अग्नि

Suite du précédent - Origine de la race humaine

da La religion védique d’après les hymnes du ṛgveda, tome 1, Abel Bergaigne, 1878

Suite du précédent - Origine de la race humaine

Les pages qui précèdent ont fait pour le premier élément du sacrifice, le feu, la preuve qui sera successivement faite pour tous les autres éléments, et qui sera pour le feu lui-même confirmée à chaque page du livre, celle, non d’une simple assimilation, mais d’une identification essentielle avec les phénomènes correspondants dans l’atmosphère et dans le ciel, et de l’attribution effective d’une origine céleste. Nous avons maintenant, selon le plan que nous nous traçons, à étudier certains faits et certaines idées appartenant égale­ment à cette première face du sujet, (l’assimilation du ter­restre au céleste et l’origine céleste du terrestre), qui ne sau­raient trouver place dans les autres divisions du présent chapitre. Ces faits et ces idées concernent, soit le sacrifice en général, soit les sacrificateurs, et il importait, en raison de leur généralité même, de les présenter au lecteur le plus tôt possible.
Signalons d’abord l’imitation de la succession naturelle du temps dans la succession des sacrifices. Le ṛgveda ne renferme pas, que je sache, d’allusion précise aux sacrifices des saisons prescrits dans le rituels, ni même aucune in­ dication sûre des sacrifices de la pleine lune et de la nouvelle lune, ce qui n’est pas d’ailleurs une raison de douter de l’antiquité de ces rites. En revanche, la mention simul­tanée du sacrifice du matin et de celui du soir est fréquente ; il suffira d’en citer quelques cas dans les hymnes à agni, IV, 2, 8; 12, 2 ; VII, 15, 8 et 15. Ailleurs nous lisons qu’agni reçoit sa nourriture trois fois le jour, IV, 12, 1 ; cf. I, 140, 2, et que trois fois aussi il récompense l’homme par ses bienfaits, VII, 11, 31. Le temps des trois sacrifices de la journée est exactement déterminé dans un grand nombre de passages où l’énumération du lever du jour, de l’heure de midi et du coucher du soleil constitue une véritable formule, V, 69, 3 ; 76, 3 ; VII, 41, 4 ; Vili, 1, 29 ; 27, 19 et 21 ; X, 151,5.

Cette correspondance des cérémonies du culte avec les étapes de la course diurne du soleil, toute naturelle qu’elle peut paraître, prend une importance particulière après ce qui a été dit de l’identité du feu du sacrifice avec les feux célestes, et particulièrement avec l’astre du jour2. Remar­quons à ce propos le rite du transport du feu, indiqué en différents passages, IV, 9, 3 ; 15, 1 ; cf. IV, 6, 4 et 5 ; 15, 2 et 3, par une expression qui implique l’idée d’une marche circulaire ; cette marche n’est peut-être aussi qu’une imita­ tion du cours du soleil3.

Mais le point qui doit ici arrêter surtout notre attention, et qui la retiendra même assez longtemps, est l’origine céleste des sacrificateurs, je dis des hommes qui accomplissent le sacrifice, et des hommes en général. Cette origine céleste peut être entendue, et l’était en réalité, de différentes ma­nières. C’est du ciel, en effet, que les prêtres mêmes dont nous lisons les hymnes, et les sacrifiants qui empruntaient leur secours, attendaient une postérité. Or, la signification des prières par lesquelles ils implorent de leurs dieux « des en­fants mâles », est tout autre dans ce culte dont la base reste purement naturaliste, qu’elle ne serait dans une religion plus spiritualiste, ou seulement plus altérée par l’obscurcissement des mythes. Les eaux de la pluie, c’est-à-dire l’élément dont l’origine céleste ne peut être révoquée en doute et a formé, selon toute vraisemblance, le point de départ du système entier, les eaux de la pluie n’apportent pas seulement le feu dans les plantes ; elles y introduisent les sucs nourriciers qui passent de là dans le corps des animaux, et aussi, directe­ment ou indirectement, dans celui des hommes. La consé­quence était facile à tirer. Les hommes n’avaient pas besoin de formuler d’une manière scientifique l’assimilation des fonctions reproductives aux fonctions nutritives, pour croire qu’ils tiraient de leurs aliments, et par suite de la pluie qui les leur procurait, le sang qu’ils transmettaient à leur pos­térité. Le vers célèbre de la bhagavad gītā4: « Les êtres naissent de la nourriture, la nourriture naît du nuage », n’est qu’un écho de la pensée védique qu’on est, il est vrai, étonné de trouver si fidèle et si distinct au milieu du fatras philosophique qui l’accompagne. D’ailleurs, un mythe fami­lier favorisait singulièrement la même croyance : c’était celui du sperme, tombant du nuage assimilé, ainsi que nous l’avons dit déjà, à un taureau. Il paraît légitime de chercher une allusion à ce mythe dans les formules très-usitées qui implorent des dieux, et particulièrement de tvaṣtṛ, la semence, une semence merveilleuse.

Le sperme qui tombe du nuage est la pluie sans doute, mais la pluie considérée surtout comme renfermant un élément mâle, s’il n’est pas plutôt cet élément mâle lui-même, c’est- à-dire, comme on l’a vu déjà, le feu. Ce feu est entré dans la plante en même temps que les sucs nourriciers; il est passé avec eux dans le corps de l’homme et de là dans celui de ses enfants. Il pouvait donc, même dans cet ordre d’idées, être tenu pour le vrai principe de la vie, dont la pluie n’était en quelque sorte que l’enveloppe et le véhicule, et ce principe descendait toujours du ciel.

Or l’idée d’un principe igné était la première solution du problème de la vie qui dût se présenter à l’esprit des hommes primitifs. L’observation du refroidissement des cadavres suf­fisait pour la leur suggérer. Et en effet le vers X, 5, 1, en donnant au feu l’épithète bhūrijanmā « qui a beaucoup de naissances », ajoute qu’il « rayonne de notre cœur », cf. ibid., 2. Sans doute l’air, le vent, a dû être aussi considéré comme un des principes de la vie humaine, le vent qui est appelé l’âme (le souffle) de varuṇa, VII, 87, 2 et des dieux en général, X, 168, 4, et avec lequel, ainsi que nous le mon­trerons plus loin, l’âme de l’homme retourne se confondre après la mort, X, 16, 3; cf. X, 92, 13 et X, 90, 135 Mais c’est incontestablement le feu, dont les relations avec le vent ont du reste été déjà relevées, qui tient la première place dans le mythe que nous allons étudier. Or la croyance à l’origine céleste du feu étant donnée, la croyance à l’ori­gine céleste de la race humaine s’ensuivait naturellement, lors même que les idées analysées plus haut n’auraient pas fait concevoir la vie de chaque individu comme puisée de nouveau à la source suprême. Ces idées d’ailleurs ont dû vraisemblablement jouer un rôle dans la formation du mythe. Toutefois, c’est seulement dans l’éloignement d’un passé, éclairé par les inférences qu’elles permettaient, mais éclairé de cette lumière un peu trouble où naissent et se plaisent les légendes, que pouvait se former par la sup­pression de l’intermédiaire obligé du père réel, la notion d’un premier ancêtre descendu du ciel. Ce premier ancêtre ne pouvait être évidemment que le feu lui-même.

La croyance incontestable, et d’ailleurs depuis longtemps reconnue, de l’identité du premier homme avec le feu, parait se justifier mieux par les considérations qui précèdent, que comme tente de le faire M. Kuhn, par la seule assimilation de la production du feu (au moyen de deux morceaux de bois) à l’acte de la génération. Elle se justifie mieux encore par la combinaison de l’une et de l’autre explication. Car rien ne nous oblige à attribuer au mythe une origine unique, et c’est au contraire la convergence d’inférences et d’analogies d’or­dres divers qui a produit les mythes durables. Or le fait al­légué par M. Kuhn est parfaitement exact, et dans l’hymne X, 184, destiné à procurer des couches heureuses, il est dit au vers 3 que les deux aṣvins font sortir le fœtus par la friction (comme le feu) avec une araṇi d’or, cf. III, 29, 1 et 2. Enfin les deux explications réunies n’épuisent pas encore la série des analogies qui ont pu concourir à rétablissement de la croyance en question. Les fonctions de prêtre, assignées, comme nous le verrons bientôt, au feu du sacrifice, ont dû contribuer à faire confondre avec lui les premiers ancêtres qui, dans l’ordre des idées religieuses, le plus important natu­rellement en mythologie, sont avant tout les premiers prêtres. Mais il est temps d’apporter des textes à l’appui de toutes nos affirmations. Il ne s’agit plus, bien entendu, que de l’origine céleste de la race elle-même, et de l’iden­tification d’agni avec les ancêtres de cette race.

Notons d’abord la mention fréquente de liens de parenté existant entre les hommes et les dieux. Nous n’entendons pas ici parler de l’attribution continuelle aux differents dieux du titre de père, qui peut n’avoir, et qui n’a en effet dans un grand nombre de cas, qu’une signification métaphorique. Mais il ne saurait y avoir de doute sur la valeur du mot sajātya « communauté de race », exprimant aux vers VIII, 18, 19 ; 72, 7 (cf. III, 54,16; VIII, 27, 10, et VIII, 62, 12 rapproché de VII, 72, 2), la relation conçue entre les hommes et les dieux, ni sur la portée de cet autre vers, VIII, 72, 8.: « Nous avons en commun, ô dieux qui versez des trésors liquides, la qualité de frères dans le sein de la mère6. » Le suivant n’est pas moins significatif, quoiqu’il renferme des détails dont l’explication pourra être donnée seulement plus loin, I, 105, 9 : « Il y a là-haut sept rayons ; c’est là que s’étend mon nombril ; trita āptya le sait, il proclame la parenté. » « Le nombril de l’homme étendu là-haut » est une expression qu’on ne peut comprendre qu’en remarquant d’abord que dans le langage védique le terme de nombril équivaut à celui de père, ensuite que le père est ici le ciel lui- même. Le premier fait semble étrange, mais je le crois incon­testable. Il explique un détail curieux de la mythologie postérieure, la naissance de brahmā sortant d’un lotus qui sort lui-même du nombril de viṣṇu, et qui, selon toute vraisem­blance, représente ce nombril lui-même. Le germe de ce mythe se trouve déjà au vers X, 82, 6 du ṛgveda dans la notion de « l’unique attaché au nombril de celui qui est sans parents », notion sur laquelle nous reviendrons.

« Le nombril de celui qui est sans parents » est un de ces paradoxes auxquels les poëtes védiques paraissent prendre un si grand plaisir, et qui ont quelquefois d’ailleurs un sens profond. Celui-ci par exemple constate sous une forme pit­toresque l’énigme du commencement. Quant à l’origine d’une représentation aussi bizarre de la descendance paternelle, on peut la chercher peut-être dans cette idée que le nombril, étant chez le père comme chez le fils la marque extérieure de la descendance, constitue en quelque sorte chez celui-là le premier anneau de la chaîne qui relie celui-ci aux ancêtres. De là le fils attaché au nombril du père comme dans le vers X, 82, 6. Mais par une sorte d’abus du langage, le nombril auquel le fils est attaché est devenu le nombril du fils, comme dans le passage qui a nécessité cette digression. MM. Roth et Grassmann éludent, de même qu’en bien d’autres cas, toutes ces difficultés, en effaçant le sens propre du mot nābhi et le transformant selon qu’ils le jugent nécessaire en ceux de « parenté (abstrait) », de « parenté (collectif)», ou de « pa­rent ». Mais le caractère artificiel de ces solutions ressort avec évidence dans le passage suivant où l’opposition du mot bandhu « lien » au mot nābhi est tout à fait significative, I,164, 33 : « Le ciel est mon père, qui m’a engendré, là est mon nombril ; mon cordon, ma mère, est cette grande terre. » On voit ici que la mère a dû être considérée comme le lien qui réunit entre eux les anneaux principaux de cette chaîne que nous cherchions à nous représenter tout à l’heure, c’est-à- dire les males d’une même race : ils sont les nombrils et elle est le cordon ombilical, ce cordon devant relier le fils, non à la mère qui ne compte pas dans la série des anneaux, mais au père7. On voit aussi que, comme nous l’avions annoncé, le nombril, c’est-à-dire le père de l’homme, « qui s’étend là- haut », au vers I, 105, 9, est bien le ciel8, tandis qu’au vers VII, 72, 8, cité avant celui-là, la mère dans le sein de laquelle les hommes « ont en commun avec les dieux la qualité de frères » peut être la terre. Ainsi les hommes et les dieux seraient frères parce que le ciel et la terre sont, comme nous le verrons, les parents de tous les êtres animés et inanimés. C’est en effet suivant cette conception que s’explique le mieux le titre de frère des hommes donné aux dieux, et par­ ticulièrement à agni (voir Grassmann, Wœrt. au mot bhrātri).

