अग्नि

Action du sacrifice terrestre sur les phénomènes célestes

da La religion védique d’après les hymnes du ṛgveda, tome 1, Abel Bergaigne, 1878

Action du sacrifice terrestre sur les phénomènes célestes

Les paragraphes précédents nous ont montré dans le sacrifice célébré par les hommes une imitation des phénomènes célestes. Il résulte du dernier que l’imitation ne porte pas seulement sur l’usage d’un élément venant du ciel et y retournant, le feu, auquel nous verrons s’adjoindre, dans les sections suivantes, celui d’autres éléments également com­muns à la terre et au ciel, et conçus dans le même rapport entre eux et avec le feu, soit dans le sacrifice, soit dans les phénomènes du lever du jour et de l’orage. L’assimilation de ces phénomènes à un sacrifice célébré par les dieux étend l’idée d’imitation, dans l’acte accompli par les hommes, non plus seulement aux détails matériels de cet acte, mais à son caractère général. Il est vrai qu’au point de vue de la forma­tion des idées en question, c’est le sacrifice céleste qui peut passer pour une imitation du terrestre, en ce sens qu’un tel mythe parait être le produit de spéculations sur l’origine des rites observés par les hommes, et aussi, comme nous l’avons annoncé, sur la toute-puissance du sacrifice, sujet que nous allons aborder dans le présent paragraphe. Il n’en garde pas moins son intérêt comme développement d’un germe évidem­ment fort ancien, comme forme dernière de l’idée que nous nous sommes jusqu’à présent attaché surtout à établir, celle d’une similitude entière entre le sacrifice et les phénomènes célestes.

Mais le caractère essentiel du sacrifice une fois reconnu, il nous reste à en déterminer le but. Pour rester fidèle à mon plan, je devrai non-seulement renvoyer aux sections sui­vantes de cette première partie les textes qui concernent les éléments du sacrifice autre que le feu, mais réserver en général, pour les trois dernières parties, ceux qui intéressent les dieux au sacrifice comme destinataires. Je ne les ai en effet introduits dans le paragraphe précédent qu’en qualité de sacrificateurs, toute cette première partie étant consacrée au sacrifice considéré en lui-même et indépendamment de ceux auxquels il peut être offert. Cet ordre, auquel j ’ai cru devoir m’arrêter dans l’intérêt de la clarté de l’exposition, ne me paraît d’ailleurs pas nécessairement contraire à l’ordre chro­nologique des différentes conceptions du sacrifice. Je ne pré­tends pourtant pas non plus que la notion d’une influence exercée sur les phénomènes célestes par l’intermédiaire du dieu auquel s’adresse le sacrifice, soit postérieure à celle d’une action immédiate et en quelque sorte magique de la cérémonie elle-même. Mais il ne me semble pas impossible que l’une et l’autre se soient développées parallèlement. La seconde en tout cas est susceptible d’une explication directe, et c’est elle qui se rattache le plus naturellement à l’idée d’une imitation des phénomènes célestes dans le sacrifice.

L’imitation est en effet, dans toutes les croyances primi­tives, conçue comme un moyen d’action sur l’original. Par exemple, l’opération connue au moyen âge sous le nom d’en­voûtement était fondée sur ce principe ancien, dont on me signalait récemment une application curieuse dans l’usage, encore existant à Ceylan, de placer un fruit en carton à côté de la plante qu’on souhaite de voir produire un fruit d’égale grosseur. On trouvera, dans le livre déjà souvent cité de M. Kuhn, la description d’une foule de pratiques reposant sur le même principe, et d’autant plus intéressantes pour nous qu’elles se rattachent à ces mythes de la descente du feu, étroitement liés eux-mêmes au sujet qui nous occupe. Je ne fais d’ailleurs qu’indiquer ces rapprochements, enten­dant me renfermer, comme toujours, dans le domaine du ṛgveda.

Je me propose de montrer ici, d’une façon générale, que le sacrifice exerce une influence directe sur les phénomènes célestes, et spécialement que le feu de l’autel agit sur les feux du ciel, et, par suite, sur les phénomènes où ceux-ci jouent le principal rôle. Pour mieux faire apprécier la por­tée des textes qui établissent ce point particulier, je les cite­rai en dernier lieu, et les ferai précéder de ceux qui attri­buent aux prêtres une puissance dont le principe ne peut être que la croyance à l’action infaillible de la cérémonie maté­rielle du sacrifice, et du feu qui en est le premier élément. Avant même d’aborder ces derniers, j’ajouterai quelques considérations préliminaires à celles qui, dans les para­graphes précédents, ont dû préparer déjà le lecteur à entrer dans l’ordre d’idées qui fait le sujet de celui-ci.

Signalons d’abord comme applications du principe essentiel de l ’assimilation du « terrestre » au « céleste » à ajouter à l’identification déjà constatée du feu terrestre aux feux cé­lestes, et à celle des autres éléments du sacrifice aux éléments célestes correspondants que nous étudierons dans les sections suivantes, quelques faits qui ne rentreraient exacte­ment dans aucune de nos subdivisions. Les formules célébrant les dons faits, comme nous le verrons tout à l’heure, aux prêtres par ceux qui les emploient, sont souvent conçues en des termes qui rappellent les dons célestes, et il est même dit au vers VII, 90, 6 que les bienfaiteurs des prêtres leur ont donné «la lumière» svar, sans doute par assimila­tion de ces bienfaiteurs aux dieux. Le mariage terrestre est dans l’hymne X, 85, particulièrement aux vers 36 et 38, assimilé au mariage céleste de sūrya et de soma. Je réserve pour la deuxième partie les textes qui nous montreront dans les combats du ciel, les prototypes des combats de la terre. Mais je citerai encore les vers IV, 57,5-8 d’après lesquels la charrue, le silion, tout ce qui concerne le labourage, semble avoir son modèle dans le ciel.

Remarquons aussi qu’en dehors des cérémonies régulières du culte, le ṛgveda fait plus d’une fois allusion à des pra­tiques qui sont de véritables incantations. On peut citer dans cet ordre d’idées l’hymne X, 97 presque entier, dans lequel un médecin combine la vertu des simples avec la puissance des formules, l’hymne X, 145, incantation dirigée par une femme contre une autre épouse de son mari, les impositions de mains en vue d’une guérison dont il est question au vers X, 137, 7, les formules contre un adversaire, X, 166, contre l’oiseau de mauvais augure, X, 165, contre la fièvre, X, 163 et 161, contre les maladies de la matrice, X, 162,1 et 2, contre l’insomnie, VII, 55,5-8, contrôles insectes nuisibles, I, 191, 1-7 et contre le poison, ibid. 10-16, contre la laideur, X, 155, e t même contre le péché, X, 164. Nous reviendrons du reste, en traitant de la parole sacrée, sur la puissance des malé­dictions constatée dans les vers X, 87, 13 et 15, et sur la prière que l’auteur de l’hymne X, 168 (3-5), adresse à vācaspati, le « maître de la parole, » pour obtenir que ses incan­tations l’emportent sur celles de ses ennemis.

Il est vrai que les pratiques et les formules de ce genre tiennent une place beaucoup plus grande dans l’atharva-veda que dans le ṛgveda, recueil d’hymnes presque exclu­sivement consacrés au culte régulier. Mais ce culte lui-même est assimilable dans une certaine mesure aux incantations, aux pratiques magiques. C’est ce que, sans nous attarder davantage aux préliminaires et aux analogies, nous allons essayer de prouver directement.

