras ! Qu’aditi la déesse, toute divine, associée à Tous-les- dieux, t’enterre dans le giron de la terre à la mode des angiras, ô fosse ! Que les Épouses aux ailes intactes, les déesses, associées à Tous-les-dieux, te cuisent dans le giron de la terre à la mode des angiras, ô ukhā ! » (Maitr. Samhitā II 7 6).

La prose brāhmaṇa

C’est déjà à l’intérieur des grandes samhitā, formant ce qu’on appelle le yajurveda Noir, qu’apparaît, répartie en larges tranches, une prose continue, explicative et discursive, celle-là même qui cherchait sa voie timidement dans quelques passages de l’atharvaveda. Elle ne décrit pas les rites directement, mais, les supposant connus, les interprète et les fonde en raison : ce sont des manuels de justification liturgique et d’anagogie.

Cette prose a pu se développer — pure hypothèse — entre les VIIIe et VI siècles avant notre ère, en pleine « période » de fabrication de mantra. Elle a varié dans l’ensemble plus que les portions poétiques du veda. L’outil linguistique, remarquablement mis au point dès le début, s’est affiné peu à peu, précisé, jusqu’à aboutir à ces étonnantes articulations syntaxiques qui marquent les tranches yājñavalkyennes du śatapathabrāhmana. L’évolution proprement grammaticale a été, il est vrai, lente ; la disparition des archaïsmes — doublets désinentiels, thèmes verbaux concurrents de présent ou d’aoriste, préverbes séparés (limités désormais à des nuances expressives), subjonctif (confiné à peu près au discours direct), infinitifs en -tos et en -tavai, etc. — suit une progression qui n’est pas toujours très sensible : par exemple, le locatif en -an se maintient jusqu’au bout à côté de -ani. Certains faits ne comportent guère ou point d’étagement chronologique, ainsi l’emploi du parfait narratif22, l’usage assez singulier de la finale -ai en fonction de -ās. Parmi les innovations nombreuses qui marquent la grammaire brahmana, certaines ne présentent pas de progrès d’un texte à l’autre, ainsi le génitif absolu, les formations en -ī-kṛ- -ī-bhū- ; d’autres au contraire, ainsi le parfait périphrastique ou le futur en - ; les valeurs propres à l’optatif vont se précisant. Comme ailleurs, c’est l’allure générale de la phrase, le style, qui différencient plus que la morphologie ou l’emploi des formes.

Au surplus, la succession des textes est loin d’être parfaitement connue. S’il est à peu près admis que la prose des samhitā « Noires » marque le stade initial et que le śatapatha termine la série des grands brāhmaṇa, la position respective des textes ṛgvédiques et sāmavédiques est incertaine. Il peut y avoir des couches successives à l’intérieur d’un même traité, comme dans l’aitareya (où 1-6 s’oppose à 7-8) ou dans le śatapatha (1-5, 6-10, 11-13, 14 début, enfin BĀU. ; la version kāṇvīya étant à part et autrement répartie).

…. in allestimento …


  1. Ce sens de saṃskāra (préludant a l’emploi linguistique de saṃskṛtase trouve dans Nir. 1 12, littéralement « formation grammaticale conecte ». L’interprétation de saṃskṛta (n.t.) ou -tā- (fém., scil. : bhāṣā) figure par ex. dans la ṣaḍbhāṣācandrikā 4 « on appelle sº la langue qui a été portée-à-la-perfection- formeIle par les systemes de Kumāra, Pāṇini et autres » ; id. chez Namisādhu ad Rudraṭa II 12. Un emploi grammatical de saṃskṛta est ébauché des ŚB. X 5 1 3 vācaṃ hy evaitāṃ saṃskuruté « c’est la Parole que (le sacrificateur) parachève (en l’assimilant) ainsi (a l’Autel) » : Minard Trois Énigmes ~ 159b souligne avec raison ce passage. 