Cependant la mère des hommes peut être aussi placée dans le ciel avec leur père qui est alors distingué du ciel lui-même. Nous verrons que yama, considéré comme le premier homme, dit à sa sœur yamī, X, 10, 4 : « Le gandharva dans les eaux, et la femme aquatique, tel est notre nombril suprême, telle est notre parenté9». D’un autre côté, les anciens ṛṣi-s, I, 164, 15, et particulièrement viśvāmitra, III, 53, 9, reçoi­vent l’épithète devaja «né des dieux », qui ne peut plus s’expliquer, de même que le titre de frère des dieux, par la conception du ciel et de la terre comme père et mère de toutes choses. Elle n’est pas susceptible non plus d’une in­terprétation purement métaphorique comme le serait la qualification de fils des dieux, et elle implique décidément l’idée d’une origine céleste de la race humaine. Cette des­cendance divine, immédiate pour les chefs de famille, médiate pour leurs descendants, est indiquée dans les termes les plus clairs au vers I, 139, 9 : « dadhyac connaît mon origine, et l’antique aṅgiras, et priyamedha, kaṇva, atri, manu l’ont connue; les anciens, manu, l’ont connue; c’est aux dieux qu’ils se rattachent, et c’est en eux que sont nos nombrils… » Mais la notion vague d’une filiation divine n’est pas encore le mythe que nous avons annoncé. Il nous reste à prouver par les textes que le dieu dont descendent les an­cêtres est avant tout celui qui, émigrant sur la terre, forme le lien naturel de la race divine et de la race humaine, c’est- à dire le feu, agni.

Or, on lit en propres termes au vers I, 96,2, qu’agni a engendré les enfants des hommes, et les hommes sont vraisemblablement encore désignés au vers 4 du même hymne, où il est dit qu’agni a trouvé la voie pour ses descendants. Il doit être invoqué comme le premier père, II, 10, 1. agni vaiśvānara, d’après le vers I, 59,1, est le nombril, c’est- à-dire selon l’interprétation justifiée plus haut, le père des races. Le vers 2 du même hymne l’appelle la tête du ciel et le nombril de la terre; la première de ces expressions nous le fait reconnaître pour l’agni céleste, la seconde pour le père de la terre, ou plutôt des êtres qui l’habitent10.

Il n’est pas impossible que l’épithète tapojā, appliquée aux ṛṣi-s, X, 154, 5; cf. X, 183, 1, et dont le sens est devenu « né de la pénitence », ait signifié primitivement, conformé­ment à l’étymologie, « né de la chaleur, c’est-à-dire du feu ». Citons encore dans l’ordre d’idées qui nous occupe, et comme pouvant se rattacher au mythe d’agni ancêtre des hommes, les passages où ce dieu est appelé le premier-né, X, 5, 7 ; cf. I, 31, 11 ; cf. aussi I, 164, 37; X, 61, 19.

Mais c’est surtout en sa qualité de prêtre, et de premier prêtre, qu’agni figure comme chef des races humaines et particulièrement des familles de prêtres. Nous devons donc maintenant nous attacher à faire ressortir ce caractère sacer­dotal dont est revêtu le feu du sacrifice.

C’est un fait bien connu que tous les noms désignant les prêtres sont appliqués à agni, depuis les termes génériques de vipra et de ṛtvij (voir Grassmann, Wœrlerbuch, s. v.), jusqu’à ceux qui expriment les fonctions particulières des ministres du culte. Il reçoit, dans un grand nombre de pas­sages (voir ibid. s. v.), celui de hotṛ qui désigne en général le sacrificateur, et en particulier, au moins dans le rituel postérieur, le prêtre qui récite des vers, les vers du ṛgveda; plus rarement ceux de brahman (ibid.) et d’adhvaryu, III, 5, 4 et peut-être, VIII, 90, 10.

En plusieurs passages les titres sont intentionnellement accumulés. Ainsi dans l’hymne II, 5, il reçoit successive­ment, de vers en vers, ceux de hotṛ 1, de potṛ 2, de praśāstṛ 411, de neshtri 5, d’adhvaryu 6, sans compter l’emploi du terme générique de ṛtvij au vers 7. Le vers II, 1, 2, aux fonctions de hotṛ de potṛ, de neṣtṛ, d’agnidh, de praśāstṛ, d’adhvaryu et de brahman, ajoute encore le titre de gṛhapati désignant le maître de maison, celui qui offre le sacrifice. De même que dans le reste de l’hymne agni est successivement identifié à tous les dieux, il l’est dans ce vers, reproduit d’ailleurs, X, 91, 10, à tous les personnages qui prennent part au sacrifice, à l’exception de la femme du sa­crifiant. Celle-ci n’est plus oubliée aux vers IV, 9, 3 et 4, où agni est tour à tour assimilé au hotṛ, au potṛ,à la femme12, au maître de maison, au brahman. Citons encore le vers I, 94, 6, où agni reçoit en outre le titre de purohita, fixé plus tard dans le sens de prêtre domestique, de chape­lain : « Tu es l’adhvaryu et tu es le hotṛ antique, le praśāstṛ, le potṛ, le purohita par naissance; connaissant tous les offices de ṛtvij, etc. » Au vers VII, 16, 5, il est appelé maître de maison, hotṛ et potṛ, et les vers I, 76,4; X, 2, 2, lui attribuent encore à la fois les fonctions de ces deux der­niers prêtres. Il semble pourtant qu’agni n’ait dans le sacrifice qu’une fonction unique, celle de dévorer les offrandes. Mais il reçoit l’offrande du soma de la coupe de tous les sacrificateurs. Les coupes mentionnées en plusieurs passages comme offertes aux différents dieux, ainsi aux vers II, 36, 1 et 37,1, celle du hotṛ, aux vers 1 ,15, 2 ; II, 36, 2 ; 37, 2, celle du potṛ, aux vers I, 15, 9 ; II, 37, 3, celle du neṣtṛ, au vers II, 36, 6, celle du praśāstṛ, au vers II, 37, 4, enfin celles du hotṛ, du potṛ et du neṣtṛ à la fois, toutes ces coupes, dis-je, sont versées dans le feu. Si donc le feu qui dévore l’offrande a été une fois considéré comme le véritable sacri­ficateur de cette offrande, il a dû assumer du même coup la charge de tous les prêtres dont il la reçoit.

Or rien n’était plus naturel que cette attribution à agni du rôle de sacrificateur. C’est à la consomption de l’offrande qu’aboutissent toutes les cérémonies, c’est elle qui constitue, à proprement parler, le sacrifice. Mais agni n’est pas sim­plement un instrument passif de cette opération qui sert de couronnement à toutes les autres, agni est, nous le savons, un dieu parmi les mortels. Il est, et nous analyserons plus loin les diverses formes de cette idée, l’intermédiaire de la terre et du ciel. Les offrandes qu’on lui confie sont par lui transmises aux dieux qui ne « s’enivrent pas sans lui », VII, 11, 1, et s’il est, comme nous le verrons, appelé leur bouche, ses flammes sont aussi, par une conception qui rentre tout à fait dans l’ordre d’idées auquel nous nous arrêtons actuellement, considérées comme des cuillers, juhvah13. Les dieux, en somme, n’ont directement affaire qu’à lui seul. C’est lui qui est le vrai sacrificateur, hotrà satyataraḥ, III, 4, 10, et qui rend aux différents dieux les honneurs qui leur sont dus14, attendu qu’il les connaît, III, 4, 10; VI, 52, 12; cf. VII, 10, 2, comme il connaît les mortels, VIII, 39, 6. Aussi est-ce lui que ceux-ci choisissent pour leur hotṛ, VIII, 49, 1, lui seul, que l’offrande soit grande ou petite, X, 91, 8 et 9. Il est le hotṛ de toutes les offrandes, X, 91, 1. Comparé aux autres, il est le plus glo­rieux des hotṛs, VIII, 91, 10.

Sa sagesse est surtout vantée. Nous venons de voir déjà qu’il connaît et sait distinguer les dieux. A son titre de prêtre, vipra, le vers I, 127, 1 accole l’épithète jātavedaḥ « connaissant les êtres », qu’il a, nous le savons déjà, empruntée au soleil. Il est aussi appelé viśvavid « qui connaît tout » (voir Grassmann, Wœrt., s. v., cf. X, 11, 1). On ne se contente pas de dire qu’il a l’intelligence d’un sage, kavikratu, 1,1,5, qu’il est riche en pensée, dhiyāvasu, 1,58,9; III, 28,1, qu’il connaît exactement le sacrifice, X, 110, 11, qu’aussitôt né (cf. VII, 4, 2) il a fait le sacrifice, qu’il connaît tous les rites, X, 122, 2 : on lui attribue toutes les sagesses ou toutes les sciences, III, 1,17; X, 21,5, qu’il embrasse comme la jante embrasse la roue, II, 5, 3, et on les lui attribue également dès sa naissance, I, 96, 1. L’auteur d’un hymne à agni ren­fermant un certain nombre de passages obscurs à dessein, ajoute en terminant qu’il a adressé ces paroles à un sage, autrement dit à bon entendeur, IV, 3, 16. Les poëtes recon­naissent qu’agni l’emporte en sagesse sur tous les hommes pieux, I, 72, 1, étant lui-même le plus pieux des ṛshi-s, VI, 14, 2, ou plutôt ils confessent leur ignorance et l’oppo­sent à sa science dont ils implorent les lumières. Car, sage parmi les ignorants en même temps qu’immortel chez les mortels, VII, 4, 4 ; cf. X, 46, 5, il instruit le simple15,1, 31,14 ; déposé sur la peau inférieure (la terre), il a dévoilé les rites aux mortels, I, 145, 5. Comme des fils écoutent un père, on écoute son enseignement, I, 68, 9, qui est celui d’un sage, I, 73,1. Il est descendu du ciel pour être interrogé, I, 60, 2. Aussi lisons-nous au vers I, 105, 4 : « J’interroge l’inférieur (l’agni terrestre) sur le sacrifice ; que le messager (id.) me réponde » ; et au vers I, 145, 1 : « Interrogez-le, il est allé (?), il sait16». Les mêmes idées se retrouvent plus développées dans les deux passages suivants :

VI, 9,

  1. « Je ne sais pas tisser la trame (le sacrifice) que tissent ceux qui luttent (les sacrificateurs); quel fils de l’homme pourrait dire ici ce qu’il faut dire, mieux que le père inférieur (agni)?

  2. « Celui-là sait tisser la trame, celui-là dira exactement ce qu’il faut dire, qui connaît le monde immortel dont il a la garde, et qui venant ici-bas en voit plus que l’autre (le père suprême).

  3. « C’est lui qui est le premier sacrificateur. Regardez-le : c’est la lumière immortelle au milieu des mortels17. »

    X, 2,

    1. « Rassasie les dieux, comble leurs désirs, ô dieu très-jeune ; connaissant les temps, ô maître des temps, offre ici le sacrifice; avec les prêtres divins, ô agni, tu es le plus vénérable des hotṛ-s.«
    2. Tu te charges pour les hommes de l’office de hotṛ et de potṛ ; tu es pieux, libéral, fidèle à la loi ; accompagnons les offrandes du cri svāhā ; dieu lui-même, qu’agni honore les dieux, lui qui en est capable.
    3. « Nous sommes entrés dans le chemin des dieux (le sacrifice) pour nous y avancer aussi loin que nous pourrons ; agni est savant, qu’il offre le sacrifice ; c’est lui qui est le hotṛ ; qu’il ordonne les sacrifices et règle les temps.
    4. « Si nous violons vos lois, ô dieux, ignorants que nous sommes, ô sages, qu’agni remplisse toutes les lacunes, lui qui est savant, en honorant chaque dieu en son temps.
    5. « Si dans leur simplicité, les mortels à la faible intelli­gence ignorent le sacrifice, qu’agni, le sage sacrificateur qui le connaît, très-digne lui-même d’être honoré, honore les dieux selon les temps. »

On aura remarqué dans ce second passage l’idée qu’agni répare les fautes commises par les sacrifiants. J’entends dans le même sens l’expression iskartāram adhvarasya, X, 140, 5, comme signifiant le redresseur ou le médecin du sacrifice. agni est à la fois celui qui enseigne les rites, 1,95,3 ; cf, VIII, 61, 1, qui aiguise les prêtres selon l’expression énergique du vers VII, 16,6, qui les fait sacrifier, III, 1,1, qui élève les mor­tels au rang de ṛshi-s, I, 31,16, et celui grâce auquel l’offrande est bien sacrifiée, celui qui dirige ou qui accomplit (sādh) lui-même les cérémonies, III, 1, 18; cf. 17 ; III, 2 ,5 , qui en est l’ordonnateur, VII, 7, 5. Pour en finir avec le sujet des enseignements dus à agni, il faut citer les passages portant que les sagesses, les prières, les hymnes naissent de lui, IV, 11, 3; cf. 2, qu’il est le sein (le récipient) de toutes les prières et le vase où on les puise, V, 44,13, l’inventeur de la parole brillante, II, 9, 4, le premier inventeur de la prière, VI, 1, 1, qu’il la connaît et qu’il l’enseigne, III, 31, 1, qu’il la proclame, IV, 5,3, qu’il donne la pensée, V, 7, 9, les prières, X, 45, 5, les hymnes en abondance, V, 6, 9, qu’il commu­nique une bonne part de la parole, III, 1, 1918, enfin qu’il inspire l’enthousiasme poétique vipām jyotimṣi, III, 10, 5, vepaḥ., X, 46, 8, ce qui lui vaut l’épithète vipodhā, X, 46, 5, dont on peut rapprocher celle de medhākāra, X, 91, 8 « qui donne la sagesse ».

agni d’ailleurs n’inspire pas seulement les poètes; il connaît lui-même l’enthousiasme (vepate[√vip-] mati, X, 11, 6) qu’il leur communique. Il est lui-même éloquent, VI, 4, 4 ; cf. X, 12, 2; il est un chantre, VIII, 49, 19 ; X, 100, 6; I, 148, 2; cf. I, 59,7; 127,10; VIII, 44, 2019, et sa voix est comparée à une douce liqueur, IV, 6, 5. Le chant d’agni n’est pas d’ailleurs un simple produit de l’imagination des ṛshi-s. Ils ont entendu le feu crépiter en dévorant le bois, I, 58, 4 ; VI, 3, 7, et le bruit de ses flammes leur a paru un chant, X, 3, 6, surtout quand ils y versaient l’offrande, I, 94, 14, pour ne rien dire de la voix céleste d’agni, VI, 15, 4, qui est le tonnerre.