Le formalisme tient évidemment, dès la période du ṛgveda, une grande place dans le culte. Les hymnes āprī et āpra, assemblages de formules toujours reproduites dans le même ordre, et dont chacune est caractérisée, non pas même toujours par le nom d’une divinité spéciale, mais par la présence d’une exclamation sacrée comme svāhā (vers 11 ou 12), par l’emploi de la racine idh « allumer », précédée du préfixe sam, soit dans une forme participiale, soit dans le substantif samidh « bûche » (vers 1), enfin par l’emploi de la racine id dans le sens «d’honorer, » ou du substantif id « libation, of­frande» qui ne présente avec cette racine qu’un simple rapport de son, — ces hymnes, dis-je, ont été souvent cités comme les monuments d’une liturgie déjà très-compliquée. Il est vrai que pour cette raison même on les a considérés comme rela­tivement modernes. On trouvera naturel aussi de rapporter aux derniers temps de la période védique l’allusion aux quatre principaux prêtres du sacrifice que paraît renfermer le vers X, 71, 11, et, sinon la répartition d’offrandes spé­ciales entre les différents dieux ou groupes de dieux, III, 52, 7 ; cf. VI, 57, 2, au moins l’attribution à chacun d’eux d’un maître particulier, X, 130, 4 et 5. Quoi qu’il en soit, il est cer­tain que le rituel a dû aller se compliquant toujours davan­tage, et que nous ne pouvons juger de celui qui était en usage dans la période du ṛgveda par celui dont les sūtra-s nous ont conservé les innombrables détails. Mais la forme du sacrifice pouvait être plus simple sans que pour cela on attachât à cette forme une importance moindre. En ce sens, ce que j ’appelle le formalisme peut être, et est en effet selon moi, aussi ancien que le sacrifice lui-même. Dans le ṛgveda du moins, et dans les parties mêmes de ce recueil que nous n’avons pas de raisons particulières de considérer comme moins anciennes, nous voyons les ṛṣi-s préoccupés d’une exactitude rigoureuse dans l’observation des rites. C’est ainsi que, même en négligeant les textes appartenant au X° mandala, comme celui où le poète prie les dieux de ne pas permettre qu’il s’écarte du chemin du sacrifice, X, 57,1, nous constatons au vers I, 140, 11 la croyance à la supério­rité de la prière « bien faite » sur la prière « mal faite, » et au vers II, 33, 4 l’idée que la divinité peut être irritée des hommages qui lui sont adressés» par exemple» d’un « éloge mal fait », ou d’invocations portant à la fois de différents côtés, sahūti.

Le dernier point est surtout digne de remarque. Dans ces observations destinées seulement à mettre dans leur vrai jour les passages qui seront cités plus loin pour établir l’action im­médiate du sacrifice et de son principal élément, le feu, nous ne pouvons toujours, en dépit du plan que nous nous sommes tracé, écarter les textes qui font intervenir les dieux dans le sacrifice comme parties prenantes, et nous y admettons ceux qui, de façon ou d’autre, relèvent l’importance du fait matériel de la cérémonie, sans rentrer exactement dans aucun des différents ordres d’idées qui feront le sujet de la deuxième partie. Or, quoi de plus conforme à l’idée d’une puissance, en quelque sorte magique, du sacrifice, et de plus éloigné de celle d’un hommage dont le principal mérite devrait être la bonne volonté du sacrifiant, que cette préoccu­pation manifestée par le suppliant au sujet des invocations adressées à tel ou tel dieu en même’temps que la sienne? Les rites particuliers dont elle a déterminé l’institution, et qui sont décrits dans les sûtras, peuvent d’ailleurs être relativement récents, mais elle est elle-même très-ancienne comme le prouve la trace qu’en présente le ṛgveda dans le passage déjà cité.

L’importance attachée à la forme matérielle du sacrifice avait fait des connaissances nécessaires au sacrificateur une science véritable, bien avant que cette science comprît les raffinements philosophiques ou théologiques auxquels sem­blent faire allusion les vers I, 164, 39; VI, 56, 1 et beau­coup d’autres. Cette science avait sa base expérimentale. Quand les chantres védiques se posent, comme il arrive sou­vent, une question de ce genre : « De qui les dieux (dans ce passage, les Maruts) ont-ils goûté les prières? » I, 165, 2, c’est avec l’intention de reproduire les prières qui ont été efficaces; « Par quelle grande prière les retiendrons-nous?» ibid., et l’intervention des dieux n’enlève pas à une pareille conception de la prière le caractère qui la rapproche d’une incantation véritable. Des traditions pareilles à celle que les vers 4 et 7 de l’hymne VII, 83 résument en ces termes : « Le sacrifice que les tṛtsu-s ont accompli comme purohita-s a été efficace » ; « L’hymne des prêtres, convives du sacri­fice, a été efficace », résolvaient d’ailleurs le plus souvent la question en faveur des formules de telle ou telle familier sacerdotale, et dans l’intérêt du prêtre qui en était membre.

Les fonctions de sacrificateur en effet, et c’est là un point capital dans le sujet qui nous occupe, étaient déjà remplies par des prêtres à l’intention de ceux qui faisaient les frais des sacrifices et devaient en bénéficier. Si l’institution des castes ne se rencontre, en dehors de l’hymne X, 90 sur le sacrifice du puruṣa, qu’à l’état de germe dans le ṛgveda, l’usage de confier l’œuvre difficile de la célébration du sacrifice selon les rites à ceux qui en ont une connaissance spéciale, de charger une personne compétente de porter la parole au nom des intéressés, V, 65, 1, est déjà parfaitement établi. Le terme de yajamāna « sacrifiant », désignant dans les rituels celui qui fait faire le sacrifice à son intention, a déjà ce sens technique dans un grand nombre de passages du ṛgveda,I,24,11; II,18,3; III,3,3; 53,3; Y,45,5; VI, 54, 6 ; VII, 16, 6 ; VIII, 86, 2 ; X, 40, 14 ; 122, 8 ; Vāl. 10, 1, etc. Le même personnage est plus souvent encore désigné par les noms de maghavan ou de sūri, et les pas­sages où l’un de ces noms est opposé au terme de jaritṛ « chantre » ou à toute autre désignation des prêtres, par exemple par un pronom personnel, sont innombrables.

Le prêtre dont le sacrifiant emprunte le secours devient pour lui le dispensateur de tous les biens, à tel point qu’au vers I, 124, 4, par une comparaison où, selon nos idées, les deux termes paraissent avoir échangé leurs places natu­relles, il est dit de l’aurore qu’elle a fait apparaître des tré­sors comme Nodhas (N. di un antico ṛṣi). Aussile prêtre est-il considéré lui-même comme le plus précieux des dons. On demande à agni, en même temps que la richesse, le ṛṣi qui conquiert mille biens1, X, 80, 4; cf 1. Au vers X, 47, 3, l’une des épithètes de la richesse demandée à indra est śruta-ṛṣi, « comprenant des ṛṣi-s illustres2. » Les «hôtes » que l’auteur du vers V, 50,3 implore des dieux, ne peuvent être également que des ṛṣi-s, des prêtres capables de célébrer exactement le sacrifice.

Si le prêtre est un présent du ciel pour le sacrifiant, le sacrifiant en est un pour le prêtre, qui le désire, IX, 112, 1, et qui le demande aux dieux,11,27, 17; V,6,2; IX,8,7; car les services qu’il lui rend ne sont pas gratuits. Les pané­gyriques connus sous le nom de dānastuti, qui se rencon­trent souvent à la fin des hymnes, et qui remplissent parfois un hymne entier (par exemple I, 126), nous ont gardé le souvenir des libéralités, souvent sans doute exagérées dans les termes, qui étaient le prix du sacrifice. Les chantres du ṛgveda ne se bornent pas d’ailleurs à célébrer ces libéra­lités : ils les provoquent. Tel paraît être l’objet principal de l’hymne X, 117, sur le devoir de l ’aumône, et de l’hymne VI, 53, où le dieu 0 est prié de fendre le cœur des avares et de les disposer à la générosité.