  2. L’ariyavohara des textes pāli n’est rien de plus que la « langue noble» (en fait, le pāli et non le skt). Les Jaina ont l’expression bhāṣārya pour désigner les gens parlant ardhamāgadhī. Sur le terme ārya et son origine, v. Thieme Fremdling im RV. 145. Historique du mot « âryen» dans l’usage occidental Siegert WSachen 4 75. 

  3. Cf. en dernier Foucher Vieille route de l’Inde 180. 

  4. Cf. notamment Konow Aryan gods of the Mitani People ; en dernier Dumézil Naissance d’archanges 16; du même, sur des bronzes cassites du Louristan antérieurs au XII s. et attestant des représentations védiques, Rev. Hittite 1950 18. Aussi Brandenstein Die alten Inder u. die Chronologie des ṛgveda. Frübgesch. u. Sprachwiss. (1948) 134, aux termes de quoi le RV. ne daterait que de peu avant l‘an mille. 

  5. Liste commode PEDumont JAOS. 67 251 ; cf. Keith IHQ. 12 569. Le dialecte indien concerné paraît distinct de celui qui est à la base des Saṃhitā, sans être iranien pour autant. 

  6. Sur l’unité indo-iranienne, l’exposé le meilleur reste celui de Meillet Dialectes indo-eur. 2e éd. chap. 2 et avant-propos 8. Cf. aussi Mansion Esquisse chap. 7 et bibliographie, Bloch passim. L’enquête jadis amorcée par Hopkins JAOS. 17 23 sur le vocabulaire n’a pas été reprise ; la séparation du travail est allée s’accentuant à mesure qu’on avançait de part et d’autre vers des interprétations sémantiques en profondeur. Le formulaire a prêté à quelques comparaisons, comme le type súbhṛtam bibhárti en face de v. perse ubrlam abaram Wackernagel BSOS. 8 823 (Mélanges Grierson) W. (-Debrunner) 2,2 580. Cf. d’autre part Lommel AO. 10 372. On a tenté autrefois de traduire en védique (approximatif) des passages de l’Avesta (Mills, v. Bibliogr. Védique chap. 117). Sur l’unité religieuse, v. LVP. 64. — De la nécessité d’inclure tous les dialectes iraniens dans la perspective de l’indo-iranien, et notamment pour l’interprétation du RV, témoignent les travaux de HWBailey, cf. en particulier sa note JRAS. 1953 95. 

  7. Tout ce qu’on peut dire est que c’est un texte du Nord-Ouest, comme l’indiquent les faits géographiques dominants: région-frontière où s’est marqué à plusieurs reprises comme un souci d’archaïser, cf. les réactions successives constituées par le mahābhārata du N. O., la grammaire de Pāṇini, le Pañcatantra du N. O., la poétique kaśmīrienne. On a souvent noté aussi comme archaïques les formes m. i. propres au N. O. chez Aśoka et autres instigateurs d’épigraphes. Que l’on compare avec la situation « avancée » de la langue dans le bassin inférieur du Gange. Même à l’époque moderne, il y aurait des survivances védiques au N. O. Schulze SBBAk. 1916 2 (Kleine Schriften 224). 

  8. Wüst Stilgeschichte u. Chronologie d. RV. se fonde sur les formations de grammaire ou de style présentant un intérêt typologique (c. r. Pisani RSO. 12 332) ; Poucha Archiv Or. 13 103, 125 se fonde essentiellement sur les hapax. Les conclusions d’Arnold Vedie Metre 28 et passim demeurent en grande partie valables. 

  9. Sur la question des formules, on n’est guère allé au delà de l’étude soigneuse de Bloomfield Repetitions (et articles connexes, du même), avec des résultats modérés, mais probants. Comme exemple de circuit formulaire on peut rappeler celui qui a pour centre vr- « couvrir » vṛtrá « résistance » R.-Benveniste vṛtrá 101 et passim. Sur les formules du 9e Livre autour de la notion du « tamis » à soma, v. Vāk n° 5. 