Ainsi donc agni est un sacrificateur, un sage, un chantre, et naturellement le sacrificateur, le sage, le chantre par ex­cellence, celui qui instruit ou qui inspire les autres. Ce n’est pas tout, et nous avons vu déjà qu’il était assimilé au maître de maison. Dans cette assimilation se révèle surtout le carac­tère d’agni comme feu du foyer, comme feu domestique, damūnaḥ. (V, 1 ,8 , et passim), que l’homme honore dans sa pro­pre demeure (VIII, 44, 15, et passim), et qui est établi dans cette demeure comme le chef de la tribu, viśām viśpatiḥ, VII, 7, 4; cf. V, 4, 3; VI, 1, 8. La tribu paraît d’ailleurs ne différer guère ici de la famille, et le titre de maître de maison, gṛhapati, qu’agni reçoit encore au vers V, 8,1, semble équivalent au titre de chef de tribu, viśpati, dans le vers VI, 48, 8: « Tu es, ô agni, le maître de maison de toutes les tribus humaines. » L’origine de la concep­tion est encore assez transparente au vers III, 1, 17, où le poëte dit à agni, en lui donnant l’épithète damūnah,« domestique » : « Tu as rendu les mortels sédentaires20. » Le foyer, en effet, n’est pas seulement le centre, il est, si l’on peut ainsi parler, le noyau de l’habitation. C’est autour de lui que celle-ci s’est formée. Il en est donc bien vérita­blement le maître, en même temps que le chef de la famille qu’elle abrite ou de la tribu qui s’est groupée autour d’elle. Pour la même raison encore, il peut être appelé l’ancien de la demeure, VIII, 91, 11.

L ’antiquité, tel est en effet le caractère qui, dans cet ordre d’idées, devait frapper avant tout chez agni. Sans doute agni est aussi un dieu jeune, et même très-jeune, auquel l’épi­thète yaviṣṭha est spécialement consacrée. Mais c’est qu’il a, comme nous l’avons vu déjà à propos de son entrée dans les plantes, le don de renaître, VIII, 43, 9, c’est qu’il a des naissances nouvelles que le vers III, 1, 20 oppose à ses naissances anciennes. Le rajeunissement n’est qu’une autre forme de la renaissance. Nous pouvons donc rapprocher des citations précédentes le vers II, 4, 5, portant que lorsque agni est devenu vieux, il redevient tout à coup jeane, II, 4, 5. Ailleurs encore nous lirons, ce qui en somme revient au même, qu’il ne vieillit pas, I, 128, 2. Son éclat nouveau est en effet semblable à l’ancien, VI, 16, 21. Toutes ces formules peuvent s’appliquer d’ailleurs aussi bien à l’agni céleste, tour à tour caché pendant la nuit et pendant la sécheresse et reparaissant le matin ou dans l’orage, qu’au feu terrestre enfermé dans le bois, puis en sortant par la friction. Antique comme maître de maison, agni ne l’est pas moins comme prêtre, car l’institution du sacrifice est placée au berceau même de la race. Nous avons déjà vu qu’il est le premier inventeur de la prière. On lit ailleurs qu’il a con­duit le premier sacrifice, III, 15, 4. Il est appelé le premier sacrificateur, X, 88, 4, l’ancien sacrificateur, VIII, 44, 7 (cf. I, 94, 6, déjà cité), qu’on prie de remplir de nouveau la même fonction, VIII, 11, 10. Il a brillé aux aurores anciennes, I, 44, 10, et il naît maintenant avec toutes les sagesses, comme autrefois, I, 96, 1. Je traduirai en entier le vers I, 76, 5 : « Comme tu as, avec les offrandes du prêtre manu, honoré les dieux avec les sages, sage toi-même : ainsi, toi le vrai sacrificateur, honore-les maintenant, ô agni, avec la cuiller savoureuse. » Rien n’est plus fréquent, d’ailleurs, que l’emploi des formules qui rappellent avec les sacrifices des ancêtres le rôle qu’agni y a joué, VII, 11, 3 : « agni, honore ici les dieux comme chez manu, manusvat. » Cf. bhṛguvat, aṅgirasvat, VIII, 43, 13, et tant d’autres composés du même genre, VIII, 23, 23 et 24; VIII, 91, 4, etc., etc. Signalons encore le vers V, 3, 5 : « Il n’y a pas, ô agni, de sacrificateur plus ancien que toi, ni qui par sa science accom­plisse mieux le sacrifice », et le vers X, 53, 1, où agni paraît d’ailleurs descendre du ciel pour reprendre son an­cienne charge : « Celui qu’appelait notre pensée est venu, lui qui connaît le sacrifice, qui en connaît chaque partie; qu’il sacrifie pour nous dans le service divin, lui qui est plus habile; car il s’est établi près d’ici avant nous. »

La double fonction de prêtre et de maître de maison reconnue à agni, et son antiquité avec l’un et l’autre carac­tère, qui se confondent d’ailleurs pour les familles sacerdo­tales21, auraient suffi peut-être pour le transformer en un ancêtre de ces familles, lors même que le mythe de l’ori­gine ignée de la race humaine n’aurait pas été fondé, comme nous l’avons reconnu, sur des observations réelles et des analogies immédiates. Il nous est au moins permis de croire que ces analogies plus lointaines, mais cependant extrême­ment familières à la pensée védique, ont corroboré le mythe et contribué à sa conservation. A ce titre seul elles auraient dû être mentionnées ici. Mais ce qui nous justifiera surtout de les avoir exposées avec tant de détails, c’est que la forme particulière qu’elles imposent au mythe est précisément celle sous laquelle il se présente ordinairement à nous dans le ṛgveda, à savoir l’assimilation d’agni aux chefs de familles sacerdotales, ou réciproquement de ces chefs à agni.

Ici se pose une question qui est encore pour nous insoluble, ou plutôt susceptible d’au moins deux solutions entre lesquelles nous ne nous sentons pas en état de choisir. Les noms des ancêtres dont nous constaterons l’identification à agni sont, au moins en partie, ceux de familles qui ont réellement existé, auxquelles appartiennent les poètes mêmes dont nous lisons les hymnes. Quelle est donc dans la légende de ces ancêtres la part à faire à la réalité et au mythe, et comment concilier celui-ci avec celle-là? Leurs noms étaient- ils purement et simplement des noms du feu, considéré dans toutes les familles, mais sous une appellation particulière dans chacune d’elles22, comme le premier ancêtre? En ce cas angiras, bhṛgu, vasiṣṭha et les autres, n’auraient jamais été des personnages réels, et n’auraient été distingués du feu, tout en conservant dans leur légende certaines traces de leur véritable origine, que par l’obscurcissement graduel du mythe primitif. Ou bien les ancêtres réels des différentes familles avaient-ils pris des noms du feu, cet ancêtre commun de tous les hommes, auquel leurs fonctions de prêtre aussi bien que leur caractère de maître de maison les assimilaient d’ailleurs? En fait nous voyons les auteurs des hymnes se comparer eux-mêmes à des feux qui chantent, II, 28, 2. L’agni qui allume agni dans le vers VIII, 43, 14 est peut-être le prêtre réel : « 0 agni, tu es allumé par un agni, prêtre par un prêtre, ami par un ami. » L’auteur du vers VIII, 6, 10, se compare au soleil, forme céleste d’agni, comme naissant sur la terre pour y appliquer dans l’ordre du sacrifice la loi à laquelle le soleil obéit également dans le ciel : « J ’ai reçu de mon père la connaissance de la loi ; je suis né comme le soleil. » Les prêtres sont encore comparés à des soleils au vers VIII, 3, 16, et le vers I, 171, 5 les re­présente brillant à l’aurore, cf. X, 98, 8, ce qui peut s’en­tendre du feu du sacrifice aussi bien que du soleil. L’auteur de l’hymme VII, 88 va plus loin, si j ’entends bien le vers 3 où il paraît se représenter comme traversant les eaux célestes sur le même navire que varuṇa, sans doute en qualité d’éclair, et en s’assimilant à son ancêtre Vasiṣṭha (cf. 4) que nous verrons en effet identifié à l’éclair, VII, 33, 10. Ce qui permet de croire que le vers en question n’est pas placé dans la bouche de l’ancêtre, et que le poëte y parle bien en son propre nom, c’est la comparaison du vers X, 136, 3 : « Eni­vrés par l’état de muni23, nous nous sommes élevés sur les vents ; ô mortels, vous ne voyez que nos corps24. » Tant de hardiesse n’aurait même pas été nécessaire aux anciens prê­tres pour prendre simplement l’un des noms du feu, noms qui d’ailleurs ne sont à l’origine que des épithètes. Dans cette hypothèse l’œuvre du temps aurait consisté à confondre peu à peu, au moins dans une certaine mesure, le personnage réel avec l’élément ou le dieu dont il portait le nom, con­fusion favorisée naturellement par le mythe de l’origine ignée de la race humaine.

Les deux explications proposées peuvent, semble-t-il, se soutenir toutes les deux. Peut-être même, dans les cas par­ticuliers, répondraient-elles tour à tour à la réalité. Quoi qu’il en soit, on ne peut nier que certains noms, vasiṣṭha par exemple, semblent appartenir davantage au domaine de l’histoire, d’autres au contraire, comme aṇgiras et bhṛgu, à celui de la mythologie. Nous ne pouvions passer la question sous silence; mais après l’avoir ainsi posée une fois, sans d’ailleurs la résoudre, nous n’y reviendrons plus. Simples mythes transformés en personnages historiques, ou person­nages historiques défigurés par la mythologie, les ancêtres offrent en tout cas dans leur légende des traits qui appar­ tiennent à agni25. Dans cette mesure, ils représentent agni, et figureront en cette qualité dans nos analyses. Le plus grand nombre sera plus commodément étudié dans la seconde partie consacrée à indra, et surtout dans le cha­pitre de la troisième partie consacré aux aśvin-s. Nous nous bornerons ici à en citer quelques-uns. On verra d’ailleurs qu’ils peuvent être identifiés au feu sous ses diverses formes. Nous avons dit déjà que vasiṣṭha l’est à l’éclair, VII, 33, 10, et le vers IV, 26, 1, sur lequel nous reviendrons plus tard, introduit, quel que soit le personnage qui parle, la mention du soleil dans une série de transformations com­prenant la forme de ṛṣi, IV, 26, 1 : «J’ai été manu et le soleil, je suis le ṛṣi, le prêtre kakṣīvat, etc. » Il n’en est pas moins vrai que, comme prêtres et maîtres de maison, les ancêtres représentent avant tout le feu du sacrifice.

Le premier nom d’ancêtre sous lequel nous rechercherons le personnage du feu est celui d’aṇgiras. Ce nom est donné à agni dans un grand nombre de passages, I, 1,6; 74, 5; IV, 3, 15 ; 9, 7; V, 8, 4 ; 10, 7; 21,1 ; VI, 2, 10 ; 16, 11 ; VIII, 49, 2; 63, 11 ; 64, 5; 73, 4 ; 91, 17. Au pluriel il désigne tout un groupe de prêtres ; mais par comparaison avec ce groupe, agni reçoit l’épithète angirastama «le plus aṇgiras, l’aṇgiras par excellence», I, 75, 2; VIII, 23, 10; 43, 18 et 27; 44, 8, expliquée par les qualifications de premier ṛṣi aṇgiras, I, 31, 1,de prêtre (inspiré, vipra) le plus inspiré des aṇgiras, VI,11,3, également appliquées à agni, en sorte que celle d’antique aṇgiras au vers X, 92, 15 peut être regardée comme une désignation suffisante du feu. Or le premier des aṇgiras pourrait naturellement passer pour le père des aṇgiras, lors même qu’il ne serait pas dit expressément, aux vers X, 62, 5 et 6, que les aṇgiras sont fils d’agni, qu’ils sont nés de lui.