Nous ne pouvons relever tous les passages qui se ratta­chent à cet ordre d’idées. Contentons-nous donc d’ajouter aux citations précédentes une courte étude sur le mot dakṣinā, qui a déjà dans le ṛgveda son sens technique, si familier plus tard aux auteurs des brāhmana-s et des sūtra-s, de « salaire du sacrifice. »

Il ne l’a pas seulement dans un certain nombre d’emplois où MM. Roth et Grassmann admettent cette interprétation, dans des dānastuti, VI, 27,8 ; VIII, 24, 29 ; X, 62, 9 et 11 ; cf. 1, dans le composé dakshināvat, désignant le sacrifiant, VIII,86,2; X,18, 10; 69,8,enfin dans les hymnes I,125 et X, 107, sur lesquels nous allons revenir. Il l’a aussi, selon moi, dans les passages assez nombreux où il désigne le don, II, 11, 21; 18, 8; VI, 37, 4 ; VU, 27.4 ;VIII, 24, 21, ou les dons, III, 36, 5, faits par indra à ceux qui lui offrent des sacrifices. Selon MM. Roth et Grassmann, notre mot est alors un nom de la vache, symbole des libéralités des dieux. Mais ce qui me fait croire que l’emploi du mot dakṣinā pour dési­gner ces libéralités implique une comparaison de la récom­pense accordée par les dieux au sacrifiant et du salaire que celui-ci donne au prêtre, c’est que la comparaison est effectivement exprimée au vers I, 169, 4, où il s’agit encore des dons d’indra, et au vers I, 168, 7, où il est question de ceux des marut-s. Je ne conteste pas qu’en réalité, et si l’on remonte à l’origine de la dakṣinā, c’est le don du dieu qui a dû servir de prototype à celui du sacrifiant. J’admets aussi que le substantif à sous-entendre avec le mot dakṣinā, qui, étymologiquement, est un adjectif féminin, doit être un mot signifiant « vache ». Mais il me paraît peu probable que dakṣinà ait été pris jamais comme un nom commun de la vache, en tant que féconde, proprement «bonne, utile». Je ne con­nais pas en effet d’exemple védique de l’emploi du mot dakṣinā « droit » dans ce dernier sens. Sans doute le rite qui consiste à placer du côté droit dans le sacrifice la vache destinée au prêtre pour son salaire (Haug, traduction de l’aitareya brāhmana, p. 420, note 18,) réclame lui-même une explication, et c’est, à ce qu’il semble, dans l’emploi de dakṣinā pour désigner les dons des dieux, qu’il faut chercher l’étymologie de ce mot. Mais nous voyons précisément dans le vers III, 39, 6, où indra reçoit comme aux vers VI, 29, 3 ; cf. IX, 98, 10, l’épithète dakṣinā̀vat que MM. Roth et Grassmann traduisent, je ne sais pourquoi, «bon, utile », mais qui le représente évidemment comme faisant aux hommes ce don que, dans un bon nombre de passages, nous avons vu appelé sa dakṣinā (cf. III, 53, 6, où il fait ce don en dételant ses chevaux), nous voyons, dis-je, dans ce passage où le don d’indra est d’ailleurs la liqueur précieuse cachée dans les eaux du ciel, qu’il le tient « dans sa main droite ». Je crois donc que là dakṣinā des dieux est le don, primitivement la vache, qu’ils offrent de la main droite, et que la dakṣinā des hommes est le salaire que, dans le sacrifice, on place du côté droit. Si au vers VI, 64,1, notre mot est appliqué à l’aurore, c’est que l’aurore est alors considérée elle-même comme le salaire du sacrifice. Il ne faudrait pas conclure de ce passage qu’il désigne l’aurore en tant que vache, et encore moins y chercher un argument pour défendre la correction proposée par M. Grassmann au dernier pāda du vers I, 123, 5, dont le véritable sens est « Puissions-nous le vaincre (l’ennemi) avec la dakṣinā comme char, » c’est-à-dire « Que le salaire du sacrifice, pareil à un char de bataille, nous rende victorieux de l’ennemi !»Nous retrouverons d’ailleurs plus loin le « joug» de la dakṣinā, I, 164, 9, et à côté du « char » du sacrifice, le « char » de la dakṣinā (voir ci-après le vers 11 de l’hymne X, 107), sur lequel montent tous les dieux, I, 123, 1, c’est-à-dire qui les amène au sacrifice. Comme on le voit dès maintenant, l’idée de l’efficacité du sacrifice est transportée au salaire moyennant lequel ce sacrifice est accompli. Ce salaire devient ainsi le principe de tous les biens, en sorte qu’il a pu être divinisé et compris dans des énumérations de dieux, I, 18, 55, avec le sacrifice lui- même, X, 103, 8. Nous réservons pour les chapitres III et IV les passages où la dakṣinā joue un rôle analogue à celui des éléments femelles du sacrifice en général, III, 62, 3, et est conçue dans les mêmes rapports que ces éléments, soit avec agni, 111,58,1 ; V, 1,3; VIII, 39,5, soit avec soma, IX, 71,1. Ce que nous savons déjà du double emploi du mot dakṣinā pour désigner les dons des dieux, et le salaire du sacrifice qui assure ces dons au sacrifiant, nous suffira pour comprendre les deux hymnes suivants sur l’importance des pré­sents à faire aux prêtres.

  1. X, 107, 1 āvírabhūnmáhi mā́ghonameṣām víśvam jīvám támaso níramoci ǀ
    máhi jyótiḥ pitṛ́bhirdattámā́gādurúḥ pánthā dákṣiṇāyā adarśi ǁ
    « Leur grande bienfaisance s’est manifestée ; tous les êtres vivants ont été délivrés des ténèbres, la grande lumière donnée par les pères est arrivée ; le large chemin de la dakṣinā3est apparu.

  2. uccā́ diví dákṣiṇāvanto asthuryé aśvadā́ḥ sahá té sū́ryeṇa ǀ
    hiraṇyadā́ amṛtatvám bhajante vāsodā́ḥ soma prá tiranta ā́yuḥ ǁ
    « Ceux qui donnent la dakṣinā ont un séjour élevé dans le ciel ; ceux qui donnent des chevaux vont dans le soleil ; ceux qui donnent de l’or ont en partage l’immortalité ; ceux qui donnent des vêtements, ô soma, prolongent leur vie.

  3. dáivī pūrtírdákṣiṇā devayajyā́ ná kavāríbhyo nahí té pṛṇánti ǀ
    áthā náraḥ práyatadakṣiṇāso’vadyabhiyā́ bahávaḥ pṛṇanti ǁ
    « L’abondance divine, c’est la dakṣinā[^4], le culte des dieux. Cette abondance n’est pas pour les avares qui ne donnent pas. Aussi sont-ils nombreux les hommes qui, par crainte du péché, offrent et donnent la dakṣinā,

  4. śatádhāram vāyúmarkám svarvídam nṛcákṣasasté abhí cakṣate havíḥ ǀ
    yé pṛṇánti prá ca yácchanti saṃgamé té dákṣiṇām duhate saptámātaram ǁ
    « Les êtres qui contemplent les hommes surveillent vāyu qui répand cent torrents, l’hymne céleste et l’of­frande . Ceux qui dans l’assemblée offrent et donnent, ceux- là traient une dakṣinā équivalente à sept mères4.

  5. dákṣiṇāvānprathamó hūtá eti dákṣiṇāvāngrāmaṇī́rágrameti ǀ
    támevá manye nṛpátim jánānām yáḥ prathamó dákṣiṇāmāvivā́ya ǁ
    « Celui qui donne la dakṣinā est invoqué le premier. Celui qui donne la dakṣinā marche en avant comme chef du village. Celui-là me paraît vraiment le roi des hommes, qui le premier s’est plu à donner la dakṣinā.