  10. Il n’y a que des remarques isolées, not. de Geldner dans sa traduction 1 61, 86, 175, 237 ; 2 91 etc. On a noté le caractère unitaire de tel maṇḍala, ainsi du 2e Weber SBBAk. 1900 601 ; du 8e Hopkins JAOS. 17 23 Pisani cité ci-dessus p. 11 n. 1 Wüst WZKM. 34 165 Hillebrandt Alt u. Neu-Indien 1 ; du 6e Ilillebrandt Ved. Mythol.2 1 519 et passim. Cf. aussi W. 1 p. XIII. 

  11. Sur la grammaire rgvédique, consulter les manuels existants, le dernier en date, mais non comparatif, par Renou (1952), avec bibliographie. Une révision du Thumb est en cours par Hauschild (vol. 2, textes et glossaire, déjà paru), ainsi que la continuation du W. (-Debrunner), notamment 2,2 (dérivation nominale) qui vient de paraître (1954). Utile glossaire explicatif et élargi de l’Altind. Gr. 1 (phonétique) par Sûrya Kânta (1953). Pour les origines i.-e., v. Benveniste Origines de la formation des noms. Noms d’agent et noms d’action, et les travaux plus anciens cités Bibliogr. Védique chap. 173. Le védique est traité dans le cadre de l’indo-âryen chez Bloch. Pour les monographies, on se bornera à rappeler parmi une masse d’autres Meillet MSL. 21 193 (rythme quantitatif) Edgerton Lang. 19 83 (semi- voyelles) Porzig IF. 41 210 (hypotaxe) MLeumann Neuerungen im ai. Verbalsystem (1952). — Sur l’indo-eur., l’exposé le plus récent, mais bref, est par Vendryes et Benveniste, Langues du monde, 2e éd., 5. Sur l’origine des Indo- eur., en dernier, Thieme Heimat d. idg. Gemeinsprache (1953) qui, se fondant sur la présence de certains realia, pense à l’Europe septentrionale. 

  12. Et peut-être des quantités intermédiaires, quasi-longues et supra-longues comme le voulait Oldenberg ZDMG. 62 486 et ailleurs (confirmé par la théorie indigène, Allen Phonetics in Ancient India 86). C.ontra, Gauthiot Fin de mot 169 et passim. 

  13. Il est douteux qu’il faille voir un fait dialectal (Meillet IF. 31 120) dans la tendance à ouvrir les occlusives intervocaliques. La langue ṛgvédique regorge de tendances phoniques incohérentes, qui ne se laissent pas ramener à des répartitions de dialectes. Autre, Bradke ZDMG. 40 673. — Faits dialectaux dans le veda (généralement après le RV.l, Edgerton Mélanges Collitz 29. 

  14. Si la morphologie donne l’impression d’une langue en formation, l’étude des formules et du style inviterait au contraire à reconnaître une longue préhistoire. On a considéré parfois, non sans raison, les hymnes comme de la poésie d’épigones. Il faut se garder de voir des survivances dans un grand nombre de faits de détail, qui sont des réfections, des formes instantanées, KHoffmann Münch. Stud. Sprachw. 2 (1952) 115 MLeumann (supra p. 13 n. 1). 

  15. Le primat du verbe se marque dans toute la tradition « étymologisante » qui commence avec les Br., puis le Nir. : cela en dépit des objections de Gārgya (Nir. I 12), dont il se peut que Patañjali se réclame implicitement (Sarup Nir. transi. 212). Sur le plan philosophique, le primat du verbe représente celui de l’acte, vāco retaḥ karma AĀ. II 1 3, l’un des postulats de la pensée indienne. 

  16. Avec des finales en -si (parfois refaites en -sa) Debrunner Mélanges Winternitz 6. 

  17. Rapports flottants entre subj. et indic, thématique BSL. 33 5 ; décadence du subj. Monographies sktes n° 1. Traces de présent en s- Kuiper AO. 12 190. 