Même en tant qu’opposé au groupe des aṇgiras, l’agni nommé aṇgiras peut, comme nous l’avons vu par la formule du vers I, 31, 1: « Tu es, ô agni, le premier ṛṣi aṇgiras », retenir le caractère de prêtre. Mais il peut n’être aussi que l’élément que les aṇgiras, comme prêtres du feu, ont trouvé caché dans le bois, V, 11, 6: « Les aṇgiras, ô agni, t’ont trouvé caché, retiré dans les différents morceaux de bois ; tu nais par une friction opérée avec une grande force ; on t’ap­pelle le fils de la force, ô aṇgiras. » D’un autre côté il arrive que le nom d’aṇgiras, même au singulier, par exemple sous la forme aṇgira au vers IV, 51,4, et l’expression « antique aṇgiras » elle-même, dans une énumération d’ancêtres déjà citée, I, 139,9, ne désignent plus qu’un ancien prêtre, sans allusion directe à agni. J’interprète de même le mot dans le composé aṇgirasvat26 « comme aṇgiras » ou « comme chez aṇgiras, » en sorte que les vers I,78, 3; VIII, 43, 13: « Nous t’invoquons, (ô agni,) comme autrefois aṇgiras, » et le vers I, 45, 3 : « Ecoute notre invocation comme tu as écouté celle d’aṇgiras », nous montrent agni en tant que dieu, dis­tingué d’aṇgiras en tant qu’ancien prêtre. Il y a plus, et le même mot désigne successivement l’ancêtre et agni, distin­gués l’un de l’autre, dans un seul et même vers, I, 31, 17 : « Viens chez nous, comme autrefois chez aṇgiras, ô aṇgiras. » Il faut nous habituer à ces conséquences de l’équivoque impliquée par les noms qui désignent à la fois agni et un chef de race, tantôt confondus et tantôt distingués. Nous retrouverons d’ailleurs plusieurs fois dans le cours de cette exposition le groupe des aṇgiras.

Au nom d’aṇgiras est étroitement associé dans la tradition brahmanique celui d‘atharvan. Les deux noms réunis en un composé atharvāṇgirasaḥ, littéralement les atharvan-s et les aṇgiras, désignent le quatrième veda, plus connu sous le nom d’atharvaveda. Dans le ṛgveda, nous les voyons déjà rap­prochés, également au pluriel, dans une énumération des pitṛ-s ou ancêtres de la race, X, 14, 6. D’ailleurs, quelle que soit l’antiquité du lien particulier qui s’est établi entre les deux noms, il ne saurait être douteux que celui d’atharvan ne soit dans un rapport très-étroit avec l’idée du feu27. On doit croire à la vérité, d’après le sens qu’il a presque sous la même forme (ātharvan) dans la langue zende, et d’après son étymo­logie très-claire dans cette langue (de *ātar « feu » et du suffixe possessif van), qu’il n’a pas désigné primitivement l’élément, mais déjà le prêtre du feu. Cependant il faut remarquer en même temps qu’il n’est resté employé que comme nom propre dans la littérature brahmanique et, si je ne me trompe, aussi dans le ṛgveda. Il désigne un ancêtre auquel on donne pour fils dadhyanc, personnage entièrement mythologique, ainsi que nous le verrons en étudiant la légende des aśvin-s, I, 116, 12; 117, 22; VI, 16, 14. Il figure dans des énuméra­tions d’anciens prêtres, I, 80, 16, et de protégés d’indra, X, 48, 2. Enfin on lui attribue l’honneur d’avoir accompli le premier par le sacrifice certaines œuvres dont nous parlerons plus loin, ce qui équivaut à faire de lui le premier sacrifica­teur, I, 83, 5; X, 92,10. Or l’analogie d’aṇgiras et des autres anciens prêtres, identifiés à agni, dont nous étudierons les lé­gendes ci-après et dans tout le cours du livre, doit nous porter à croire que le mot atharvan n’est pas passé directement du sens abstrait de prêtre du feu à la désignation d’un ancêtre de la race, mais qu’il n’a pris cette dernière acception qu’après être devenu un nom d’agni considéré comme prêtre. En fait, de l’aveu de MM. Roth et Grassmann, il désigne agni au vers VIII, 9, 7. D’après l’observation déjà faite à propos d’aṇgiras, l’identité primitive d’atharvan avec agni n’au­rait point fait obstacle à ce qu’il fût présenté aux vers VI, l6,13; X, 21, 5, comme allumant le feu. La même contra­diction apparente se retrouve, avec allusion à l’antiquité d’atharvan, au vers X, 87,12 où on prie agni de détruire l’ennemi comme chez atharvan, et au vers VI, 15, 17 où il est dit que les prêtres produisent le feu par le frottement comme atharvan.

Le mot vasiṣṭha, superlatif de vasu, signifiant « le meil­leur » ou peut-être « le vasu28 par excellence », est appliqué comme épithète à agni, aux vers II, 9, 1 et VII, 1, 8. Je crois qu’il désigne agni au vers VII, 73, 3 où ce dieu n’est pas nommé, cf. 2. Il paraît remplacer, au vers X, 95, 17, le nom de purūravas, dont l’identité primitive avec agni sera directement démontrée ailleurs29. Enfin, il est le nom de l’ancêtre des vasiṣṭha-s, famille sacerdotale à laquelle la tra­dition attribue, outre quelques courts fragments, tous les hymnes du septième mandala, et dont la mention se ren­contre en effet souvent dans ces hymnes. Les vasiṣṭha-s sont d’ailleurs, tantôt les membres actuels de la famille, comme le prouve, aux vers VII, 12, 3 ; 23, 6; 76, 6 et 7; 77, 6, l’emploi d’un verbe au présent, et au vers VII, 39,7, celui d’un verbe à l’impératif, et surtout aux vers VII, 7, 7 ; 37, 4; 90, 7, celui d’un verbe à la première personne, — tantôt les ancêtres de cette famille. A cet égard, le seul emploi d’un verbe au passé ne serait pas décisif, VII, 80, 1; X, 66, 14; 122, 8; mais les vasiṣṭha-s sont expressément rangés parmi les pitṛ-s au vers X, 15, 8, et invoqués, en cette qualité, dans toute la première partie de l’hymne VII,33 (de 1 à 9). De même, au singulier, le mot vasishtha se rencontre employé, non-seulemont avec un passé, mais avec un présent ou un impératif, VII, 22, 3 ; 23, 1; 26, 5 ; 59, 3 ; 86,5 ; 88, 1; 96, 1; X, 150, 5, auquel cas il ne peut dési­gner qu’un membre actuel de la famille. Mais venons-en au premier ancêtre, à l’auteur même de la race.

C’est peut-être de lui qu’il s’agit dans les vers VII, 42, 6 ; X, 65, 15, avec un verbe au passé, et dans les vers VII, 9, 6; 18, 4; 95, 6, sur lesquels nous reviendrons. Il ne peut plus y avoir de doute au vers VII, 18, 21 ; et VII, 96, 3, où le nom de vasiṣṭha est rapproché d’autres noms d’ancétres. vasiṣṭha figure au versX, 181, 1 comme initiateur d’un rite. Enfin, dans l’hymne VII, 33, où les vasiṣṭha-s, invoqués comme ancêtres, sont appelés « les louangeurs (de la famille) de vasiṣṭha », ce vasiṣṭha, auteur de la race, affecte un caractère décidément mythologique. Je dois traduire en entier les vers 10-14, quoiqu’ils ren­ferment certains détails qui ne peuvent être expliqués maintenant.

  1. « Quand mitra et varuṇa t’ont vu, splendeur sor­tant de l’éclair, ce fut là une de tes naissances, et en voici une autre, ô vasiṣṭha : agastya t’a apporté aux hommes.

  2. « Et tu es le fils de mitra et varuṇa, ô vasiṣṭha, né d’urvaśī30 *, ô prêtre, né de la pensée; goutte tombée par l’effet de la prière divine, tous les dieux t’ont reçu dans la cuillère31.

  3. « Lui qui est l’intelligence, qui connaît les deux (mondes ou races, ou mitra et varuṇa, ses parents?), qui fait mille dons, qui tout au moins fait des dons, vasiṣṭha, pour tisser la trame tendue par yama (le sacrifice), est né de l’apsaras (urvaśī).

  4. « Nés dans le sattra (l’assemblée), excités par le culte, ils (mitra et varuṇa) ont répandu dans le vase une semence commune: du milieu de ce vase est venu māna (agastya), de là on dit qu’est né le ṛṣi vasiṣṭha.

  5. « Il protège celui qui offre l’hymne, qui offre le sāman ; portant la pierre (à presser le soma), qu’il parle le pre­mier; approchez-vous de lui avec un cœur bien disposé ; que vasiṣṭha vienne vers vous, ô pratṛd-s32. »

De ce passage difficile, dont nous chercherons plus tard à éclaircir les obscurités, quelques points se dégagent du moins avec une entière netteté : vasiṣṭha a deux nais­sances comme agni ; il a été apporté aux hommes comme agni; comme lui, il est descendu pour accomplir le sacrifice ; enfin dans l’une de ses naissances, il est identique à l’éclair. C’est sans doute encore comme éclair qu’il a, sur le navire de varuṇa, traversé une mer qui ne peut être que la mer céleste, VII, 88, 433, exploit dont un de ses descendants pa­raît se faire lui-même le héros, en s’identifiant sans doute avec son ancêtre (ibid. 3). Il faudrait être, après ces citations, difficile à convaincre, pour ne pas reconnaître que, sous le nom et la légende de vasiṣṭha, est confondue avec la personnalité, réelle ou supposée, d’un chef de race, une re­présentation du feu. Cette confusion d’ailleurs n’est pas con­stante, puisqu’au vers VII, 9, 6, le feu est allumé par vasiṣṭha.

Avec les noms de bhṛgu et de mātariśvan, nous retrou­ vons, sous forme légendaire, l’idée de la descente du feu à laquelle nous avons consacré déjà une première étude, et que vient de nous rappeler le mythe de vasiṣṭha. Il y aura tout avantage à ne pas séparer ici les personnages que désignent ces deux noms. Ce n’est pas que la similitude soit complète. Le mot mātariśvan n’est employé qu’au singulier ; il n’est pas devenu le nom d’une famille de prêtres. Au contraire, il n’y a dans le ṛgveda qu’un seul exemple certain de l’emploi du mot bhṛgu au singulier, I, 60,134, et l’anukramaṇī com­prend dans la liste des auteurs des hymnes un bon nombre de poètes auxquels elle attribue le patronymique bhārgava «descendant de bhṛgu». Cependant mātariśvan, pour n’a­voir pas fait souche de prêtres, n’en est pas moins considéré lui-même comme un ancien ṛṣi35, compris en cette qua­lité dans les énumérations des vers X, 48, 2; Vāl. 4, 2, et qui, selon une conception qui sera expliquée en son lieu, forge à indra sa foudre, X, 105, 6 et 7. D’un autre côté, le pluriel du nom de bhṛgujne désigne jamais, dans le ṛgveda, des prêtres actuellement existants, mais seulement d’anciens sacrificateurs, I, 127, 7, qui figurent comme tels dans des comparaisons, IV, 16,20; VIII, 3, 16; X, 39, 14, et dans une énumération de pitṛ-s, avec les aṇgiras et les atharvan-s, X, 14, 636.Dans les énumérations d’ancétres des vers VIII, 43, 13 ; 91, 4, le composé bhviguvat peut être in­ terprété « comme les bhṛgu-s » ou « comme bhṛgu ». En somme, les bhṛgu-s forment à côté de bhṛgu, le chef de la race, un groupe d’ancétres analogue à ceux que forment les aṇgiras à côté d’aṇgiras, et, dans certains cas, les vasiṣṭha-s à côté de vasiṣṭha.

Or, le mot mātariśvan est, dans le ṛgveda, un nom du feu. Nous le voyons expressément attribué à agni, III, 5, 9 ; 26, 2, particulièrement dans un passage déjà cité, I, 96, 4, où agni est conçu comme chef de race. Le même nom est compris au vers I, 164, 46 avec celui d’agni parmi les ap­pellations diverses que les prêtres ont employées, « divisant ainsi par la parole l’être qui est en réalité unique». Il l’est encore au vers III, 29, 11, parmi les divers noms d’agni dont le poëte précise l’application ou donne même l’étymo­logie. C’est le dernier cas pour le nôtre qui est ainsi ex­pliqué : « II (agni) est appelé mātariśvan parce que (ou quand) il s’est formé dans sa mère. » Nous avons déjà fait observer que le mòt mātariśvan est devenu plus tard un nom du vent, mais que cette acception parait étrangère aux hymnes, quoique le vers même qui vient d’être cité indique peut-être la transition de l’idée du feu à celle du vent dans son dernier pāda : « Il est devenu dans sa course l’essor du vent. » Au vers I, 190, 2, mātariśvan semble une transformation de bṛhaspati, divinité dont nous constaterons les affinités avec agni. Il est nommé au vers X, 109, 1, en compagnie de la mer et des eaux, cf. X, 85, 47, ce qui suggère naturelle­ment l’idée de l’agni des eaux. Il n’est pas aisé de décider s’il figure aux vers IX, 67, 31 ; X, 88,19 ; 114, 1, comme représentant le feu, ou simplement comme ancien ṛṣi. Quoi qu’il en soit, les citations précédentes suffisent pour nous permettre de l’ajouter à la liste des personnages qui prennent tour à tour l’un et l’autre caractère. — Pour bhṛgu l’identification avec agni n’est pas formelle dans le ṛgveda. Mais le sens étymologique du mot, à savoir « étincelant », l’application à agni d’une épithète de même étymologie, bhṛgavāna, I, 71,4; IV, 7, 4, et surtout les analogies mythologiques ne permettent guère de douter qu’il n’ait été aussi primitivement un nom du feu. La troupe des bhṛgu-s prend d’ailleurs elle-même le caractère divin aux vers VIII, 35, 3 ; X, 122, 5, où elle est mise en parallèle avec les marut-s, et même avec les trente-trois dieux, ce qui permet peut-être, dans le vers X, 92, 10, d’attribuer directement aux bhṛgu-s le nom de dieux.