  6. támevá ṛ́ṣim támu brahmā́ṇamāhuryajñanyám sāmagā́mukthaśā́sam ǀ
    sá śukrásya tanvó veda tisró yáḥ prathamó dákṣiṇayā rarā́dha ǁ
    « C’est celui-là qu’on appelle le ṛṣi, le prêtre (brahman), le conducteur du sacrifice, le chantre des sāman, le récitateur des hymnes, il connaît les trois corps du brillant (agni ou soma), celui qui le premier a reçu la dakṣinā.

  7. dákṣiṇā́śvam dákṣiṇā gā́m dadāti dákṣiṇā candrámutá yáddhíraṇyam ǀ
    dákṣiṇā́nnam vanute yó na ātmā́ dákṣiṇām várma kṛṇute vijānán ǁ
    « La dakṣinā donne un cheval, la dakṣinā donne une vache, la dakṣinā donne l’or brillant, la dakṣinā procure la nourriture qui est notre vie ; celui qui sait cela se fait une cuirasse de la dakṣinā.

  8. ná bhojā́ mamrurná nyarthámīyurná riṣyanti ná vyathante ha bhojā́ḥ ǀ
    idám yádvíśvam bhúvanam sváścaitátsárvam dákṣiṇaibhyo dadāti ǁ
    « Les hommes bienfaisants ne meurent pas, ne périssent pas ; les hommes bienfaisants n’éprouvent pas de dom­mage, ne sont pas ébranlés ; tout ce monde et le ciel, tout l’univers leur est donné par la dakṣinā.

  9. bhojā́ jigyuḥ surabhím yónimágre bhojā́ jigyurvadhvám yā́ suvā́sāḥ ǀ
    bhojā́ jigyurantaḥpéyam súrāyā bhojā́ jigyuryé áhūtāḥ prayánti ǁ
    « Les hommes bienfaisants conquièrent les premiers une demeure agréable ; les hommes bienfaisants conquièrent une épouse aux riches vêtements ; les hommes bienfaisants conquièrent une rasade de liqueur ; les hommes bienfaisants triomphent de ceux qui viennent sans avoir été appelés.

  10. bhojā́yā́śvam sám mṛjantyāśúm bhojā́yāste kanyā́ śúmbhamānā ǀ
    bhojásyedám puṣkaríṇīva véśma páriṣkṛtam devamānéva citrám ǁ
    « Pour l’homme bienfaisant est orné le cheval rapide ; pour l’homme bienfaisant la jeune fille est parée; pour l’homme bienfaisant cette maison est ornée, somme un étang plein de lotus, brillante comme la demeure des dieux.

  11. bhojámáśvāḥ suṣṭhuvā́ho vahanti suvṛ́drátho vartate dákṣiṇāyāḥ ǀ
    bhojám devāso’vatā bháreṣu bhojáḥ śátrūntsamanīkéṣu jétā ǁ
    « L’homme bienfaisant est porté par de bons chevaux ; le char de la dakṣinā roule bien. O dieux ! aides l’homme bienfaisant dans les combats. L’homme bienfaisant y est vainqueur de ses ennemis. »

  12. I, 125, 1 prātā́ rátnam prātarítvā dadhāti tám cikitvā́npratigṛ́hyā ní dhatte ǀ
    téna prajā́m vardháyamāna ā́yū rāyáspóṣeṇa sacate suvī́raḥ ǁ

    « L’hôte qui arrive le matin (le prêtre) donne le matin la richesse. Le sage le reçoit et le garde pour lui. C’est par lui, qu’accroissant sa race et prolongeant sa propre vie, il jouit d’une richesse abondante et d’une nombreuse postérité.

  13. sugúrasatsuhiraṇyáḥ sváśvo bṛhádasmai váya índro dadhāti ǀ
    yástvāyántam vásunā prātaritvo mukṣī́jayeva pádimutsinā́ti ǁ

    « Il aura en abondance des vaches, de l’or, des chevaux, il reçoit d’indra une longue jeunesse, celui qui, ô hôte qui arrives le matin, prend un homme tel que toi avec les présents, comme on prend un animal dans un filet.

  14. ā́yamadyá sukṛ́tam prātáricchánniṣṭéḥ putrám vásumatā ráthena ǀ
    aṃśóḥ sutám pāyaya matsarásya kṣayádvīram vardhaya sūnṛ́tābhiḥ ǁ

    « Je suis5parti aujourd’hui de bonne heure cherchant un homme pieux, le fils de ma recherche (que ma recherche me fait trouver), avec un char plein de richesses. Fais boire au maître des hommes le suc de la plante enivrante, fortifle-la avec des hymnes de louange.

  15. úpa kṣaranti síndhavo mayobhúva ījānám ca yakṣyámāṇam ca dhenávaḥ ǀ
    pṛṇántam ca pápurim ca śravasyávo ghṛtásya dhā́rā úpa yanti viśvátaḥ ǁ

    « Les rivières, ces vaches qui apportent la joie, coulent pour celui qui a sacrifié et qui veut sacrifier encore ; vers celui qui donne, qui est bienfaisant, les gouttes de beurre précieuses coulent pour celui qui a sacrifié et qui veut sacrifier encore; vers celui qui donne, qui est bienfaisant, les gouttes de beurre précieuses coulent de toutes parts.

  16. nā́kasya pṛṣṭhé ádhi tiṣṭhati śritó yáḥ pṛṇā́ti sá ha devéṣu gacchati ǀ
    tásmā ā́po ghṛtámarṣanti síndhavastásmā iyám dákṣiṇā pinvate sádā ǁ

    « Il s’élève au sommet du ciel ; celui qui donne va chez les dieux ; pour lui les eaux, les rivières roulent des flots de beurre ; pour lui cette[^7] dakṣinā est toujours féconde.

  17. dákṣiṇāvatāmídimā́ni citrā́ dákṣiṇāvatām diví sū́ryāsaḥ ǀ
    dákṣiṇāvanto amṛ́tam bhajante dákṣiṇāvantaḥ prá tiranta ā́yuḥ ǁ

  18. mā́ pṛṇánto dúritaména ā́ranmā́ jāriṣuḥ sūráyaḥ suvratā́saḥ ǀ
    anyástéṣām paridhírastu káścidápṛṇantamabhí sám yantu śókāḥ ǁ

    « Que ceux qui donnent échappent aux dangers, au mal! Que les bienfaiteurs fidèles à la loi ne vieillissent pas ! Qu’un autre serve à les protéger! Que les chagrins aillent à celui qui ne donne pas ! »

Aux passages qui promettent une magnifique récompense à ceux qui donnent une riche dakṣinā, on en pourrait ajou­ter d’autres où le salaire du sacrifice n’est pas désigné par son nom technique : « Celui qui accueille les hymnes avec un présent », dit l’auteur du vers I, 54, 7, « pour celui-là, un torrent se gonfle au-dessous du ciel » ; « Celui-là, » dit à agni un autre poëte, IV, 4, 6, « celui-là connaît ta bien­veillance, ô le plus jeune des dieux, qui a prêté assistance (littéralement, qui a frayé la voie) à un prêtre tel que moi. »

Les textes concernant les rapports des prêtres avec ceux dont ils accomplissent le sacrifice, témoignent déjà de l’ex­trême importance attachée au fait matériel de la cérémonie. Ils nous ont préparés à comprendre ceux qui attribuent aux prêtres, ou plus généralement à ceux qui accomplissent le sacrifice, une action directe et en quelque sorte magique sur les phénomènes célestes.