    1. Éléments de la bibliographie (avec analyses) chez Régamey Bibliogr. des travaux relatifs aux éléments anaryens BEFEO. 34 429 (jusqu’en 1935). Cf. aussi LVP. 198 et (supplément) 360. Les positions de Bloch sont données Indo-ar. 321 et BSL. 25 1 BSOS. 5 730 Some Problems, passim. Pour le muṇḍā, V. maintenant Kuiper Proto-M. Words in Skt ; pour le dravidien, Burrow BSOS. 9 à 12, passim Trans. Philol. Soc. 1945-46 passim. Pour les deux domaines, Mayrhofer Mélanges Hrozny 5 ( = Arch. Or. 18) 367 Saeculum 2 54 Archivum Ling. 2 39 Germ.-Roman. Monatschrift 34 (1953) 231 et Étymol. WB. en cours. Bien entendu, ces travaux intéressent l’ensemble du skt, non le védique ni à plus forte raison le rgvédique seuls. On a cru parfois reconnaître un substrat dravidien ou muṇḍā (éventuellement pan-asiatique) dans l’extension des cérébrales, l’emploi de la phrase nominale,, de l’expression passive, de l’absolutif, etc., cf. Keith 22 Bloch 328 Poucha Mélanges Hrozny 2 285 EHofmann KZ. 71 27 Mayrhofer précité (Étym. WB. 1 p. 10).Mais les conditions de tous ces faits sont présentes dès le Veda ; aucun d’eux n’implique rien d’autre que l’évolution prévisible d’une langue littéraire dans des conditions données. Mayrhofer Germ.-Rom. Mon. 1. c. évoque la possibilité d’autres langues-substrats. Mais d’abord il faudrait avoir mieux exploité, à l’aide des dialectes iraniens, la richesse du fonds indo-iranien, supra p. 8 n. 1 in fine.

  18. Bloch BSOS. 5 741. On a cité aussi śakúnti et (?) pataṃgá pour le RV.; bhṛmalá et tūpará pour l’ AV. Sur le cas de phaligá, Master BSOS. 11 297. 

  19. Macdonell-Keith Vedic Index of Names a. Subjects est la source la plus commode. Sur des noms éventuellement iraniens (« irano-scythiques »), Wüst Mélanges Geiger 185 (ubi alia ; contra, Charpentier MO. 28) Hillebrandt Ved. Myth., 2« éd., passim, Keith Religion of the Veda 7 et 91 (contre le précédent; Hopkins JAOS. 17 73. En dernier, Foucher Vieille Route 185 et 189, qui se réfère à Hillebrandt. Noms propres divers KHoffmann WSachen 21 139.Le mot titaü « crible » a été présumé emprunté de l’iranien (autres cas, tous douteux, Przyluski MO. 28 140). Yäska (Nir. II 2) cite śav- « aller » comme terme des Kamboja, alors que le dérivé (?) śava serait aryen. A cette information, reprise par Patanjali (dans la Paspaša, qui a été influencée par Yäska), il s’ajoute une seconde, d’interprétation non moins évasive, concernant dati « couper » qui serait « oriental », alors que dâira « faucille » serait du Nord ; ou encore (VI 9) concernant vijämälf qui, au Sud, signifierait «époux d’une fille achetée ». Cf. ci-dessous, p. 74 n. 1. 

  20. En dernier, Ammer WZKM. 51 131, qui insiste sur l’aspect « rudra- śivaïte » des mots à l. Même en skt classique où l s’est propagé librement, il marque volontiers des valeurs péjoratives, comme kalmanaparisamāptaṃ karma MhBhāṣya (kārikā) ; cf. aussi le suffixe -la- passim ; la forme alayaḥ (citée ci-dessous p. 74, n. 2). Patanjali ad Śivasū. 2 connaît ḷtaka comme prononciation des femmes au lieu de ṛtaka

  21. Il est normal que le parfait abonde dans les portions narratives de ŚB. et JB., riches en mythologie. L’éloignement du YV. Noir pour cette formation n’est pas signe d’archaïsme, puisque le RV. le plus ancien présente en masse des parfaits narratifs, Valeur du parfait, passim ; mais c’est un indice indirect. Sur la question, cf. Whitney Trans. Am. Philol. Ass. (1892) 5 et Oldenberg Ai. Prosa 25.