Mais si l’idée d’un ou de plusieurs anciens prêtres et celle de l’élément du feu ont été confondues sous les noms de bhṛgu ou des bhṛgu-s et de Mâtariçvan, on les retrouve aussi distinguées et même opposées dans les légendes où figurent ces noms. Et ici il ne s’agit plus seulement de quelques traits semblables à ceux que nous avons relevés

dans les personnages déjà étudiés : « Nous t’invoquons, ô agni, comme bhṛgu, ou comme les bhṛgu-s, bhṛguval », VIII, 43, 13; 91, 4. C’est aux bhṛgu-s et à mātariśvan qu’est rapportée de préférence l’opération par laquelle le feu a été communiqué aux hommes. Ils sont nommés ensemble au vers X, 46, 9 avec tvaṣtṛ, avec les dieux, avec le ciel, la terre et les eaux, comme ayant engendré agni pour manu, ou pour l’homme. Les bhṛgu-s l’ont fait brûler en le louant, X, 122,5, ils l’ont, ainsi qu’apnavāna, cf. VIII, 91, 4, fait briller sur le bois et dans les différentes races, IV, 7,1. Ils l’ont établi chez les hommes, I, 58, 6 ; cf. VI, 15, 2, sur le nombril de la terre et du monde (l’autel), I, 143, 4, et agni est appelé le don des bhṛgu-s, III, 2, 4. De même māta­riśvan a par la friction produit le feu, I, 148,1, le feu qui était caché, I, 141, 3, et bien qu’au vers I, 71, 4 ,où la même œuvre lui est attribuée, il reçoive l’épithète vibhṛta « distri­bué en divers lieux », d’ordinaire appliquée à agni lui- même, et rappelant l’assimilation du prêtre et du feu, la distinction de l’un et de l’autre n’en est pas moins imposée par le texte même où se rencontre cette trace de la confusion. Toutes les citations qui précèdent pourraient s’entendre à la rigueur de la production du feu sur la terre, par le frot­ tement de deux arani-s réels. Mais au vers III, 9, 5, il est dit en propres termes que le feu caché, et produit par la friction, a été tiré par māta­riśvan « d’un lieu éloigné », tiré « des dieux ». māta­riśvan a reçu le feu qui avait son séjour dans le ciel, III, 2, 1337. D’après le vers I, 143, 2, c’est en naissant dans le ciel suprême qu’agni lui a apparu. « Les deux mondes ont tremblé au choix du sacrificateur » quand agni a apparu38 le premier (pour la première fois?) à māta­riśvan39, I, 31, 3, et cette formule, sur laquelle nous revien­drons, suggère invinciblement l’idée de l’éclair. De leur côté, les bhṛgu-s ont trouvé agni dans les eaux, X, 46, 2, et c’est ainsi qu’ils l’ont communiqué aux hommes, U, 4, 2. Il s’agit donc bien, au moins dans cette nouvelle série de cita­tions, de la découverte du feu céleste et de sa descente sur la terre. A la vérité, la croyance à une action immédiate du sacrifice terrestre sur les feux célestes, que nous étu­dierons plus loin, nous fournirait une explication du mythe, lors même que mātariśvan et les bhṛgu-s seraient conçus comme opérant ici-bas. Mais il ne faudrait pas croire que cette explication fût imposée par le caractère de prêtres, de sacrificateurs, qui leur est attribué, qu’ils semblent devoir retenir nécessairement quand ils sont distingués d’agni et considérés comme les inventeurs du feu, et que les bhṛgu-s gardent en effet dans les vers II, 4, 2 ; X, 46, 2, d’après les­ quels ils ont trouvé le feu dans les eaux en lui rendant hommage, vidhantaḥ. Nous verrons en effet bientôt que le ciel est le théâtre de sacrifices semblables à ceux de la terre. En fait, le verbe exprimant au vers III, 9, 5 déjà cité, l’acte de mātariśvan tirant le feu du ciel, signifie littéralement qu’il « a apporté » le feu, cf. I, 128, 2. Or, ce qui prouve que ce verbe doit bien être pris au sens littéral, c’est, d’une part au vers I, 93, 6 le parallélisme des deux formules exprimant la descente d’agni et de soma, « mātariśvan a apporté l’un du ciel, le faucon a tiré l’autre de la montagne»; c’est de l’autre le titre de « messager de vivasvat » attribué à mātariśvan apportant le feu, dans le vers VI, 8, 4, lequel mentionne en même temps dans son premier hémistiche toute une troupe qui l’a saisi dans le sein des eaux. Ce titre qui n’est donné d’ailleurs qu’à agni, I, 58, 1; IV, 7, 4 ; VIH, 39, 3 ; X, 21, 5, nous ramène encore une fois à la confusion du feu et du producteur du feu. La vérité est que l’analyse mytho­logique elle-même, en supprimant, au moins en tant qu’elle appartient à la mythologie, la personnalité distincte des an­ciens prêtres, et en la ramenant au personnage d’agni, aboutit partout à ce résidu : le feu produisant, honorant, ap­portant le feu. Cependant le mythe n’en repose pas moins sur la distinction du feu et de celui qui le produit, quelques con­fusions qui puissent résulter, et qui résultent en effet de ce fait que le producteur du feu, en tant que personnage mytho­logique, n’a aucun attribut qu’il n’ait emprunté au feu lui-même.

En résumé mātariśvan et les bhṛgu-s sont comme aṇgiras, comme atharvan, comme vasiṣṭha, d’anciens sacrificateurs assimilés à agni et néanmoins distingués du feu comme pro­duisant le feu. Pour eux seulement cette distinction a été plus fortement accusée que pour les personnages précédemment étudiés, dans un mythe qui n’est autre que la communication du feu aux hommes dont ils sont considérés comme les au­teurs. Ce mythe d’ailleurs, en plaçant dans le ciel le com­mencement de leur opération, ne leur enlève pas pour cela le caractère sacerdotal ordinairement lié dans le ṛgveda à l’idée d’un producteur du feu, et que nous reconnaîtrons bientôt être parfaitement conciliable avec un séjour céleste, pas plus qu’en les faisant descendre du ciel comme le feu lui- même, il ne supprime la distinction, dépourvue de sens au point de vue du naturalisme pur, et cependant placée à la base du mythe, de l’élément igné et de celui qui l’apporte après l’avoir produit.

Ajoutons, pour en finir avec ce sujet délicat, que les deux mythes parallèles de mātariśvan et des bhṛgu-s se trouvent combinés dans deux passages portant, l’un que le feu « aux deux naissances » a été apporté par mātariśvanbhṛgu, I, 60, 1, l’autre au contraire que mātariśvan a allumé en le tirant de chez les bhṛgu-s le feu qui était caché, III, 5, 10. Le premier de ces passages, rapproché du vers X, 46, 9 d’après lequel mātariśvan a engendré le feu pour manu ou pour l’homme40, paraît nous montrer dans bhṛgu, entant qu’il profite de l’œuvre de mātariśvan, un sacrificateur placé sur la terre. Le second restitue au contraire aux bhṛgu-s leur caractère de personnages célestes, mais pour suggérer, par l’opposition même, l’idée d’un séjour de mātariśvan sur la terre. L’explication signalée plus haut comme possible, à savoir l’idée d’une action du feu terrestre sur le feu céleste qui vient à son appel, semble se présenter ici d’elle-même. Cette idée qui, comme nous le verrons, donne au sacrifice sa vraie signification, a pu aussi, dans chacun des mythes de mātariśvan et des bhṛgu-s pris isolément, contribuer, avec la distinction du feu et de celui qui le produit, à la création du personnage conçu comme faisant descendre l’agni céleste.

Nous avons vu, dans le passage cité plus haut intégrale­ment, agastya, VII, 33, 10, désigné également plus loin, ibid. 13, par le nom de māna, descendre du ciel et apporter vasiṣṭha aux hommes. Il joue là un rôle identique à celui de mātariśvan et des bhṛgu-s apportant le feu. Toutefois l’étude de ce troisième personnage trouvera mieux sa place ailleurs.

Personne n’a contesté aux noms étudiés jusqu’à présent leur caractère de noms propres. Il n’en est pas de même du mot uśij qu’on s’accorde généralement à considérer comme un simple adjectif, signifiant d’après son étymologie « plein de bonne volonté, zélé ». Ce mot pourtant est au moins pris substantivement dans un grand nombre de passages, et l’usage qui en aurait été fait, soit comme adjectif, soit comme substantif, dans le sens étymologique, aurait consisté en tout cas dans une application exclusive aux fonctions des sacrificateurs41, ou du dieu conçu comme sacrificateur. agni est en effet appelé uśij, III, 11,2; il l’est particulière­ment en tant qu’établi chez les hommes, I, 60, 4 ; X, 45,7 ; cf. III, 27,10, et en tant que don des bhṛgu-s, III, 2,4. Il semble nécessaire, ou du moins fort commode, de laisser au mot son sens adjectif dans les formules des vers III, 3, 7 et 8, « zélé parmi les dieux » et « zélé parmi les sacrifica­teurs, » appliquées également à agni. Mais ces formules mêmes, dont on rapprochera celle du vers X, 92, 12, « sage entre les uśij, » qui peut être aussi rapportée au feu consi­déré comme prêtre42, montrent avec quelle facilité agni, en qualité de « zélé parmi les zélés », pouvait devenir uśij, chef de la race des uśij. Elles rappellent les titres d’aṇgiras par excellence et de premier aṇgiras. Quant au pluriel du mot uśij, il ne désigne pas des prêtres quelconques43, mais les premiers prêtres, et même des prêtres célestes, qui ont honoré agni et l’ont déposé chez les hommes, III, 2, 9 ; V, 3, 4 et IV, 6,11 ; X, 46,4; cf. I, 60, 244. Ces prêtres se trouvent ainsi assimilés aux bhṛgu-s, dont précisément le nom se ren­contre construit parallèlement au pluriel uśijaḥ dans le vers X, 46, 2 relatif à la découverte du feu. On pourrait sans doute arguer de ce dernier passage que le mot uśij est une simple épithète des bhṛgu-s, bien que rien ne soit plus fréquent dans le ṛgveda que l’accumulation des noms propres dési­gnant des personnages ou des groupes analogues. Mais alors cette épithète, dans beaucoup d’autres passages, désignerait les bhṛgu-s à elle seule. Or, c’est ainsi que s’établit l’usage d’un nouveau nom propre mythologique. Le mot uśij serait donc au moins un nom propre en voie de formation. Mais je crois que cette formation s’est réellement achevée, et je le crois pour deux raisons. L’une est que les uśij figurent aux vers I, 189, 7; II, 4, 5; VII, 10, 2, de la même manière que tous les noms d’anciens prêtres, comme termes de compa­raison45, ce qui semble bien impliquer une personnalité dis­tincte. L’autre, selon moi décisive, est l’existence du dérivé auśija. De celui-ci, lors même qu’il ne devrait pas être consi­ déré comme un véritable patronymique dans l’application qui en est faite à kakśīvat, I, 18,1 ; cf. I, 112, 11, et ṛjiśvan X, 99, 11, on peut dire au moins, là où il parait, comme nous le verrons, désigner le soma, IV, 21,6 et 7; VI, 4,6, auquel kakśīvat, ṛjiśvan et plus généralement le sacrificateur auśija, I, 119,9; 122,4, peuvent être, ainsi que nous le ver­rons aussi, originairement identiques, qu’il implique l’usage du simple uśij comme nom propre. On comprend que le soma préparé on découvert par les uśij ait été ainsi dési­gné, de même que le feu allumé par vādhryaśva reçoit, nous l’avons vu déjà, le nom de vādhryaśva. On compren­drait beaucoup moins bien qu’une dérivation de ce genre eût été tirée de l’adjectif uśij « zélé », même pris substanti­vement.

Entre un mot comme bhṛgu et notre mot uśij il y a pourtant cette différence que le second, d’après son sens étymologique, convenait primitivement aux prêtres réels, aussi bien qu’à agni considéré comme prêtre, tandis que le premier n’a pu être d’abord qu’une épithète propre au feu. Il est cependant vraisemblable que la végétation mytholo­gique du nom uśij a pour racine, comme celle du nom d’atharvan, l’application particulière qui en a été faite à agni.