Une telle puissance est, il est vrai, célébrée principalement chez les sacrificateurs du passé, et la confusion fréquente de ces sacrificateurs avec les dieux peut sembler au premier abord une explication suffisante des passages qui leur attri­buent des œuvres analogues à celles des vrais maîtres du ciel. On ne peut nier en effet le caractère équivoque d’un bon nombre de textes, où les phénomènes célestes sont rapportés à des agents qui semblent participer de la nature des « pères » et de celle des dieux. Nous ne parlons pas de ceux où les personnages qui ont ouvert les portes (célestes), 1,69, 10, qui ont fait le soleil, VII, 62,1, où les sages qui l’ont conduit, V, 45, 10, qui l’ont conquis ainsi que les eaux, 1,146,4, qui ont trouvé (cf. ci-après) le ciel et la terre, III, 54, 4, où les mâles qui portent le fils des eaux, I, 186, 5, ne sont pas même désignés comme des sacrificateurs. Mais dans l’hymne I, 72, par exemple, ceux qui ont fait les deux yeux du ciel (v. 10), c’est-à-dire sans doute le soleil et la lune, qui ont trouvé le ciel et la terre (v. 4) et par l’opération desquels cette dernière a été « étendue » (v. 9), qui ont découvert les sept portes célestes de la richesse (v. 8), sont, comme nous avons eu déjà l’occasion de le remarquer, assimilés tantôt aux dieux par les épithètes amṛtāḥ, « immortels » (v. 2, 10), yajniyāsaḥ « dignes du sacrifice » (v. 4[^8], 6), tantôt aux pères par celles de svādhyaḥ, « pieux » (v. 8), de dhiyamdhāḥ, « faisant la prière » (v. 2), par la mention du sacrifice qu’ils accomplissent (v. 3, 5), et surtout par celle de la métamorphose qu’ils ont subie en abandonnant leurs corps (v. 3, 5), (cf. encore v. 9). L’équivoque signalée subsistera donc dans les passages où les fils qui ont engendré leurs parents, c’est-à-dire le ciel et la terre, I, 159, 3 ; cf. 4, où les person­nages qui ont ouvert les portes (célestes), VII, 2, 5, sont appelés « les sages aux belles prières » ou « les pieux », avec une allusion d’ailleurs assez claire au sacrifice (cf. encore X, 11, 3; Vāl. 11,6)[^9]. Les dieux ne sont-ils pas sous ce nom même comparés à des ascètes6 dans un passage, X, 72, 7, où il est dit qu’ils ont rapporté le soleil qui était caché dans la mer ? Les sept ṛṣi-s qui ont participé à l’œuvre du créateur viśvakarman, célébrée dans l’hymne X, 82, ne sont-ils pas aussi vraisemblablement les sept ṛṣi-s divins dont il a été déjà question ? Cependant, que les personnages conçus comme ayant exercé une action sur les phénomènes célestes soient des dieux ou des hommes, l’assimilation de ces personnages à des sacrificateurs garde tout son intérêt pour le sujet qui nous occupe. L’idée de la toute-puissance du sacrifice est en effet, comme nous l’avons remarqué d’avance, une de celles qui expliquent le mieux le mythe du sacrifice céleste. Elle peut même seule en rendre compte quand il est présenté, ainsi que nous le ver­rons plus bas, comme le principe des choses, ou quand le vers X, 88, 8 nous le montre protégeant les dieux qui viennent de l’instituer : « Les dieux ont institué (littéralement, engendré) d’abord la récitation de l’hymne, puis agni, puis l’offrande ; ce sacrifice est devenu leur protecteur : le ciel en est témoin, et la terre, et les eaux. » Nous continuerons donc à citer les textes relatifs aux résultats atteints par les pères dans leur sacrifice, sans insister davantage sur la confusion possible de ces pères avec les dieux.

Il n’en est pas de plus remarquable qu’un fragment que nous allons emprunter à l’hymne IV, 1. Ce fragment donne aux pères la qualification de manuṣyāḥ, « humains » (V. 13), et cette mention expresse de leur nature primitive suggère naturellement l’idée qu’ici du moins, le sacrifice dont il s’agit est bien un sacrifice terrestre. Je le traduis en entier bien qu’il renferme des termes mythologiques non encore étudiés. Ces termes s’expliquent d’ailleurs à l’avance par le contexte même qui nous offre le nom vulgaire des aurores à côté de celui des vaches qui les représentent et de la mention de la caverne qui est censée les retenir.

IV, 1,

  1. asmā́kamátra pitáro manuṣyā́ abhí prá sedurṛtámāśuṣāṇā́ḥ ǀ
    áśmavrajāḥ sudúghā vavré antárúdusrā́ ājannuṣáso huvānā́ḥ ǁ

    « Nos pères humains se sont placés ici, empressés à accomplir la loi ; ils ont, en les appelant, fait sortir de la caverne, de l’étable de pierre où elles étaient renfermées, les vaches aurores bonnes laitières.

  2. té marmṛjata dadṛvā́ṃso ádrim tádeṣāmanyé abhíto ví vocan ǀ
    paśváyantrāso abhí kārámarcanvidánta jyótiścakṛpánta dhībhíḥ ǁ

    Ils se sont ornés en fendant la pierre ; que les autres proclament cet exploit qu’ils ont accompli ! Maîtres du bétail, ils ont chanté un hymne, ils ont conquis la lumière, ils ont fait entendre des prières et des supplications.

  3. té gavyatā́ mánasā dṛdhrámubdhám gā́ yemānám pári ṣántamádrim ǀ
    dṛḷhám náro vácasā dáivyena vrajám gómantamuśíjo ví vavruḥ ǁ

    Désirant les vaches, les héros, les uśij ont, avec la parole divine, ouvert la pierre solide et bien jointe qui entourait les vaches et les retenait, la caverne solide pleine de vaches.

  4. té manvata prathamám nā́ma dhenóstríḥ saptá mātúḥ paramā́ṇi vindan ǀ
    tájjānatī́rabhyánūṣata vrā́ āvírbhuvadaruṇī́ryaśásā góḥ ǁ

    Ils ont imaginé le premier nom de la vache ; ils ont trouvé les trois fois sept noms suprêmes de la mère ; con­naissant cela, les troupes ont fait retentir une acclamation ; la vache rouge est apparue dans sa gloire7.

  5. néśattámo dúdhitam rócata dyáurúddevyā́ uṣáso bhānúrarta ǀ
    ā́ sū́ryo bṛhatástiṣṭhadájrām̐ ṛjú márteṣu vṛjinā́ ca páśyan ǁ

    L’obscurité confuse a disparu; le ciel a brillé; la splendeur de l’aurore divine s’est levée ; le soleil s’est étendu dans les champs élevés, distinguant chez les mortels ce qui est droit de ce qui ne l’est pas… »

On aura remarqué que les pères qui, par leur sacrifice, ont fait lever le jour, sont au vers 15 désignés par le nom d’uśij dont j ’ai cru pouvoir dire, sinon qu’il est toujours nom propre» au moins qu’il est en voie de le devenir. Nous lisons encore aux vers VII, 90,4 et X, 45,11, que les uśij ont ouvert l’étable des vaches. Mais dans le premier, le contexte indique que le résultat de cet exploit a été l’écoulement des eaux aussi bien que l’apparition des aurores, en même temps d’ailleurs que l’épithète didhyānāḥ, « priant » offre une nouvelle allusion au sacrifice. Dans le second, les uśij accomplissent leur œuvre avec agni. Ailleurs ce sont les āyus qui fendent l’étable des vaches, X, 74, 4. Mais c’est surtout sous le nom d’aṅgiras que les pères figurent dans le mythe dont il s’agit. Je réserve les passages qui leur donnent le dieu indra pour compagnon et pour chef, ainsi que ceux où ils empruntent le secours de saramā, personnage qui doit faire le sujet d’une étude particulière. On trouvera dans la section consacrée à bṛhaspati ceux qui les associent à ce dieu, nommé lui- même aṅgiras, et plus souvent aṅgirasa. Il m’en reste pourtant plusieurs encore à citer ici.