Le mot āyu me paraît avoir, comme le mot uśij, une va­leur essentiellement mythologique. Il n ’est resté usité dans la littérature post-védique que comme nom propre, particu­lièrement comme nom du fils de purūravas et d’urvaśī, pri­mitivement identique au feu ainsi que son père lui-même, et héros d’une légende à laquelle paraissent faire allusion déjà deux vers du ṛgveda, IV, 2, 18; V, 41, 19 . Le sens étymologique en est clair: distingué seulement par l’accen­tuation (comme oxyton) de la forme āyu (paroxyton), syno­nyme d’une autre forme plus usitée, āyuḥ, a vie », il était le concret de cet abstrait et signifiait « vivant ». Mais dans les passages mêmes du ṛgveda où il serait possible de lui conserver la valeur d’un simple adjectif, l’applica­tion en est limitée de façon à suggérer plutôt l’idée d’une valeur appellative. Il est employé au féminin dans le vers II, 5, 5 parallèlement au terme de vaches: mais ces vaches sont des êtres mythologiques, identiques aux trois sœurs de l’hémistiche suivant, et sans doute aussi aux apsaras qui reçoivent la même qualification dans la vājasaneyi-samhitā, 18, 39, et rappellent l’apsaras urvaśī, mère d’āyu. agni est aussi appelé āyu, X, 20, 7 (cf. I. 147,1 et I, 31, 11 reproduit plus loin), et nous verrons qu’il en est de même de soma, IX, 67, 846 et des soma-s, IX, 23, 2; 4 ; 64,17. Le même mot, accompagné de l’épithète rāspina « bruyant? » paraît désigner au vers I, 122, 4 le feu des eaux cé­lestes, qui l’est déjà dans le même vers par le nom bien connu d’apām napāt. Il en est de même sans doute dans la for­mule pary āpa āyoḥ « autour des eaux d’āyu », I, 178, 1; IV, 38, 4. Dans une telle formule notre mot équivaut déci­dément à un nom propre. D’ailleurs, comme il y a deux agni-s, il y a aussi deux āyu-s. Le vers X, 5, 6, rappelant celui où il est question du séjour suprême de la mère d’āyu, V, 43, 1447, nous entretient du séjour de l’āyu suprême. En revanche, nous voyons par le vers IV, 2, 18 que les urvaśiḥ, les prières des hommes, qui suggèrent l’idée de l’urvaśī cé­leste, fortifient l’āyu inférieur. Celui-ci est nommé encore au vers I, 104, 4 où le « nombril » de cet āyu inférieur peut être, soit l’āyu supérieur, soit le ciel, première patrie d’āyu. L’āyu compris dans des énumérations de dieux, I, 162. 1 ; V, 41, 248, représente sans doute l’agni céleste, et il peut en être de même de l’āyu nommé dans divers autres pas­ sages, IV, 23, 8 ; V, 49, 1 et 2; VII, 11,4,49. On n’en a pas moins attaché à ce nom l’idée d’un personnage distinct, auquel, dans le vers VI, 11,4, agni est seulement comparé. Ce per­ sonnage d’ailleurs, en même temps que d’autres qui repré­ sentent le feu caché et que nous étudierons plus tard 50 joue quelquefois un rôle équivoque, I, 53, 10, Vāl. 5, 2, ou même décidément hostile, II, 14, 7 ; VI, 18,13; cf. Il, 32, 2.

Nous ne nous étonnerons pas qu’un nom du feu soit deve­nu, comme tant d’autres, celui d’un chef de race. Ce qui per­ met de croire que dans ces expressions « les races d’āyu » II, 4, 2, « les demeures d’āyu » IV, 2, 12, le mot āyu n’a pas le sens abstrait d’«homme», c’est qu’au vers VIII, 15, 5, il s’ajoute avec la conjonction « et » au nom de manu dont on a aussi, sinon nié, du moins beaucoup trop restreint l’emploi comme nom propre dans le ṛgveda : « pour āyu et pour manu. »

āyu est compris dans des énumérations de noms propres aux vers X, 49, 5, et Vāl. 4, 1, dans le second exemple encore avec manu. agni est d’ailleurs lui-même le premier āyu que les dieux ont fait pour āyu, 1,31,11. Dans le vers 1,96,2, d’après lequel agni a engendré les races des hommes selon renseignement et la sagesse antique d’āyu, il s’agit encore d’un autre āyu, probablement de l’āyu céleste dont il a été parlé plus haut.

Je n’entends pas nier que le mot āyu ne puisse aussi dans l’avant-dernière citation suggérer l’idée de l’homme en géné­ral, ni que la même interprétation ne soit susceptible d’être appliquée à plusieurs autres passages d’après lesquels agni a brillé pour āyu, VII,4, 3, est déposé en divers lieux pour āyu, I, 31, 2, etc. cf. II, 2, 8; V, 7, 6, ou encore à la formule śamsaṃ āyoḥ « objet de la louange d’āyu », IV, 6, 11 ; V, 3, 4, qui s’emploie en parlant d’agni (cf. narāśaṃsa). Il est même certain que notre terme désigne quelquefois l’homme actuel, 1,114,8 ; II, 20,4; cf.III, 60,7. Je crois seulement que dans tous ses emplois il rappelle aux poètes védiques un mythe d’āyu ancêtre de la race humaine, dont le nom est devenu celui de tous les hommes. C’est ce qui dans le vers I, 31, 11 , très-favorable à cette manière de voir, justifierait la traduc­tion: « Les dieux t’ont fait, ô agni, premier āyu pour āyu » ou « pour l’āyu. » Au vers II, 20, 4 aussi, l’expression « āyu actuel » suggère assez naturellement l’idée de l’an­tique āyu, de l’āyu chef de la race.

Les races d’āyu sont aussi désignées par le pluriel du mot āyu, I, 58, 3, et les āyu-s, d’ailleurs toujours51 considérés dans l’accomplissement de leurs fonctions de sacrificateurs, I, 139, 3, et surtout de préparateurs du soma, IX, 15, 7; 16, 8; 19, 3 ; 57, 3; 64, 23 ; 66, 23; 107, 17 (cf. l’épi­thète de soma, āyuṣac), sont, quelquefois au moins, des prê­tres actuels ; par exemple, au vers VIII, 3, 8 ; cf. 16, d’après lequel ils louent indra « à la manière ancienne ». Ils semblent au contraire, aux vers I, 130, 6; II, 31, 7 ; VIII, 12,13, des prêtres d’autrefois, et paraissent, au vers I, 117, 25, opposés à ceux qui parlent, comme ayant proclamé les anciens exploits des aśvin-s. Ils sont eux-mêmes une fois, IX, 10, 6, expressément appelés « anciens »52. Mais là ne se bornent pas les emplois du mot āyu au pluriel. Les ayu-s, quoiqu’ils semblent opposés aux dieux dans le vers VIII,39, 10, cf. I,135, 2 ; III, 59, 9; IX, 62, 2053, et que, dans un passage où ils figurent comme allumant le feu, I, 60, 3 ; cf. X, 7, 5 ; 46, 8, ils soient appelés des prêtres humains, sont aussi con­çus comme des sacrificateurs célestes. Nous retrouverons les passages relatifs à la préparation du soma dans le ciel, IX, 63,17 ; 86, 25; cf. 62, 13 et V, 43, 14. Mais nous pou­vons citer, dès maintenant, le vers IV, 7, 4, d’après lequel les āyu-s ont apporté aux différentes races le feu, qualifié de bhṛgavāna comme pour mieux rappeler le mythe des bhṛgu-s, auxquels ils se trouvent en effet assimilés ici. Les āyu-s sont donc devenus les héros d’un mythe, et leur nom, lors même qu’il aurait été dès l’origine directement appliqué aux hommes en général, n’aurait en tout cas pris sa valeur my­thologique que par suite de l’application qui en avait été faite, non moins directement, à agni.

Du reste, la question d’antériorité que soulèvent les deux sens des mots désignant tantôt la race humaine, tantôt l’an­cêtre mythique de cette race, va être discutée dans sa géné­ralité à propos du nom de manu.

Ce nom se rencontre sous les deux formes manu (paroxyton ou oxyton) et manus, d’où sont tirés les dérivés mānava, manuṣya, mānuṣa, noms ordinaires de la race humaine. Les formes simples elles-mêmes peuvent désigner l’homme, non pas dans la langue sanscrite classique, mais du moins dans le ṛgveda, quoiqu’à mon avis beaucoup plus rarement qu’on ne l’a admis jusqu’ici. Mais elles désignent aussi, exclusivement dans la littérature postérieure, quelquefois du consentement général, et, selon moi, de beaucoup le plus souvent dans les hymnes, un ancêtre de la race humaine, et le plus célèbre de tous. Laquelle de ces deux acceptions est antérieure à l’autre ? Il ne faudrait pas se hâter de répondre que le sens d’ « homme », étant exclusivement védique, doit être le plus ancien. On s’expliquerait parfaitement en effet dans l’hypo­thèse inverse qu’un dérivé en quelque sorte virtuel, comme le simple manu dans le sens de fils de manu, eût cédé la place, dans une langue moins libre, aux dérivés réels. La question n’est pas davantage tranchée par la comparaison des langues germaniques dont le mot congénère, en gothique manna « homme », paraît être d’ailleurs un dérivé. Il ré­sulte en effet du rapprochement des mythes grecs de Minos et de Minyas, dû à M. Kuhn (Herabkunft des Feuers), que les Indo-Européens reconnaissaient déjà, avant leur séparation, un ancêtre dont le nom était identique ou étroitement appa­renté à celui de manu, et on comprend très-bien que les Ger­mains aient perdu le nom propre en gardant seulement le nom commun dérivé, tandis que les Grecs, au contraire, ont conservé le nom propre, sans que leur langue présente au­cune trace du nom commun. En somme, le nom commun, d’après le témoignage des langues germaniques, et le nom propre, d’après celui de la mythologie grecque, appartenaient aux Indo-Européens comme aux Aryas védiques. La solution cherchée ne pouvant donc être fournie par ces rapproche­ ments, dépendra des principes d’après lesquels on restituera l’histoire conjecturale de l’esprit humain à ses origines, ou tout au moins de l’idée générale qu’on se fera du développe­ ment de la mythologie indo-européenne.

Or, ceux qui dans les formes manu, manus regardent le sens d’ « homme » comme le sens primitif, supposent par cela même que l’idée abstraite de la race s’est transformée en l’idée concrète d’un individu, auteur de la race. Cette ex­plication séduit d’abord par son extrême simplicité, mais elle pourra aussi mettre en défiance ceux qui croiront avec moi que la simplicité en ces matières, étant tout à fait relative au point de vue où l’on se trouve placé, n’existe guère pour nous que dans les solutions préconçues, ou du moins plus conformes à nos propres habitudes de pensée qu’à celles des hommes primitifs. Pour nous modernes, c’est encore trop dire, pour nous lettrés, la principale source d’un courant mythologique toujours puissant, et auquel personne ne résiste entièrement, est la réalisation des abstractions. Mais ceux-là mêmes qui attribuent une origine semblable au mythe de manu conçoivent d’ordinaire dans un tout autre esprit la for­mation de la mythologie indo-européenne primitive, où ce mythe se trouverait ainsi à peu près seul de son espèce. Leur solution peut, il est vrai, être rattachée au système de la formation des mythes par la maladie du langage. Après avoir tiré du mot manu « homme » un dérivé mānava signi­fiant « fils du manu, de l’homme », et désignant pareille­ment les hommes, on se serait laissé prendre an piège tendu par cette formule, dont le sens se serait alors transformé en celui de « fils de Manu ». Mais la théorie de M. Max Müller à laquelle je fais allusion, si elle trouve ses applications dans l’altération des mythes primitifs, paraît tout à fait insuf­fisante pour expliquer la formation de ces mythes eux- mêmes. Elle impliquerait d’ailleurs dans le cas présent l’oubli du sens primitif, ou supposé tel, du mot manu, manus, qui précisément se rencontre, dans le ṛgveda, à côté des emplois du même mot comme nom propre.

Cette coexistence des deux sens est au contraire un argu­ment assez fort en faveur de la solution inverse, d’après la­ quelle l’homme n’aurait reçu le nom de manu qu’en qualité de fils de manu. Mais quel aurait été ce manu? Car la question de l’origine du mythe est ainsi seulement reculée. Il sera lé­gitime d’emprunter la solution nouvelle à l’analogie des mythes précédemment étudiés, mythes védiques, mais dont le principe, à savoir l’origine ignée de la race humaine, est certainement indo-européen (Kuhn, Herabkunft). Comme différents noms du feu sont devenus les noms de différentes familles sacerdotales, un autre nom du même élément serait, par une application plus générale, devenu le nom de la race humaine tout entière. Par son étymologie que nous avons jusqu’ici passée sous silence, ce nom convenait au feu, au moins aussi bien qu’à l’homme en général. Ceux qui, croyant que la signification étymologique du mot manu a été « celui qui pense », en concluraient qu’il était ainsi nécessairement appeléà exprimer l’idée d’humanité, subiraient une illusion du même genre que celle que j ’ai signalée plus haut. En réalité, une idée aussi abstraite que celle d’«animal raisonnable », n’a pu être conçue dans une période anté­rieure à la formation du mythe indo-européen de manu. Le mot manu ne signifiait pas « celui qui pense », mais « celui qui pense bien, le sage, l’avisé ». En vertu de ce sens, il pouvait, mais ne devait pas nécessairement être appliqué à la désignation de la race humaine. Je ne veux pas nier d’ailleurs qu’il ne l’ait été en effet, et penche même vers une solution mixte analogue à celle que j ’ai proposée déjà pour le mot āyu. Mais j’insiste avant tout sur cette idée que notre mot a dû, non moins directement, désigner le feu, comme le sage par excellence, et que cette explication est la seule que l’analogie suggère pour le mythe de manu, ancêtre de la race humaine.

J’ajoute que dans le ṛgveda, et il est temps enfin, en ren­trant dans les limites où nous nous renfermons d’ordinaire, de reprendre pied sur ce terrain plus solide, nous ayons le droit de croire que le terme manu, manus quelles qu’en aient été les applications primitives, n’est employé dans le sens d’«homme» que par allusion au mythe de manu. J’ai dit déjà que cette acception m’y semblait beaucoup moins fréquente qu’on ne l’admet généralement. Il est clair que l’opinion de l’interprète sur la question débattue plus haut ne peut man­ quer d’exercer son influence dans les cas douteux. Mais il me semble que celle de MM. Roth et Grassmann les a entraînés beaucoup plus loin dans l’extension qu’ils ont donnée à l’usage du nom commun, et que leur interprétation peut être souvent combattue par des raisons purement philologiques.