I, 71, 2

vīḷú ciddṛḷhā́ pitáro na uktháirádrim rujannáṅgiraso ráveṇa ǀ
cakrúrdivó bṛható gātúmasmé áhaḥ svárvividuḥ ketúmusrā́ḥ ǁ

« Nos pères aṅgiras ont avec leurs hymnes brisé les forteresses les plus solides ; ils ont avec ce bruit brisé la pierre ; ils nous ont ouvert une voie qui part du haut du ciel ; ils ont conquis le jour, la lumière, l’étendard (du jour), les vaches. »

IV, 3, 11 :

ṛténā́drim vyásanbhidántaḥ sámáṅgiraso navanta góbhiḥ ǀ
śunám náraḥ pári ṣadannuṣā́samāvíḥ svárabhavajjāté agnáu ǁ

« Ils ont selon la loi fendu et séparé en deux parties la pierre ; les aṅgiras ont uni leurs acclamations au mugissement des vaches; les héros ont heureusement assiégé l’aurore ; la lumière a paru quand agni fût né8. »

VI, 65, 5 :

idā́ hí ta uṣo adrisāno gotrā́ gávāmáṅgiraso gṛṇánti ǀ
vyárkéṇa bibhidurbráhmaṇā ca satyā́ nṛṇā́mabhavaddeváhūtiḥ ǁ

« C’est à cette heure, ô aurore ! habitante de la mon­tagne de pierre ! que les aṅgiras célèbrent les étables de vaches; ils les ont fendues avec leur hymne, avec leur prière; l’invocation adressée aux dieux par les héros a été efficace. »

Dans l’hymne X, 62, sur les aṅgiras, nous lisons au vers 2 que ces pères ont fait sortir la richesse composée de vaches et fendu la caverne selon la loi» et au vers 3 qu’ils ont selon la loi fait monter le soleil dans le ciel, et étendu (sous lui, cf. V, 85, 1) la terre mère. D’après le vers I, 83, 4, le bétail, comprenant des chevaux et des vaches, que les aṅgiras ont conquis par leurs œuvres pies, en allumant le feu sacré, a été ravi par eux au paṇi. Nous retrouverons ce détail dans la forme particulière du mythe où figure saramā. C’est sans doute parce qu’ils ont chassé les ténèbres au moyen de leur sacrifice, que l’Aurore est appelée angirastamā, VIl» 75,1 ; 70, 3, « la plus semblable aux aṅgiras, » comme dissipant l’obscurité. Le vers IV, 51, 4, d’après lequel l’au­rore a brillé chez (pour) aṅgiras, comme elle a brillé pour navagva, pour daśagva, paraît faire encore allusion au même mythe. J’en dirai autant du vers X, 169, 2, portant que les aṅgiras ont « fait » les vaches par leur ascétisme9. Il est dit encore au vers VII, 76, 4, que les pères ont trouvé la lumière cachée, et qu’avec leurs formules efficaces ils ont engendré l’aurore. Le vers X, 107,1, parle de la lumière donnée par les pères. Enfin, d’après le vers X, 68,11, qui paraît d’ailleurs les associer à bṛhaspati, les pères ont orné le ciel d’étoiles, donné l’obscurité à la nuit et la lumière au jour. L’action exercée par les anciens ṛṣi-s sur les eaux du ciel est exprimée par une image saisissante au vers I, 88, 4 : «Les gotama-s, faisant la prière,ont avec leurs hymnes ren­versé le réservoir d’eau pour le boire. » Les vers X, 98, 5 et 6 ne sont pas moins curieux : « 5. Le ṛṣi devāpi, fils de ṛṣṭiṣena, s’étant chargé des fonctions de sacrificateur et sachant se concilier la bienveillance des dieux, a répandu les eaux divines de la pluie de la mer supérieure dans l’in­férieure.

  1. Les eaux étaient retenues par les dieux dans cette mer supérieure ; elles ont coulé, répandues, lancées par devāpi, fils de ṛṣṭiṣena…. »

Mais ce n’est pas seulement aux anciens ṛṣi-s qu’est attribuée une action de ce genre sur les phénomènes célestes. Les nouveaux se croient doués de la même puissance, ou au moins capables de l’acquérir. Dans l’hymne IV, 2, qui suit immédiatement celui auquel nous avons emprunté tout à l’heure un assez long fragment sur les résultats du sacrifice des pères, nous lisons au vers 15 : « Puissions-nous devenir les sept prêtres de la mère aurore, les premiers pieux 10… Puissions-nous devenir les aṅgiras fils du ciel, et briser, resplendissants, la pierre qui renferme des trésors ! » Nous savons déjà que le résultat de cet exploit des aṅgiras a été le lever du jour, et les vers 16 et 17, outre des détails que nous retrouverons en temps et lieu, renferment des allusions assez claires au même mythe ; nous y lisons que les pères anciens, en observant la loi, en récitant des hymnes, ont délivré les vaches rouges, c’est-à-dire les aurores, dont ils avaient assiégé l’étable. Or le vers 19 constate que leurs descendants ont atteint le même résultat, que par conséquent leur vœu, formulé dans le vers 15, a été rempli : « Nous avons fait pour toi (le sacrifice) », disent-ils à agni, « nous avons accompli une belle œuvre ; les aurores resplendissantes ont brillé selon la loi ; (c’est ce que nous avons obtenu) en purifiant le bel éclat d’agni, du dieu sans défaut qui brille en mille lieux.11 »

Comme les sacrificateurs souhaitaient dans le passage pré­cédent de devenir des aṅgiras, c’est-à-dire d’exercer sur les phénomènes célestes la même action que ces personnages légendaires, nous les voyons au vers X, 53, 4, exprimer le vœu, encore plus hardi, de devenir des dieux triomphant des asura-s par la puissance de la parole, et sans doute aussi par celle de cette langue du sacrifice dont il est question au vers précédent, et qui n’est autre que le feu sacré : « Nous avons trouvé la langue cachée du sacrifice. » Les asura-s sont en cette occasion, de même qu’en quelques autres, des adversaires des dieux, comme ces druh-s ennemies d’indra, qu’au vers I, 133, 1, un prêtre se vante de brûler lui-même, purifiant ainsi les deux mondes.

Aux vers X, 101,5 et 6 les mots « Tirez les outres, ramenez les courroies… préparez l’outre » sont peut-être adressés à des dieux, (ainsi que le vers 7 tout entier, cf. 1; 2 et 9, voir p. 116); mais les sacrificateurs ajoutent, avec une hardiesse qui rappelle le vers cité plus haut sur l’exploit des gotama-s, à cela près que l’image du vase qu’on renverse est remplacée par celle d’un puits qu’on vide : « Vidons le puits plein d’eau, abondant, inépuisable » (vers 5), et ensuite (vers 6) : « Je vide le puits muni de bonnes courroies, plein d’eau, abon­dant, inépuisable. » Ce puits inépuisable est le réservoir des eaux du ciel.

Mais aucun texte ne témoigne mieux de la croyance à une action magique de l’homme sur les eaux du ciel que le vers X, 32, 7, où cette croyance est exprimée d’ailleurs en termes généraux, applicables à l’homme actuel aussi bien qu’à ses ancêtres réels ou mythologiques : « L’ignorant a interrogé le savant; instruit par le savant il agit; et voici le profit de l’instruction ; il obtient (littéralement, il trouve) l’écoulement des « rapides ». Que les « rapides12 » désignent ici les eaux du ciel, c’est ce qui paraît hors de doute. Le mot añjasi que je traduis ainsi ne figure qu’une seule autre fois dans le ṛgveda, au vers I, 104,4, et il y figure, peut-être même comme nom propre, dans une énumération de rivières célestes. Ajou­tons qu’au vers I, 32, 2, l’adverbe añjas, de même racine, exprime la rapidité avec laquelle s’écoulent les eaux du ciel délivrées par indra.