C’est certainement Manu qui, d’après le vers X, 63,7, a sa­crifié la première offrande, et qui est nommé avec d’autres anciens sacrificateurs comme ayant allumé, X, 69, 3, le poète aurait pu dire aussi bien « institué, dhā » agni. Dès lors, pourquoi chercher le sens d’« homme » dans le com­posé manurhita, et dans la formule « le sacrificateur établi par manu »54 où il entre d’ordinaire, formule appliquée à agni, I,13, 4; 14, 11; III,2, 15; VI, 16, 9; VIII,19,24; cf. 21, ou le désignant à elle seule, VIII, 34,8 55? Même observation pour la formule « sacrificateur de manu », pareille­ment appliquée à agni, II, 18, 2; III, 2, 1;3, 2 ;IV, 6, lI ; V,3,4; VI,15,4; VII,8,2; cf.I,128,1; VIII, 61,256,ou le désignant, I, 180, 9; VII, 73, 257. « Les feux de manu », VI, 10, 2 ; cf. II, 10, 1, rappellent encore le même mythe, ainsi que « les deux sacrificateurs de manu », V, 5, 7, qu’on prie au vers X, 110, 7 d’offrir le sacrifice de manu. Le sacrifice actuel est en effet lui-même la cérémonie de manu, III, 26,2; cf. V, 29, 1, aussi bien que l’ancien, VI, 4,1, comme ayant été institué par manu. « Les offrandes du prêtre manu » avec lesquelles agni a autrefois accompli le sacrifice, I, 76, 5, conservent encore le même nom, I, 36, 7; II, 2, 5; 6, 8; IV, 2, 1; X, 11, 51. Le lieu où le sacrifice est actuellement célébré n’a-t-il pas pu être appelé aussi « de­meure de manu», VII, 70,2 ; VIII,76,2; X, 110,1 ; cf. 104, 4, en souvenir du premier sacrificateur ? L’interprétation par le nom propre est en tout cas seule admissible dans la compa­raison du sacrifice actuel à celui de manu, que renferment deux des vers déjà cités, VI, 4, 1; I, 76,5, et qui est couram­ment exprimée par le composé manuṣvat. agni est institué sacrificateur, I, 44, 11 ; 105, 13 et 14 ; cf. V, 21,1, et il est allumé, VIII, 43, 27 par les prêtres actuels comme il l’a été par manu; ces prêtres l’invoquent comme l’a invoqué manu, VIII, 27, 7, et il accomplit le sacrifice pour eux comme il l’a accompli pour manu, VII, 11, 3 ; cf. II, 5, 2 ; III, 17, 2. Au nom de manu s’ajoutent dans les vers I, 31, 17; VIII, 43, 13, ceux d’autres anciens sacrificateurs, aṇgiras, yayāti, bhṛgu. Ce nom se trouve deux fois sous ses deux formes au vers VII, 2,3 :«Honorons comme manu (manus) agni qui a été allumé par manu. » Le sacrifice de manu est rappelé de même dans des vers adressés à indra, III, 32, 5 ; à indra et varuṇa, VI, 68, 1 ; aux aśvin-s, I, 46, 13; X, 61, 15; aux ṛbhu-s, IV, 34, 3 ; 37, 3, et aux trois déesses des hymnes aprī, X, 70, 8 ; 110, 8. La formule manuṣvat est remplacée au vers II, 10, 6, par manuvat. Aux applications de ces deux formules, et aux au­tres exemples de comparaison déjà cités, il faut ajouter encore le vers VIII, 11,2 aux aśvin-s : « Comme vous avez arrosé le sacrifice pour manu, ainsi écoutez le descendant de kaṇva, » le vers IX, 96,12 à soma: «Comme tu t ’es purifié pour manu… ainsi purifie-toi (pour nous) », et enfin le vers 1,26,4 : «… Que varuṇa, mitra, aryaman, s’asseoient sur notre gazon sacré, comme ils se sont assis sur celui de manu.58 » Un poëte, en disant que ses hymnes sont adressés à indra « comme autre­ fois », nomme manu avec atharvan et dadhyaṇc parmi ceux qui ont « tendu » comme sur un métier cette prière qu’il con­ tinue à tisser, I, 80, 16. C’est par elle que manu a triomphé de son ennemi viśiśipra, V, 45, 6, et c’est elle qui, selon une conception que nous étudierons plus tard, est appelée son épouse, I, 167, 3. Cette institution de la prière par manu, cf. VIII, 52, 1, nous rappelle l’institution d’agni comme sacrifi­cateur par le même personnage. Remarquons à ce propos que dans d’autres passages ce sont les dieux, I, 36, 10, c’est mātariṣvan, 1 ,128, 2; X, 46,9, c’est kāvya uśanas, VIII, 23, 17, qui donnent le feu à Manu ou l’instituent sacrificateur pour manu59. Mais ce n’est pas une raison de contester au mot manu sa valeur de nom propre, puisque mātariśvan, par exemple, apporte également le feu à bhṛgu60.

Le composé manurhita, dans les deux seuls emplois qui en soient faits en dehors de la formule déjà citée, signifie « des­tiné, attribué de toute antiquité à manu ». La preuve en est dans la comparaison du vers I ,106,5: « Nous te demandons, (ô bṛhaspati !) les biens (śam yoḥ) que tu as attribués à manu » avec le vers I,114,2: «Puissions-nous, ô rudra! obtenir sous ta conduite les biens (śam yoḥ) que manu notre père a gagnés par le sacrifice», cf. II, 33,13; et du vers VI, 70, 2 :« Versez chez nous (ô ciel et terre !) la semence qui a été attribuée à manu », avec le vers VII, 99,3: « Vous avez été (ô ciel et terre !) pleins de trésors liquides, etc., pour manu, », cf. VII, 100, 4; I, 181, 8. L’aurore a aussi brillé pour manu, X, 11, 3, et plus généralement manu a été un protégé des dieux, VU, 91, 1; VIII,27, 4, auxquels il devait ses hommages, VII, 35,15; VIII, 30,2; X ,36 ,1061; cf. 1 ,189, 7, et qu’il a contentés, X, 63,1 ; de viṣṇu, VI, 49, 13, des marut-s, I, 166,13. indra a accompli ses différents exploits pour manu, I, 130, 5; 8; 165, 8; II, 19,4;20,7; 111,34,4; IV,28,1;V,31,6; X,43,4; 8; 49,9; X,73, 7; cf.X, 76, 3,(pour manus, I,52,8; V,29, 3;X,99,7;104,8), dont il a bu le soma,V,29,762. Il n’ya aucune raison d’interpréter ces formules autrement que celle, déjà citée, où la mention simultanée d’āyu et de manu comme protégés d’indra, VIII, 15, 5, nous interdit évidemment de faire de manu un nom commun63. De même, en tant que fa­vori des aśvin-s, Manu est non-seulement au vers 1 ,112,18 appelé un héros, mais encore au versi, 112, 16 compris dans une énumération avec śayu et atri. Enfin, comme protégé d’agni, il est rapproché de purūravas, I, 31, 4.

Quelle raison, sinon une opinion préconçue en faveur de l’antériorité du sens d’« homme », peut déterminer M. Grassmann à introduire ce sens dans les formules telles que « races, III , 3, 6, peuples, IV, 37,1 ; VI, 14, 2 ; VIII, 23, 13, géné­rations, VII, 9,4, de manu »? manu n’est-il pas expressément appelé manu père, manuṣ pitā, 1,80, 16; 114, 2; II, 33,13; VII, 52, 1; cf. X, 100, 5 ? N’est-il pas compris dans l’énu­mération déjà citée des ṛshi-s par lesquels la race humaine se rattache à la race divine, I, 139, 9? Par une véritable incon­séquence d’ailleurs, M. Grassmann admet aux vers I, 68, 7 et Vāl. I, 8, l’interprétation « descendant de manu ». Le vers X, 80, 6 distingue deux ancêtres des races humaines : manus et nahus64.

Il n’en est pas moins certain que le mot manu ou manus désigne aussi quelquefois l’homme, et l’homme actuel. On le rencontre construit non-seulement avec un présent, I, 140,4; III,57,4; VIII,22,6; IX,74, 5 ce qui ne serait pas toujours une raison décisive, mais avec un présent accompagné de l’adverbe adya « maintenant », VIII, 27, 21, ou avec an subjonctif dans le sens de l’impératif ou du futur, V, 2, 12; X, 62, 11 ; cf. VIII,27, 1465. Il est même employé au pluriel, I, 96, 2 et avec un verbe, non-seulement au pré­sent, X, 91, 9, mais à la première personne, VIII, 18, 22 : « Prolongez notre vie, ô ādityas ! à nous tous, hommes, fils de la mort (mṛtyubandhavāḥ). » On comprend très-bien que les hommes aient pris quelquefois le nom de leur père manu. Mais peut-être devrait-on, même alors, le traiter comme un nom propre, comme un nom de race qui se trouve être d’ailleurs celui de l’humanité tout entière. A l’appui de cette manière de voir je ne citerai pas le vers X, 66, 12, où le pluriel manavaḥ paraît ne pas même désigner la race, mais les suppliants assimilés chacun séparément à manu : « Puissions-nous être à vos yeux des manu-s pour la cérémonie, (pour l’accomplir comme lui. » C’est ainsi qu’au vers X, 62, 8 l’homme auquel est promise une nombreuse descendance, et qui doit croître comme une plante, ne reçoit sans doute le nom de manu que par allusion au père de tous les hommes. Mais je songe sur­ tout à l’application qui est faite aux dieux mêmes du pluriel manavaḥ, I, 89, 7 et du pluriel manuṣaḥ, X, 63, 6. Elle est commentée par l’épithète manu-jāta « née de manu » égale­ment attribuée à la race divine, I, 45, 14, et par le vers X, 53, 6, sur lequel nous allons revenir : « Deviens manu, engendre la race divine. » Le pluriel des formes manu, manus ne comporte évidemment, quand il s’applique aux dieux, qu’une seule traduction : « fils de Manu ». N’est-ce pas une assez bonne raison pour traduire de même tant le singulier que le pluriel de ces formes, quand il s’applique aux hommes ? Les hommes restent d’ailleurs les descendants de manu par excellence. Aussi les races de manu sont-elles dans le vers III, 3, 6 opposées aux dieux, comme manu l’est lui-même au vers III, 60,6 ; X, 104, 8, à moins que le mot manu n’y désigne l’homme en général.

Il semble d’ailleurs que le mot manu ou manus, quand il désigne une race, s’applique moins à l’humanité entière qu’au peuple des Aryas. C’est du moins l’idée que suggèrent assez naturellement les passages où ce mot est opposé, soit comme désignant la race, soit comme désignant l’ancêtre, au dāsa, II, 20,6; V, 30, 7; VI, 21, 11 ; X,49, 7 et au dasyu, 1,175, 3 ; VII, 87, 6 ; IX, 92, 5 ; Vāl. 2, 8. Ces derniers noms en effet, comme nous le verrons, ne désignent pas seulement le démon, mais aussi l’ennemi humain, et s’opposent dans ce sens au mot ārya. En tout cas le mot manu, manus n’est jamais appliqué à l’ennemi66. Nous n’avons jusqu’à présent produit aucun texte formel à l’appui de l’identification de manu avec agni. On peut citer cependant dans cet ordre d’idées le vers X, 53, 6 à agni : « Deviens manu, engendre la race divine », qui me paraît fournir la vraie explication du vers X, 51, 5, où les dieux priant, comme nous le verrons, agni d’accomplir leur sacri­fice, lui disent : « Viens en manu pieux et disposé à sacri­fier. » A la vérité, dans ces passages, manu est moins un nom du feu que le type du sacrificateur ou du père67 proposé pour modèle à agni. Il n’en est pas moins certain qu’en dernière analyse ce type se ramène à agni lui-même. Mais l’identification proposée reste avant tout une inférence fondée sur l’analogie des autres ancêtres mythiques. Re­marquons encore pourtant que manu est compris au vers IV, 26, 1 dans l’énumération des ṛshi-s qui sont, avec le soleil, des transformations d’un seul et même être.

  1. Nous verrons que le soma est aussi pressé trois fois dans la même journée. 

  2. Il y est peut-être fait allusion dans ce passage d’un hymne à agni, X 53, 6 : « Tendant le fil (accomplissant le sacrifice), suis la lumière de l’at­mosphère. » 

  3. Le mouvement qu’au vers I, 31, 4 on lui imprime en avant et en arrière, et qu’on explique comme n’ayant d’autre objet que d’activer la flamme, serait-il une reproduction des deux voyages en sens inverse du soleil (cf. p. 7) ? 

  4. Où est exprimée en même temps la croyance à l’efficacité intrinsèque du sacrifice, Bh. G. III, 14, cf. 10. 

  5. Le vent est aussi un médecin auquel on demande des remèdes, I, 89, 4 ; VU, 35, 4 ; X, 186, 1, et la vie, ibid. 2 et 3, et qu’on invoque avec les plantes, les simples, I, 90, 6; X, 169, 1. Aux vers X, 137, 2 et 3 deux vents sont in­ voqués, dont l’un apporte le remède et l’autre emporte le mal. 