Complétons ces citations par celle d’un texte où il n’est pas question seulement d’une action exercée sur les phénomènes célestes, mais d’une sorte d’apothéose de l’ascète transporté au ciel de son vivant par la puissance de l’ascétisme, X, 136, 3 : « Enivrés par l’ascétisme13, nous nous sommes élevés sur les vents ; ô mortels ! vous ne voyez que nos corps ! » L’ascète remplace ici le sacrificateur, comme nous verrons tout à l’heure l’ascétisme substitué dans certaines formules au sacrifice. Ces substitutions trahissent évidemment une phase plus avancée de la religion que nous étudions. Mais le prin­cipe, à savoir la croyance à un pouvoir magique résidant désormais dans la pratique de certaines austérités, comme il résidait d’abord dans les cérémonies du sacrifice, reste le même.

Les textes cités jusqu’à présent concernaient les sacrifica­teurs ; avant de passer à ceux qui attribuent au premier élé­ment du sacrifice, à agni, l’action exercée sur les phénomènes célestes, nous en citerons quelques-uns qui rapportent cette action au sacrifice considéré indépendamment des sacrifica­teurs, ou qui célèbrent en termes généraux la toute-puissance du sacrifice.

On lit au vers VII, 41, 6, que les aurores ont obéi au sacrifice (littéralement, se sont inclinées devant lui). Nous réservons pour l’étude qui sera consacrée dans la qua­trième partie, ch. III, au mot ṛta, les passages tels que les vers 9-12 de l’hymne IV, 3, où ce mot paraît désigner le sacrifice considéré comme cause des phénomènes célestes. Plus généralement le sacrifice est conçu comme le principe des choses. « Le sacrifice est notre père… notre manu», dit l’auteur du vers X, 100, 5. À la question posée dans l’hymne I, 164, au vers 34 ; « Je demande où est le nombril du monde », le vers suivant répond : « Ce sacrifice est le nom­bril du monde », et nous savons que ce terme de nombril est, dans la langue des ṛṣi-s védiques, à peu près synonyme de celui de père. Dans la cosmogonie de l’hymne X, 190, le mot ṛta dont il vient d’être question, et qui désigne souvent le sacrifice, est au vers 1 le nom d’un des premiers principes du monde14. Ce principe procède toutefois lui-même d’un autre dont le nom est tapas. Le mot tapas qui désigne aussi l’un des principes du monde dans un autre hymne cosmogonique, X, 129, 3, a pris le sens d’ascétisme; mais il signifié primi­tivement « chaleur », et le vers X, 190, 1, insiste sur cette signification primitive par l’épithète abhīddha, « allumée. » Dans ce même vers, le rapprochement des mots tapas et ṛta suggère naturellement l’idée du sacrifice. Le sens postérieur d’ascétisme trouve d’ailleurs son explication la plus satisfai­sante dans un emploi primitif du terme où il aurait désigné l’œuvre du sacrifice à laquelle, selon la remarque faite plus haut, une période plus récente substitua d’autres pratiques15.

Le sacrifice est si bien le principe par excellence, qu’on lui rapporte non-seulement, comme nous l ’avons vu tout à l’heure, l’origine des hommes, mais encore celle des dieux. Nous avons déjà cité, en étudiant le mythe de manu, les textes qui font de cet ancien sacrificateur le père de la race divine. Dans l’hymne IV, 2, dont un fragment a été cité plus haut, il est dit au vers 17 des anciens pères assiégeant l’aurore, qu’ils ont « forgé les races divines comme le fer. »

Une telle conception peut à bon droit paraître étrange. Elle s’explique cependant comme une des dernières consé­quences de l’idée de la toute-puissance du sacrifice. On peut signaler dans le même ordre d’idées le vers X, 129, 5 où la question posée parait être celle-ci : le sacrifice considéré comme une des causes créatrices du monde a-t-il commencé sur terre ou dans le ciel? (Cf. Revue critique, 1875, II, p. 393.)

Nous arrivons aux textes où agni est particulièrement en cause. Reconnaissons d’abord qu’un grand nombre d’entre, eux peuvent prêter à une équivoque, agni étant un nom de l’éclair et même du soleil aussi bien que du feu du sacrifice terrestre. Nous n’insisterons donc pas sur ceux qui consta­tent en termes généraux la puissance d’agni, soit en rappe­lant ses dons, par exemple le don de la pluie, II, 6, 5; cf. V, 12, 2, soit en célébrant ses exploits, comme l’ouverture de la caverne de pierre, VIII, 49, 16, ou plus généralement ses victoires remportées sur différents démons ou ennemis que nous aurons d’ailleurs une autre occasion de signaler. Cepen­dant le seul emploi du nom d’agni, de préférence à ceux de l’éclair et du soleil, éveille assez naturellement l’idée du feu du sacrifice, et nous savons que l’idée d’un sacrifice n’est nullement incompatible avec celle d’un feu céleste. Parmi les passages qui lui attribuent, comme à tant d’autres dieux, la séparation et la consolidation du ciel et de la terre, il en est un qui ne peut guère se rapporter qu’au feu d’un sacrifice, puisqu’il y est dit qu’agni a affermi la terre et soutenu le ciel « avec des formules efficaces », I, 67, 5, et un autre où l’agni qui soutient le ciel avec une colonne de fumée, IV,6,2, doit être le feu du sacrifice terrestre. La conception du feu comme principe de toutes choses, présent en tous lieux, peut cependant, en dehors de toute allusion au feu du sacrifice, expli­quer les passages qui exaltent la grandeur d’agni en le mon­trant, comme plusieurs autres dieux d’ailleurs, plus grand que le ciel, I, 59, 5, que le ciel et la terre, III, 6,2; X, 88,14, et tous les mondes, III, 3,10 qu’il dépasse, embrassant les races, III, 3, 9, embrassant ses propres séjours, III, 55, 15.

Passons rapidement encore sur les passages d’après les­ quels agni est le premier-né, X, 5, 7 ; cf. X, II, 2, et le premier invoqué, I, 24, 2; IV, 11, 5; VIII, 23, 22 et passim, et sur ceux qui nous le montrent égal à n’importe quel dieu, X, 1, 5, ou plutôt supérieur aux autres dieux, I, 68, 2, qu’il embrasse comme la jante embrasse les rayons, V, 13, 6; cf. I, 141, 9. Il faut cependant remarquer que dans un de ces derniers, VII, 4, 5, il est dit del’agni supé­rieur aux immortels qu’il s’est établi dans la demeure que lui ont faite les dieux. L’allusion à un sacrifice, célébré d’ailleurs dans le ciel, paraît assez claire. Le vers I, 69, 2 portant qu’agni est devenu le père des dieux, tout en étant leur fils, rappelle celui où l’origine des dieux est rapportée au sacrifice, qui pourtant a été lui-méme institué par les dieux. En général les textes qui célèbrent la grandeur d’agni, s’ils ne témoignent pas par eux-mêmes, et en l’absence de tout détail significatif, en faveur de la toute-puissance du sacrifice, trouvent du moins une explication très-satisfaisante dans cet ordre d’idées. C’est ce qui m’a déterminé à en signaler ici quelques-uns.

Il est temps de citer enfin ceux qui ont été annoncés au début de ce paragraphe, et auxquels les développements qui précèdent, indépendamment de leur intérêt propre, ont eu pour objet d’assigner toute leur portée. Ils concernent l’action du feu du sacrifice sur les phénomènes célestes. S’ils sont peu nombreux, c’est que notre plan nous oblige à réserver les relations de ce feu avec les éléments femelles, particulièrement avec l’aurore, pour n’envisager que l’in­fluence qu’il exerce sur les éléments mâles, c’est-à-dire sur l’éclair ou le soleil.