  6. Cf. IV, 10, 8. Faut-il interpréter dans le même sens la formule : «Le mortel a la même matrice que l’immortel », I, 164, 30, ou s’agit-il là de deux formes du feu ? 

  7. Remarquons à ce propos que le mot bandhu, qui n’exprime jamais d’ailleurs qu’un lien de parenté ou de dérivation, doit avoir le même sens dans le composé mṛtyu-bandhu, équivalent au terme martya « mortel », et pour lequel M. Grassmann ne trouve pas de traduction plus précise que celle de « soumis à la mort, lui appartenant », tandis que M. Roth propose l’interprétation plus hardie, mais selon nous tout à fait arbitraire, de « com­pagnon de la mort ». Ici encore le mot bandhu nous parait équivalent au terme de mère, comme le mot nābhi l’est à celui de père, en sorte que le composé signifierait étymologiquement « fils de la mort », expression egale­ment hardie, mais qui se trouve faire le pendant exact de celle de « fils de l’immortalité » appliquée aux dieux, VI, 52, 9; X, 13, 1. 

  8. On peut interpréter de même au vers III, 54, 9 le père dont les hommes revendiqaent également la parenté en ces termes : « C’est là notre parenté, là où les dieux se tiennent sur le vaste chemin tissé ». Le chemin tissé, vyuta, est en tout cas le ciel, vyoman. Cf. encore X, 61,18 et 19. 

  9. Le mot jāmi « parenté » s’applique-t-il spécialement à la mère, comme le mot nābhi « nombril » au père ? Cette hypothèse serait contredite par l’emploi du même mot au vers III, 54, 9. 

  10. Cette interprétation paraît mise hors de doute par la comparaison d’un vers que nous retrouverons à propos de soma, et où les soma-s sont appelés à la fois « têtes du ciel » et « pères » du poète, IX, 69, 8. 

  11. Au vers 3 l’emploi du substantif brahman « prière » remplace peut-être le titre de brahman, ou simplement la mention de la sagesse, kāvya, le titre de kavi. 

  12. Le sens est trop clair pour permettre la correction proposée par M. Max Mailer (Chips, vol. IV, p. 48). Quant à la question grammaticale de l’authenticité du nominatif féminin gndh, elle est indépendante de l’inter­prétation. Cette forme, qui n’est donnée que par le pada-pāṭha, a pu n’exister jamais dans la samhitā

  13. M. Grassmann (Wœrt.) a très-bien reconnu le vrai sens du mot juhū en tant qu’appliqué à la désignation des flammes d’agni. Ce sens avait échappé à M. Roth. Je crois le retrouver encore dans le composé juhvāsya, épithète d’agni, lequel me parait signifier « dont la bouche est une cuiller, » c’est-à-dire qui ne dévore l’offrande que pour la transmettre aux dieux. 

  14. Cf. les passages innombrables où agni est prié de sacrifier (yaj), d’honorer les dieux. 

  15. Il lui enseigne les lieux. Un poète dit ailleurs qu’agni connaît pour lui les temps, V, 12, 3. 

  16. Toutefois le vers suivant, I, 145, 2, en constatant qu’on l’interroge, ajoute, si j’entends bien le sens du verbe prich avec la particule vi : « Tous ne tirent pas de lui ce que le sage a en quelque sorte saisi (et qu’il retient) dans son esprit. » 

  17. Le sens de tout ce passage a été complètement méconnu dans la tra­duction de M. Kegi. Voir Revue Critique 1875, II, p. 388. 

  18. Suvācam bhāgam, expression équivalente à vāco bhāgam, 1, 164, 37, où le premier-né de la loi, grâce auquel cette part de la parole est obtenue, peut être également agni

  19. Aux vers I, 66, 4 ; VI, 3, 6, il est simplement comparé à un chantre. 

  20. Sic Grassmann. Il serait peut-être plus exact de traduire : « Tu as ré­parti les mortels entre différentes demeures. » Mais la signification resterait au fond la même. 

  21. Ils n’ont même dû être distingués que dans une période relativement tardive, quoique antérieure à celle de la composition des hymnes védiques, ou au moins de la plupart d’entre eux. 

  22. L’hypothèse inverse, d’après laquelle les noms des différentes familles auraient été attribués aux feux de ces familles, est peu vraisemblable. Sans doute nous voyons les patronymiques, vādhryaśva, X , 69, 5 et 9, daivodāsa, VIII, 92, 2, daivavāta, III, 23, 3, désigner le feu de vadhryaśva; celui de divodāsa, celui de devavāta, comme bhārata, II, 7, 1 et 5; IV, 25, 4 ; VI, 16, 19, désignent peut-être aussi celui des bharatas. Mais d’une part il ne s’agit que de patronymiques, et non pas des noms mêmes des anciens sacrifica­teurs. D’autre part, l’attribution au feu du nom de l’ancêtre n’expliquerait pas l’identification effective de l’ancêtre avec le feu. 

  23. Ascète qui observe la loi du silence. 

  24. Il ne semble pas impossible que le personnage qui parle à la première personne dans les hymnes IV, 26 et 27, en s’attribuant des transformation« et des exploits dont la réunion ne peut, comme nous le verrons, convenir qu’à agni ou à soma, soit l’auteur même de l’hymne. — Voyez encore le vers X, 120, 9, constatant que l’atharvan brihaddiva s’est identifié lui-même à indra

  25. Et d ’autresque, comme nous le verrons , ils semblent avoir empruntés plutôt à soma

  26. On pourrait aussi dans le composé donner au thème du mot la valeur d’un pluriel « comme chez les aṇgiras », mais ceux des passages cités qui renferment des énumérations comme le vers I, 139, 9, peuvent être légitime­ ment interprétés d’après ce dernier. — Le même composé se retrouve dans des vers adressés à indra et agni, VIII, 40,13, et aux marut-s, VI, 49,11. 

  27. Cf. l’épithète atharyu donnée à agni, VII, 1,1, et le mot athari qui parait désigner la flamme au vers IV, 6, 8. 

  28. Nom des dieux. 

  29. L’attribution de l’épithète vasiṣṭhaindra, dans le lexique de M. Grassmann, pour le vers II, 36, 1, repose sur une faute d’impression de la pre­mière édition de M. Aufrecht qui rend le texte inintelligible. Il faut lire avec l’édition de M. Max Müller la forme vasiṣṭha que M. Grassmann n’a d’ailleurs pas omise à sa place. 

  30. urvaśī est ici la mère de vasiṣṭha, tandis qu’elle est l’épouse de purūravas au nom duquel est substitué, comme nous l’avons dit au vers X, 95, 17, celui de vasiṣṭha. Mais nous nous familiariserons plus loin avec ces changements de rapports entre le même mâle et la même femelle. 

  31. Cf. le Soma, VIII, 61, 11, et le feu, VI, 16, 13. 

  32. Les pratṛd-s, comme nous le verrons, sont les mêmes que les tṛtsu-s, qui eux-mémes ne diffèrent pas essentiellement des vasiṣṭha-s. 

  33. Cf. le vers I,112, 9 où vasiṣṭha, comme protégé des aśvin-s (cf. VII, 70, 6), est nommé entre la mer et kutsa dont nous reconnaîtrons pareille­ ment l’identification avec l’éclair. 

  34. Ce n’est pourtant pas une raison de le prendre dans cet exemple unique au sens collectif, comme le veulent MM. Roth et Grassmaun. 

  35. La distinction faite par les mêmes auteurs de deux mātariśvan est tout à fait arbitraire. 

  36. Au vers VII, 18, 6 le rôle des bhṛgu-s n’est pas très-facile à déter­miner. 

  37. La construction devient beaucoup plus facile par la réunion de divi kṣayam en un seul mot divi-kṣayam, cf.V,46,ft. 

  38. Je suppose qu’à la leçon bhava doit être substituée la forme bhavaḥ. La difficulté qui résulte de la première n’intéresse pas d’ailleurs l’usage que nous faisons de ce passage. 

  39. Et aussi à vivasvat

  40. La même œuvre est d’ailleurs attribuée dans ce passage aux bhṛgu-s. 

  41. Sur l‘emploi du mot uśij au vers III,15,3, où, selon M. Grassmann, il exprimerait le désir de la richesse. 

  42. Elle est remplacée au vers II,31,6,qui n’est presque qu’une variante du précédent, parcelle de «louange (objet de la louange) des uśij ».Cf. narāśaṃsa

  43. An vers VII, 10, 5, les uśij doivent sans donte être distingués, comme prêtres célestes, des races qni honorent actuellement agni dans le sacrifice, cf.I,60,2, si même l’emploi du présent implique l’actualité pour ces der­nières. Le rapport des uśij avec les ṛbhu-s n’est pas très-clair au vers I I I, 60,1. 

  44. Ce sont eux aussi qui,comme nous le verrons, se sont emparés les pre­miers du soma, IX, 86, 80. 

  45. J’explique dans le même ordre d’idées le vers III,15,3, à agni: «Fais de nous des uśij », c’est-à-dire « Traite-nous comme tu as traité les uśij. » Cf.IV,2,15: « Puissions-nous devenir des angiras.» 

  46. Dans ce passage le même terme est aussi appliqué à indra

  47. Ou de la Mère et d’āyu

  48. Il n’ya aucune raison d’y rapporter le mot comme épithète au seul āryaman

  49. La formule sacāyoḥ, I, 174, 6; I I I, 54, 2; X, 105,4 et 9,que MM. Roth et Grassmann proposent de résoudre, contre l’autorité du pada-pāṭha, en sacā ayoḥ,ne pourrait-elle pas être un reste d’une construction ancienne dans laquelle sacā aurait gouverné le génitif, et signifier «en compagnie de l’āyu céleste »? 

  50. *kutsa et atithigva 

  51. Même au vers VI, 14, 3, le mot vrataiḥ renferme une allusion suffi­sante au culte. 

  52. Le verbe n’en est pas moins au présent. 

  53. Dans ces derniers, il se pourrait aussi qu’ils fussent au contraire con­ fondus avec eux. Cf. le vers V , 60, 8, où le pluriel du mot āyu figure comme un nom, ou au moins comme une épithète des marut-s, et le vers VIII, 3, 7, où il est construit parallèlement aux noms des rudra-s et des ṛbhu-s. 

  54. M. Roth avait voulu réserver à la forme manu la valeur de nom propre; mais M. Grassmann a renoncé à une distinction que rien ne justifie. Dans le cas présent, ce dernier hésite entre les deux sens. M. Roth s’arrête à celui d’ « utile à l’homme ». 

  55. Sur l’application de la même formule à pūṣan, X, 26, 5, voir la troi­sième partie. 

  56. Ici le mot a une autre accentuation dans la formule monāv adhi qui se retrouve aux vers IX, 63, 8; 65, 16 à propos du soma coulant chez manu. Dans le dernier exemple pourtant, l’emploi d’un verbe au présent semblerait exiger l’interprétation par le nom commun ; mais il y a d’autres exemples du présent pour le passé. 

  57. Cf. au vers IX, 72, 4, soma accomplissant le sacrifice de manus, et peut-être, IV , 1, 9, et X , 21, 7, où on pourrait rapporter manuṣaḥ. comme génitif à yajnabandhuḥ et à ṛtvijam, au lieu d’en faire avec M. Grassmann un accusatif ou un nominatif pluriel. 

  58. M. Grassmann fait ici de manuṣaḥ. un nominatif pluriel; mais l’interprétation « comme des hommes » est bien invraisemblable. 

  59. Au vers IV, 36, 4 le soma est pareillement apporté à manu par l’oiseau. 

  60. Voir p. 56. Au vers VIII, 30, 3, cette formule adressée aux dieux: « Ne nous éloignez pas du chemin du père, du chemin de manu (mānava) », me parait faire allusion également au sacrifice, dont le poète craint de ne pas observer exactement les rites. Cf. X, 57, 1: « Puissions-nous ne pas nous écarter du chemin, ne pas nous écarter du sacrifice du soma

  61. Les formes à sens de participe futur passif yajatra yajñya ne sont pas plus incompatibles avec l’idée du passé que le participe véritable idya par exemple au vers I, 1, 2. Les « vénérables pour manu » peuvent très-bien être ceux que manu a vénérés. 

  62. Et avec lequel il a été vainqueur? I, 130, 9. 

  63. Cf. les énumérations des vers Vāl. 3, 1; 4, 1. Je crois que sāmvaraṇi» désigne un personnage distinct de manu dans le premier, comme vivasvat dans le second. Il est, en effet, très-invraisemblable que ce dernier mot soit employé cette unique foi» dans le sens de « fils de vivasvat ». 

  64. Nous reviendrons plus tard sur nahus. Il me parait évident que les deux mots sont à l’ablatif singulier, et non au nominatif pluriel comme le veut M. Grassmann. 

  65. Il est probable aussi que notre mot signifie « homme » au vers X, 25 8, « plus savant que l’homme » (de soma). 

  66. An vers X, 99, 7, le datif manushe doit être construit avec ürdhvasānaḥ (se levant pour manu) et séparé de druhvane, épithète de arśasānāya, cf. Il, 90, 6, où se trouve la locution équivalente ūrdhvo bhuvan manuṣe

  67. Cf. X, 100, 5 où le sacrifice, considéré comme le principe de toutes choses, est identifié à manu père.