On connaît déjà le vers III, 2, 9 que j ’ai dû citer à propos du sacrifice des dieux : « Les uśij immortels ont purifié trois bûches d’agni, (du dieu) qui est sans cesse en mouvement et qui fait le tour du monde ; ils en ont placé une chez les mor­tels pour qu’ils en jouissent ; les deux autres se sont avan­cées dans l’espace vers leur sœur. » L’action du feu du sacrifice terrestre sur les deux autres feux, c’est-à-dire sur le soleil et sur l’éclair, ne saurait être plus clairement indiquée. Je crois donc qu’on peut traduire ainsi le vers V, 6 ,4 : « Allumons ton (éclat) brillant, impérissable, ô dieu agni, pour que ta bûche supérieure (littéralement, plus digne d’être admirée) brille dans le ciel » ; cf. ibid. 6. La même idée est d’ailleurs exprimée au vers VI, 2, 3, à cela prés qu’il n’est pas fait mention de l’agni terrestre, mais bien du sacrifice qui ne peut se célébrer sans lui, VI, 2, 3 : « Les héros du ciel t ’allument, toi l’étendard du sacrifice, en même temps que l’homme pieux sacrifie. » On peut chercher encore une allusion à cette relation du feu céleste avec le feu ter­restre dans un vers déjà cité, 1,26, 8 : « Les dieux nous ont donné des biens avec un beau feu ; nous les honorons avec un beau feu. » Au vers I, 79, 3, le feu terrestre paraît opposé sous le nom d’ «inférieur » au feu céleste désigné, comme au vers III , 2, 9, par celui de parijman, « faisant le tour (du monde) »16et ce dernier, en compagnie d’aryaman, de mitra et de varuna, « arrose la peau dans le séjour de l’in­férieur, » c’est-à-dire fait couler les eaux du ciel pour l’agni terrestre. À la vérité, dans les derniers passages cités, l’intervention des dieux enlève à la conception quelque chose du caractère de simplicité que je crois pouvoir lui attribuer dans l’ordre d’idées qui fait le sujet de toute cette première partie. Mais au vers VI, 2, 2, nous revoyons l’agni céleste, sous la figure d’un cheval, se diriger lui-même, comme les bûches du vers III, 2, 9, vers le feu du sacrifice : « Les races t’hono­rent de leurs sacrifices, de leurs chants ; le cheval qui tra­verse l’espace, l’être propice, commun à toutes les races, va vers toi; » cf. le passage cité, ibid. 3.

Enfin, si les textes précédents ne portent pas expressément que le feu céleste, quand il s’allume en même temps que le feu terrestre, ou, ce qui revient au même, quand il vient vers lui, obéit à son commandement, ou cède à sa puissance, en voici un autre qui ne prête pas à la même objection : «0 agni!» dit l’auteur du vers X, 156, 4, « tu as fait monter dans le ciel l’astre impérissable, le soleil, donnant la lumière aux hommes. » Il est vrai qu’ici, en revanche, rien dans le con­texte n’indique qu’il s’agisse du feu du sacrifice. Je me trompe ; l’opposition d’agni et du soleil ne laisse guère d’autre interprétation possible pour le premier. Il faut d’ail­leurs naturellement tenir compte des citations précédentes, qui fournissent une explication si satisfaisante de celle-ci, comme elles peuvent à leur tour être précisées, grâce à elle.

Plus généralement, les textes qui attribuent une action sur les phénomènes célestes, soit au sacrifice considéré en lui-même, soit aux sacrificateurs, et aux prêtres actuels aussi bien qu’aux ancêtres réels ou légendaires, confirment l’inter­prétation qui attribue une action du même genre au premier élément du sacrifice, c’est-à-dire au feu.

  1. Cf. I, 189, 8 : Puissions-nous conquérir mille biens avec les ṛṣi-s ! Cf. encore I, 27, 9. 

  2. L’épithète vipra-vīra aux vers 4 et 5 du même hymne me paraît avoir le même sens. Appliquée à %soma, IX, 4, 45, ou à agni, X,188, 2, je la traduirai « qui donne des prêtres » ou « qui a pour fils les prêtres. » 

  3. Le chemin de la dakṣinā peut être ici, comme le chemin du ṛta (voir quatrième partie, ch. III) au vers I, 136, 2, soit le chemin que suivent les dons célestes, et particulièrement le don de la lumière, rapporté ici aux pères (voir le paragraphe précédent), soit celui que suit le salaire du sacrifice, ou plutôt le sacrifice lui-même, pour procurer ces dons aux hommes. 

  4. C’est-à-dire les sept formes de la femelle mythologique. Voir le chapitre de l’Arithmétique mythologique. 

  5. C’est, à ce qu’il semble, le prètre qui parle. 

  6. yatayaḥ. Le mot yati considéré comme un nom propre par MM. Roth et Grassmann. Il est vrai qu’il est dans les vers VIII, 3, 9 et 6, 18 construit parallèlement au nom de bhṛgu ou des bhṛgu-s. Mais le sens étymologique en aurait été en tout cas « ascète. » 

  7. L’aurore. Voir chapitre III. 

  8. S’il faut, rattacher à ce vers celui qui le suit, le résultat de l’œuvre des aṅgiras n’a pas été seulement l’apparition de l’aurore, mais encore l’écoulement des eaux. 

  9. D’après le vers I, 139, 7, la vache a été donnée aux aṇgiras par les dieux. Le vers VII, 52, 3 fait peut-être allusion au même don. 

  10. nṛn parait inexplicable en ce passage comme en plusieurs autres. Il semble que celte forme se soit souvent introduite abusivement dans le texte de certains hymnes, à la fin d’un pāda, à la suite de mots qui la précédaient ailleurs dans des formules consacrées. C’est ainsi que la formule sūryo nṛn, explicable au vers III, 14, 4, (où les deux accusatifs sont en apposition), aurait été transportée au vers I, 146, 4 où nṛn est inexplicable. Même observation sur la formule tuvirādhaso nṛn au vers V, 58, 2 d’une part, au vers IV, 2l, 2 de l’autre, sur celle de trāvato nṛṇ, explicable au vers II, 20, 1, par la construction du verbe yaj avec deux accusatifs, mais non plus au vers X, 29, 4, et surtout sur celle de divo nṛn, VI, 51, 4 (cf. divo naraḥ), reproduite mal a propos au vers VI, 2, 11, et même, je crois, au vers V, 80, (3. imitée enfin dans la formule divā nṛn du vers VI, 3, 6, où le second mot n’a pas de sens. Je suppose que nṛn s’est introduit a la suite de vedhaso dans notre passage par l’analogie de la formule tuvirādhaso nṛndéjà citée, et des formules du même genre milhuṣo nṛn, I, 169,69, dāśuṣo nṛn, VIII, 73, 3, seduṣo nṛn, V,15, 2. 

  11. Au vers IV, 5, 13 au contraire, ils attendent avec impatience le même résultat : » Quand les déesses, épouses de l’immortel, quand les aurores nous couvriront-elles de la couleur du soleil ? » 

  12. Il m’est impossible de deviner la raison qui a délerminé M. Roth, et après lui M. Grassmann, à supposer pour expliquer la forme anjasinām, un adjectif añjasina dont il n’y a pas d’autre exemple. 

  13. Proprement, l’état de muni

  14. Lo même vers lui adjoint un principe désigné par le mot satya, « vrai • ou « efficace », cf. X, 85, I. 

  15. On peut même se demander s’il n’y a pas un rapport entre l’idée da « chaleur », sens primitif du mot qui a désigné plus tard les austérités des ascètes, et celle de la « sueur « des prêtres occupés à l’œuvre du sacrifice, cf 1,86, 8; IV, 2, G; V, 7,5. 

  16. Au contraire le feu domestique est appelé aproṣivān, « qui n’émigre pas », VIII, 49, 19.